Alors qu’on pensait que les étagères de la contre-culture française des années 70 avaient déjà été pillées par tous les soldats de l’ombre du digging, restait encore visiblement un tiroir à ouvrir : celui où dormaient silencieusement les disques pressés, parfois à l’unité, parfois à moins de 100 exemplaires, par le Kiosque d’Orphée. Cinquante ans après, Born Bad rouvre cette fantastique boite de Pandore sur une compilation aussi unique que l’histoire de chacun des morceaux.

Il faudra un jour qu’une plume se décide à raconter l’histoire de Jean-Baptiste Guillot. On en viendrait presque à regretter que les Belges derrière l’émission culte Striptease aient débrancher leurs caméras, tant l’idée qu’une bande de loufoques puisse suivre le patron de Born Bad aurait donné un fantastique épisode.
Les téléspectateurs du service public auraient ainsi pu découvrir, par exemple, comment ce boulimique jamais rassasié est capable de se taper 100 kilomètres à moto en une demie-journée, à gober des moucherons par un temps de merde, pour se cogner un rendez-vous professionnel dans un Flunch de l’Île-de-France dans l’espoir de conclure un deal pour la réédition d’une obscurité de jerk-funk de 1985 et qui s’écoulera peut-être péniblement à 500 ou 1000 exemplaires dans des cartons qu’il aura lui-même pris le soin d’expédier. Si ce n’est pas un exemple d’héroïsme musical contemporain, on ne voit pas trop ce que c’est. Alors oui, bien sûr, d’autres chemins sont possibles : ouvrir un compte Instagram pour balancer des informations marrantes en carrousel, c’est sûr. Inaugurer un compte Bandcamp en grandes pompes avec vos cinq amis digitaux, pourquoi pas. Faire un happening avec des gens déguisés en Panda en zone 5 Navigo, c’est une idée. Mais aucune de ces alternatives n’a la même odeur qu’un bon vieux disque qu’on a ardemment cherché pendant des années tel un Indiana Jones du microsillon.

Ainsi donc, voici « Kiosque d’Orphée – Une épop​é​e de l’autoproduction en France – 1973​/​1991 ». Une nouvelle compilation Born Bad faisant suite à « Prends le temps d’écouter », dédiée à la musique d’expression libre dans les classes Freinet, et qui réussit l’exploit de creuser le trou de l’underground encore plus profond, puisqu’il est cette fois question d’une histoire que personne n’a jamais entendu, et pour cause : en 23 titres, Born Bad s’improvise Alain Decaux des nuggets françaises et relate l’histoire de la machine à presser de Georges Batard, un ingénieur du son illuminé qui proposa de 1967 à 1991 à des centaines de groupes anonymes de presser leurs compositions à la manière qu’on aurait eu d’aller au photomaton pour le plaisir d’imprimer un cliché unique.

Cette compilation, c’est comme découvrir l’Amérique en 1492

« Le Kiosque d’Orphée n’était ni un label ni un éditeur, mais une structure qui vous permettait de presser vos propres vinyles » explique l’encore plus illuminé Sacha Sieff, music supervisor et curateur de ladite compilation, « et le point commun de la plupart de ces disques, c’est la jeunesse de leurs auteurs-compositeurs, qu’ils aient fait carrière ou non ». L’autre point commun entre tous ces titres, c’est la fraicheur qui s’en dégage, avec l’impression d’entendre tantôt de la folk à côté de laquelle Ilous & Decuyper passeraient pour les Jackson 5, ou des inédits library de chez Télé Music. « Des histoires de potes, de débrouilles et de rêves de gloire » parfois pressées à moins de 50 exemplaires avec des pochettes handmade magnifiques, selon le budget des musiciens passant par la machine de Georges Batard, et qu’on retrouve là, cinquante ans plus tard, intacts dans leur écrin.

« Avec le Kiosque d’Orphée, c’était désormais possible de faire son disque, sans avoir à passer l’examen d’une signature dans un label ».

Le résultat ? Encore plus beau que dans vos rêves les plus fous. Cette compilation, c’est comme découvrir l’Amérique en 1492. C’est comme faire l’amour la première fois, et répéter l’exercice 23 fois d’affilée. On entend des versions préhistoriques des Mystérieuses cités d’or (Kennlisch), de l’acid folk pressée par des lycéens à 247 exemplaires avec un solo de guitare absolument mémorable (Crystal Eyes), une symphonie pour 3 œufs brouillés qui rappellerait presque la première époque de Fleetwood Mac, et des noms de musiciens tellement random (Joel Boutolleau) qu’on peine à croire qu’ils aient pu composer de telles beautés sans poser leurs mains dans le ciment du Hollywood Walk of Fame.

Bandcamp du chelou

Le kiosque d’Orphée, à comparer à ces imprimantes Instagram permettant de faire imprimer vos rapidement vos photos floues, se regarde à rebours comme ces hotels de province où l’on échoue faute de mieux. Sans la persistance de son tenancier Georges Batard, père du célèbre bassiste Didier qu’on retrouvera plus tard derrière Christophe, Heldon ou Space Art, la grande majorité des musiciens incognito ici à l’œuvre n’auraient pas connu la postérité qui leur sera ici offerte moyennant quelques anciens Francs. « Vous n’aviez qu’à envoyer vos bandes et à choisir le nombre d’exemplaires de disques avec lesquels vous repartiriez sous le bras, pour pouvoir enfin partager vos créations et, d’une certaine manière, exister » explique Sacha Sieff, « avec le Kiosque d’Orphée, c’était désormais possible de faire son disque, sans avoir à passer l’examen d’une signature dans un label ». Une sorte de Bandcamp avant l’heure, et qu’on redécouvre aujourd’hui fasciné avec l’impression d’avoir découvert les vestiges enfouis de la cité de l’Atlantide sous un vieux tapis persan.

Compilation Kiosque d’Orphée 1973 – 1991 // Sortie en triple vinyle chez Born Bad.

1 commentaire

  1. pas tout les rsd24 ,ont etes vendus equal a invendus comme tjrs a voir la selec du 66 çà vole bas & y’a pas un rond!

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