Une course à travers la ville en solitaire. Envie de vivre au-delà du beau monde et des bombes dans la piscine. Loin des touristes, se rapprocher du sauvage errant.
Une seule solution, la fuite. La fuite par les rues, sous les voûtes de La Rochelle, une Kro 7.2 comme seul repère familier, traversée du bourg à la recherche de la variété perdue. Sous les arcades l’air de l’accordéon attire et fout des frissons. Le besoin de contact m’entraîne jusqu’au joueur. Adrian est de ceux venus de loin pour vous jouer des airs familiers. Le bonhomme est en mode automatique, à peine ais-je prononcé les mots Edith Piaf qu’il est prêt à me jouer la compile. Une discussion en vieil espagnol plus tard, j’en ai appris peu mais je me sens déjà mieux. Le récit du tumulte en Angleterre, couple de Roumains, emmerdes avec la police, la vie de vagabond, 8 ans à Cardiff, les joueurs d’harmonica de Yougoslavie… On gardera en tête cette référence à l’accordéoniste Richard Galliano et son fou rire. Et on oubliera le dérapage du grand gaillard vers les contrées de la dragouille. Ô naïve fillette qui n’a jamais cru à la puissance du loup dans la bergerie.
Une demi Kro dilapidée plus tard, je suis entraînée à une rencontre bitumeuse.
Toto et Tony et leur marmaille canine Bob et Jumpy ne savent pas ce qu’il y a cette année aux Francos. Ce sont surtout des punks à chiens anti-drogues et – à l’heure qu’il est – plus sobres que moi. D’autres punks à chiens passent, des vrais cette fois “Nique la police” les molosses aboient à s’en exploser la trachée, leur territoire est inquiété. “C’est à cause de gens comme ça qu’on est mal jugé après, on nous met dans la cour des alcooliques, des camés”. Niveau musique on est plus sur du Tarmac.
Vous cherchez un bon bar culturel et associatif à La Rochelle ? L’Aiôn, aux Minimes, derrière le MacDo. Un tuto pour faire la manche ? Ca marche en début de mois, le 5 parce que tous les zonards ont touchés le RSA. Un petit tour vers la ville, dans mon ivresse solitaire je me retrouve transportée au Troll Pub. 4.50 la pinte de Jupiler.
Julien n’est pas un pilier de bar mais un pilier du bar. Gardien des lieux pendant dix ans, il raconte l’aventure comme une grande histoire de famille. Ici ils ne vendent que de la musique française, autant celle d’il y a 50 ans que l’actuelle. Le Pub Troll c’est pas du tout français. Non ça vient de Norvège. Un mythe norvégien qu’on raconte aux enfants pour pas qu’ils se baladent pieds nus dans les forêts : tu sors pas la nuit si t’es pas encadré. Et quel cadre ! Quand Julien mentionne sa mission de barman aux Francofolies, les voix de fond des barmen brahment à l’unisson : « T’étais notre dieu barman là, merde ! »
Il déplore que maintenant on ne permette pas aux gens de gagner de l’argent à faire un festival, tout est trop réglé. “Aujourd’hui les gens veulent faire 35h et gagner des sommes astronomiques, ça n’est pas possible ! Quelle est la solution ? Bah juste se remettre au travail, tout simplement.” On a besoin de diversification. Les soirées sont longues pour les gens en fosse.
Le patron du Troll se souvient des petites bourettes. Un petit groupe de Paris, super sympa qui était venu jouer au bar avec Debout sur le zinc. Ils passaient beaucoup de ska aussi… Mais 2010, c’est déjà une autre époque. Au tour des deux barmen bodybuildés. Alors la musique française actuelle ? Hier l’un était aux Francos, “Il y avait M et Julien Doré, voilà moi j’aime pas mal, je suis pas fan mais ah ouais Julien j’adore le mec c’est un showman.”
Ils écoutent beaucoup de musique française, même de la vieille : Lenorman, Mike Brant, Patrick Juvet, les valeurs sûres quoi. “Ici c’est vraiment le bar un peu atypique là-dessus, que de la musique française, tout à l’heure ça va être surblindasse et tout le monde connaît la chanson.”
Retour vers le festival, quelques pogo-tapettes-dans-le-dos sur DJ Snake, avec des gamins qui s’excusent de bousculer. Mais voyons petits, la raison d’être du pogo c’est la défonce même. Excusez-vous de ne pas frapper assez fort.
Dimanche, dernier jour, un live enflammé de PI JA MA dans une salle assise et silencieuse, je refais le monde à travers les paroles d’une sexagénaire assise à mes côtés, elle sent fort le parfum de famille.
Un petit Lescop à vif et suffit les concerts, le ventre affamé de la Rochelle me lance de larges signes que je ne peux refuser, la Renommée me fait de l’oeil avec sa devanture rose. Un remontant plus tard et me voilà à discuter avec les anciens, un groupe d’amis motards qui se connaissent depuis 40 ans.
Bruno dit Nono n’est de prime abord pas branché sur la musique française actuelle. Avant, quand il bossait, il était sans arrêt dans le camion, au courant de tout. Lui ce qu’il aime c’est la musique britannique ou américaine, la new wave : Simple Minds, The Alan Parsons Project, Genesis. Côté Made in France, à part Indochine et Téléphone il préfère ce qui se faisait avant. Il n’est pas attiré par la nouveauté. Sa théorie ? Peut-être que comme il ne sait pas parler anglais et qu’il ne comprend pas les paroles, la musique le pénètre mieux. Tout est une question de rythme. Ah si, il y a un groupe français qu’il aime bien (de la conviction dans sa voix), “H.F Thiéfaine ! Ca ouais, ah ouais ouais, ça envoie.” Il a même été le voir en concert à Niort mais il y a longtemps, dans les années 1980. Il ne s’informe plus mais a toujours sa chaîne allumée. “De toute façon la musique c’est pas comme les hommes, ça vieillit pas.”
Dans sa chaîne ce matin il a écouté un truc qui a 50 ans, un Neil Young, il a aussi des trucs des années 60 : Sam Cooke, et un gars qui a été tué par son père, Marvin Gaye, enfin là c’est un peu plus récent parce qu’il est mort dans les années 80… Un autre mort dans un accident d’avion, un black américain, Otis Redding. “Alors ça !” ll était déjà mort quand il l’a connu par des copains au bahut. Il trouve que les noirs américains ont une musique formidable.
Bruno ne va pas aux Francos, déjà parce qu’il n’a pas d’argent. Mais il y a des bons trucs, une époque il a loupé un groupe français, Elmer Food Beat. Bruno pense que la musique est bonne de tous temps. Autant la nostalgie de quand il était tout petit, des trucs qui ont 60 ans et pour le reste, il y a Taratata.
L’autre soir, sur C17, il y avait un reportage sur un groupe américain qu’il a béni dans les années 1970 qui s’appelle Blondie. “Du rock un peu fun.” Il a connu l’époque du disco alors il aime le disco et ce qui s’est fait après, le funk, la new wave… Il n’aime pas trop le hard rock sauf Deep Purple, Aerosmith, Ten Years After. Il cite London Grammar et Temples, alors ceux-là, ils ont revisité les années 60 donc ça le concerne plus, ils ressortent des trucs modernes avec une connotation de pop musique des années 1970. Bruno trouve que chez les jeunes il y en a qui font des trucs vraiment bien.
Puis on en vient à l’instant icône : Bruno est fan de Gainsbourg. “C’est plus du texte que de la musique, enfin ça dépend, parce que quand il s’est mis à faire du reggae il a fait du reggae mais quand on voit les compositions qu’il a, même si c’est un peu marginal ou hard il a quand même élevé d’autres artistes pour qui il a écrit.” Il se souvient aussi dans sa jeunesse, un israélien qui s’appelait Mike Brant et dont il a une compile, bien sur.
Bruno a vu très peu de concerts dans sa vie, Thiéfaine, Higelin, Joe Dassin dans les années 1970. Le premier concert, c’est vieux, dans l’Île de Ré en 1971, il avait 15 ans, il était au bahut, un jour il y a un concert de Joe Dassin, sous un chapiteau, dans le stade de Saint Martin. “Je me souviens, je ne sais comment, avec des copains on a réussi à s’infiltrer pour aller le voir dans sa loge. Moi j’étais petit donc j’ai pu me faufiler, je me suis mis devant, c’est la première fois que j’ai vu un artiste de près. L’extase.”
Bon après il a aussi vu Higelin, pas épaté. Par contre quand il a vu Hubert Félix Thiéfaine ! “Ils avaient mis les gens dans une salle de cinéma et il y avait 400 personnes dehors, ils s’y attendaient pas parce que HF Thiéfaine ça leur disaient rien, puis quand on est rentré dans la salle, j’avais payé pour une place dans les gradins mais il n’y avait pas de tarif de place et pas de contrôle, on payait tous le premier tarif et on se mettait là où on voulait. On avait déjà fumé un peu, je ne sais pas ce qu’il y avait dedans, c’était peut-être le cannabis de maintenant, parait qu’il est plus fort mais j’en sais rien, je touche pas à ça.” Et puis c’est arrivé, il a tiré là-dessus et puis !
Mais il y en a d’autres que Bruno aurait aimé voir, les Rolling Stones… mais alors si il y en a bien un dont il est fan et dont il a toute la collection, pas le dernier parce que comme le chanteur est mort il y a deux ans faut qu’il attende que les prix baissent : c’est David Bowie. Pourtant, il ne le connaissait que depuis le début des années 1970. “Un jour y’a un copain qui m’a dit, là dans les années 2000,“Tu connais Bowie ?” je lui dis ouais – mais tu connais pas bien – et il m’a balancé des disques, alors je les ai pas tous mais j’en ai 80% des Bowie.” Il a donc les Genesis du premier au dernier. Aussi bien les premiers qui sont totalement différents parce que c’était sous l’égide de Peter Gabriel qui composait, qui est “formidable !” Après il a deux Peter Gabriel en solo. Que des vinyles.
Serions-nous en présence d’un ancien qui marche encore aux vinyles ? 200 vinyles, 200 CD. Mais il n’écoute plus de vinyles depuis deux ans à cause du chat de sa fille qui aime poser ses fesses sur la platine.
Avec sa fille, il fait comme pour beaucoup de choses “je préfère qu’elle voit par moi-même, heu… par elle même, ça s’appelle la liberté mais en même temps si je peux lui refiler ça me fait plaisir et c’est de temps en temps le contraire, quand elle m’a ramené du Gozilla (Gorillaz, Ndr). J’ai été content le jour où je lui ai fait écouter de la vraie musique, du Pink Floyd et qu’elle m’a dit “Mais je connais avec les copines on a écouté ça”.
Nono écoute aussi de la grande musique de temps en temps, du Beethov, du Mozart des Tchaikovski. Il rappelle que contrairement à ce que les gens pensaient au début du rock dans les années 60, que ça allait faire trois disques et que c’était foutu, et bien non.
Son savoir musical, Nono ne le tient de personne. Non, au début des années 60 il n’y avait pas de tourne-disque, pas de radio, on travaille, c’était strict, c’était tu manges, le repas est fini, tu vas te coucher, point. Il se souvient de certaines après-midi chez une dame qui le gardait, quand elle allumait la radio, les Rolling Stones des années 1960 chantaient, c’était autre chose que les Rolling Stones à partir de 1974-75; là ça a dégénéré. Il me parle d’une interview de Mick Jagger qui disait que pour les prochains concerts, avec l’autre qui est tout défoncé là, Keith Richards, que ça faisait 45 ans qu’ils n’avaient pas joué des morceaux comme “Paint It Black, Lit it bliid (sic), Jumping Jack Flash, c’est pas comme le rock disco qu’ils ont fait après !”
Ce que Nono n’aime pas trop c’est le jazz mais il en écoute quand même parce qu’il ne comprend pas cette force et cette liaison psychologique qu’il peut y avoir, c’est une musique où les instruments partent dans des sens différents. Bon ce qu’il n’aime vraiment pas trop c’est le rap mais c’est normal, quand il était jeune les gens n’aimaient pas trop donc, enfin ça dépend, il y en avait un là, un black qui s’appelait MC Solaar. “Caroliiine”. il y avait des textes. Puis après il y a eu toute une série de ce que Bruno appelle les pitbulls communistes au crâne rasé qui avaient la haine de tout le monde. “NTM je pouvais pas les piffrer à cause de l’attitude dans la vie de Joey Starr, j’ai pas aimé le jour où il a été mettre un coup de poing dans la figure à une hôtesse de l’air qui lui avait dit d’éteindre sa cigarette, une attitude vraiment déplorable. De toute façon il le paye lui-même parce qu’il est accro à l’alcool.” Mais le rap c’est pas une musique de sa génération. Après il y a un truc qu’il avait un peu aimé, que faisait Diam’s, du slam ils appelaient ça, il y avait un peu plus de rythme. (Le saviez-vous, Diam’s et le slam, une grande histoire).
Dans la musique Il y a des modes aussi en fonction de ce que tu vis, son copain Didier au début il était rock’n’roll après il est passé baba cool, Thiéfaine et compagnie. Et après il est repassé à AC/DC sans jamais tomber dans le hard rock… Il a aimé le disco aussi. Il dit que “Si tu commences à fréquenter des baba cool tu vas écouter du Thiéfaine et te mettre à fumer des pétards à en chier.”
Didier lui, a vécu les premières Francos “à donf”. C’est simple pendant trois jours avec trois copains il n’a pas dormi. Mais par contre c’était gratos ! Ce qui a monté les Francofolies pour lui c’est d’abord les premières années à la Rochelle.,Et il y avait une zone pas possible, t’avais des trains qui arrivaient de Paris, selon lui, c’est ça qui a fait monter le produit. “Et t’arrivais plusieurs années après, il y avait les grosses vedettes style Johnny Hallyday, le Francis Cabrel : ça devenait payant, ça a changé de public, de tout, c’était un business.” Les Francos comme le Printemps de Bourges et les Vieilles Charrues, tout était gratos au départ.
Le mieux que Didier ait vécu, c’est pas les Francos, c’était un concert des Rolling Stones, il y avait aussi Téléphone, quatre groupes, presque gratos, à l’hippodrome de Longchamp. Il raconte qu’à cette époque il n’y avait aucun CRS, il y est retourné avec Bruno quelques années plus tard : les bagnoles, 30 cars de CRS, les places numérotées.
Et un autre truc extraordinaire, organisé par la ville de la Rochelle, il ne se souvient plus de l’année. La ville qui payait le car de la Rochelle à Paris pour aller voir un concert, “Tu payais deux francs, tu montais à Paris, tu redescendais avec le même car et tu voyais des vedettes”. Ca s’est jamais refait. “C’était parti d’un truc hyper rigolo, dans un bar je vais aux pissotières, t’as un mec qui arrive à côté de moi, il pisse et il me dit “Ca vous gène pas de pisser debout ?” Il veut me regarder la kékette, c’est quoi ce client là, puis l’autre il était branché musique et il me dit que La Rochelle fait partir des cars pour un concert à Paris. Et ben grâce à ce mec-là -bon il m’a pas branché hein, tu montais à Paris, pendant toute une soirée tu voyais un concert qui durait 4-5 heures, de vedettes, après tu dormais où tu pouvais, sur la pelouse, par-terre.”
Une ultime trinquette, un échange de compte Facebook inter-générationnel et me revoilà arpentant le bitume à la rencontre de la prochaine âme qui me redonnera foi en la musique de France.
3 commentaires
P S G nique les bretons! @ la con vs @ la couille!
Merci pour cette nouvelle.
‘adore
çà pue des pieds!