Ça faisait une paye que je ne m’étais pas rendu dans un festival sous ma casquette de journaliste. Cet été, j’ai jeté mon dévolu sur la Route du Rock. Me faisais une joie à l’idée d’interviewer des groupes pendant 5 minutes montre en main entre deux concerts sous la pression des attachés de presse. En réalité, rien de tout ça n’est arrivé. Sur toute la durée du festival, le communicant du festival me contacte une seule fois pour un groupe que je n’avais pas demandé à rencontrer. Bonne pioche ! Pour finir, j’ai essayé de raconter comment j’ai vécu ces trois jours de concerts à patauger dans une boue qui sèche bof non loin de Saint-Malo.

« Hey ! Faites gaffe avec votre coude là ! » Plantée dans le sol boueux du Fort de Saint-Père, une festivalière (quinquagénaire), impatiente qu’Etienne Daho monte sur scène, n’apprécie pas la manière avec laquelle je cherche un briquet dans ma poche… Cet échange chaleureux, soldé par de rapides excuses, illustre bien les deux mondes qui se rencontrent depuis plusieurs éditions de la Route du Rock à Saint-Malo.
D’un côté, celui gouverné par une tranche plus âgée et fatiguée de se faire bousculer dans un festival qui n’aurait de rock que son nom. Venue (re)voir ses têtes d’affiches favories, cette catégorie ne veut pas louper une miette de concert qu’elle adore immortaliser pendant de longues minutes avec son smartphone à l’horizontal. De l’autre, on retrouve celui peuplé de jeunes trentenaires mi-bobos mi-branchés en soif de pogos, de grandes vapeurs de poppers et de leur nouveau groupe indé préféré.

Deeper (C) Grégory Perrochon

 

Loin de moi l’idée de basculer dans un âgisme vulgaire. D’autant qu’être vieux n’est pas incompatible avec le fait d’écouter et/ou de produire une musique de qualité (quoique ?). Mais sur l’affiche de cette année, la scission saute aux yeux instantanément. Comme deux équipes. La scène rock indé internationale face aux figures pop et rock d’un autre temps restées (plus ou moins) cool.

Au retour du grand Etienne Daho, s’ajoutent la présence des deux spationautes de Air, fraîchement revenus de la cérémonie de clôture des JO, du duo poussiéreux de The Kills ou encore des Belges de Soulwax (déjà venus en 2017). De l’autre côté du ring, on retrouve notamment Meatbodies, la surprenante Backxwash, Metz, les espagnols de Dame Area ou encore les énervés de Fat Dog.

Meatbodies (C) Grégory Perrochon

Et ça se vérifie d’entrée de jeu sur et devant la scène. Le jeudi soir, une foule de cheveux gris s’amasse devant Slowdive. Si la bande de britanniques – occupant la tête de gondole du rayon nostalgie – attire quelques kids, sûrement présents grâce à la viralité de When The Sun Hits sur Tiktok, elle joue devant ses dépressifs convaincus de la première heure. Deux minutes de concert suscitent une envie de boire du sang en position foetale six pieds sous terre. La nuit tombe. Le shoegaze service est assuré ! Ça met The Kills face à un sacré challenge. Celui de réveiller un public contemplatif à moitié endormi. Malgré la folle énergie déployée par Alison Mosshart et sa silhouette longiligne, il faut attendre le fameux Doing It To Death pour un semblant de mouvement. C’est pas pour rien si on se demandait déjà en 2018 ce qu’ils étaient devenus

The Kills (C) Grégory Perrochon

C’est à ce moment-là que la première bonne surprise de cette édition intervient. Et elle se nomme Backxwash. Seule sur scène, la rappeuse canado-zambienne prouve qu’on peut faire rimer douceur et violence en déployant ses paroles sur fond d’horrorcore et de metal indus’. Ça réveille son monde. Enfin celui qui est resté. Puisqu’une bonne partie du public a déjà décampé à minuit à peine.

Ce schéma, on le retrouve lors des deux autres soirées. La tête d’affiche – The Kills, le jeudi ; Daho, le vendredi et Air, le samedi – qui attire le public (d’un certain âge) en masse au peak time de la soirée qui repart une fois ce premier concert achevé. S’ensuit un grand courant d’air et de la place pour danser entre les (habituelles) gouttes de pluie du week-end du 15 août.

« Étienne Daho, c’est clairement le moment où on va aller à la buvette. »

Très attendu par sa fan base, Daho a assuré le show malgré les réticences de certains. « Étienne Daho, c’est clairement le moment où on va aller à la buvette », pouvait-on entendre plus tôt dans l’après-midi à l’entrée du site. Si l’on ferme les yeux sur l’apparition à l’écran de Vanessa Paradis, virtuellement présente pour un featuring des plus cringe, la performance du parrain de la pop française convainc mais laisse un vide énorme sur le site… Quelques minutes après le dernier morceau, les k-ways, équipés de sacs Quechua, ne traînent pas pour disparaître.

Mission aussi assurée par Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin. Postichés dans leur scénographie nacrée, les Versaillais sont sûrement les seuls à conquérir les deux franges de ce drôle de public. Bien qu’admirable à contempler et à écouter, impossible de s’arrêter là… Même si Soulwax et son habituel show rythmique réveille en partie le Fort, chaque soir, une fois que le gros nom est évacué (et son public grisonnant avec), il faut surtout s’en remettre à Protomartyr, Metz, Meatbodies, Fat Dog ou encore Dame Area pour remuer les plus foufous.

Metz (C) Grégory Perrochon

Deux publics, deux ambiances.

Telle une discothèque de campagne, la Route du Rock se retrouve cantonnée à ce régime de façon plus ou moins volontaire. Quoiqu’on en pense, après une édition post-pandémie compliquée (16 000 entrées seulement), le festival a rectifié le tir cette année. Même si une bonne partie des festivaliers est rentrée dormir dans son Airbnb à Saint-Malo autour de 23h, ils étaient 21 000 à fouler la boue du Fort de Saint-Père en ce week-end d’Assomption. Partagée entre la nostalgie et le cool, la RDR a réussi son exercice 2024 sur le plan billetterie et devrait connaître encore quelques belles années avant la fameuse mort du rock, attendue et annoncée depuis des années. Elle attendra encore un peu.

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