Même si depuis 2008 Jean-Louis Costes fait aussi des concerts plus traditionnels, c'est bien pour ses opéras pornos-sociaux qu'il est encore célébré comme le messie de l'underground. Jean-Louis, ce faux oncle de banlieue parisienne, est peut-être mort mille fois dans ses chansons, mais les performances de Costes, le héros solitaire, font toujours partie de ma vie. Vingt-cinq ans plus tard, les deux premiers concerts auxquels j'ai assistés sont encore très présents dans mes souvenirs…

Mais qu’est-ce qu’un opéra porno-social ?

En 1988, Costes rencontre la chanteuse et écrivaine américaine Lisa Carver, et c’est avec elle que les premières vraies performances prennent forme : violentes, dérangeantes et drôles à la fois.

Alors qu’en studio il travaille en solitaire, sur scène il aura souvent recours à des complices, hommes et femmes. Ses shows ont été joués dans toute l’Europe, mais aussi au Japon et aux Etats-Unis. Ces concerts ne sont jamais une simple extension d’un album mais toujours un spectacle à part entière, où l’action y est très dynamique. C’est une forme de théâtre chanté, à l’intensité surréaliste, et qui développe en général un thème de long en large, de ses aspects les plus triviaux à ceux les plus profonds.

Cover DVD : Costes & Suckdog Live Shows 1989-1992.
Cover DVD : Costes & Suckdog Live Shows 1989-1992.

Sous une apparence chaotique, la représentation est organisée autour d’un scénario, dirigé par une bande-son en playback qui sert de fil conducteur, et Costes y chante par-dessus. Adepte du premier degré, il ne développe presque pas l’aspect psychologique de ses personnages et leurs réactions sont instinctives. La mise en scène est également primitive, les actes sont instantanés et les situations sont peu exprimées par des dialogues, à l’opposé du théâtre traditionnel. Sur scène, les corps sont utilisés comme un médium, au service de l’histoire et du spectacle final, et peu importe ce que ceux-ci doivent subir pour y arriver.

Ses opéras pornos-sociaux sont souvent mal interprétés par les spectateurs, qui les réduisent principalement aux situations limites qu’ils représentent, c’est à dire le sexe, la violence ou la scatologie. Pourtant Costes n’y recherche pas uniquement la provocation, mais en choisissant de placer les vices et les excès de l’humanité au centre de sa démarche artistique, il ambitionne plutôt de montrer la réalité telle qu’elle est. La nudité omniprésente est agressive, mais nécessaire pour accentuer la faiblesse des corps, autant que pour mettre en contraste les costumes, toujours représentatifs des symboles sociaux aliénants.

Costes & Lisou Prout : opéra Little Birds Shit (Toronto, 2007).
Costes & Lisou Prout : opéra Little Birds Shit (Toronto, 2007).


Mon premier concert de Costes, le 27/06/1990 aux EPE : Show Sorcière.

Au début des années 90, les Établissements Phonographiques de L’Est était un lieu situé près du métro Père-Lachaise et entièrement dédié aux musiques « divergentes ». A cette époque à Paris, c’était le seul magasin autant spécialisé dans ces styles : Odd-Size n’avait pas encore ouvert sa boutique dans le 18eme, New Rose était bien plus punk/post-punk et même si Danceteria proposait de l’indus, les musiques expérimentales plus extrêmes n’y étaient pas réellement représentées.

En bas, à la cave, c’était la salle de concert, et au-dessus le magasin de distro où on pouvait y trouver fanzines, vinyles et K7 de toute cette scène industrielle/expérimentale/noise. On y dénichait les projets les plus obscurs, et souvent avec des packages hand made tous plus originaux les uns que les autres. Je me rappelle notamment y avoir vu ce vinyle de Zoviet France avec cette fameuse pochette en toile de jute.

Dans cette salle, j’ai aussi assisté à beaucoup de shows, surtout en indus et assimilés : Die Form en 1990, The Haters en 1991 ou encore Whitehouse en 1993, pour ne citer que quelques groupes parmi les plus connus.

Pendant mon adolescence j’ai été biberonné par la cold-wave mais c’est en découvrant Einstürzende Neubauten en 1989, que j’ai commencé à m’ouvrir à des musiques plus expérimentales. Et comme j’ai toujours été passionné de concerts, cette soif d’expérimentation s’est évidemment traduite par un vif intérêt pour les performances en tous genres.

C’est de cette manière, qu’en cet été de 1990, à 18 ans à peine, je me suis retrouvé pour la première fois dans la cave des EPE.

J’y suis allé avec quelques potes goths, tous entrainés par un autre ami anarcho-punk dans l’âme qui possédait déjà quelques K7 de Costes. Une panne de courant dans le quartier a fait jouer Jean-Louis dans des conditions très spartiates : éclairage à la bougie, la bande playback diffusée sur un lecteur portatif, la basse branchée sur un mini ampli à piles et il n’y avait pas de micro pour la voix.

Mais Costes, en solo pour ce show, a pourtant tout donné pour restituer l’atmosphère de son CD Sorcière, et faire que ses chansons dédiées à sa belle et cruelle Darlyne, ainsi que d’autres titres dans la même thématique, prennent vie. Notre guerrier amoureux s’est désespéré du mensonge des sentiments, a questionné le mystère féminin et invoqué le sexe et ses fluides corporels. Il a éructé ses comptines déstructurées sur l‘amour véritable, celui qui brise et qui rend fou.

« L’amour est un enfant de pute, il agite son cul et je marche comme un con ».
« L’amour est un enfant de pute, il agite son cul et je marche comme un con ».

Pendant le concert, je me souviens qu’un type bien bourré se rapprochait tout le temps de la scène, et a fini par être embarqué dans le spectacle, malgré lui, mais en fan consentant et dévoué à la cause Costienne.

Costes, la première fois, c’est un dépucelage musical et visuel. Ensuite seulement, c’est un questionnement, voire une réflexion. Costes, c’est la tête, le cul et les tripes en une seule chanson.

Pour l’anecdote, j’ai acheté le CD Sorcière en 1991, non pas aux EPE ou par mailing list comme on pourrait s’y attendre, mais au rayon solde dans une Fnac de banlieue parisienne. Je me demande encore à l’heure actuelle comment ceci a pu se produire.

En arrière-plan : bougies et radiocassette à piles.
En arrière-plan : bougies et radiocassette à piles.


Mon deuxième concert de Costes, le 04/07/1991 au Rex Club : Opéra porno-social Partouzes à Koweït-City.

Cette fois j’y suis allé avec un pote que j’avais rencontré via ma passion pour les bootlegs et les K7 live. Echanger des pirates audio par voie postale avec de parfaits inconnus, mais qui pouvaient par la suite devenir de vrais amis, était assez courant à cette époque.

On est arrivé très tôt et on a croisé Jean-Louis et sa troupe en début de soirée, devant la salle. Discussion : home-taping, performance, zic. Ni une ni deux : on se retrouve sur la guest-list.

C’était vraiment une affiche assez improbable puisque déjà, un concert de Costes au Rex Club était complètement incongru, vu que c’est plus une boîte de nuit qu’une salle de concert. Et en plus la première partie était une formation nommée Les Cousteaux, et dans laquelle chantait Denis Bortek de Jad Wio. Ce groupe éphémère n’aura visiblement pas laissé de traces discographiques conséquentes et je n’ai qu’un souvenir très vague de leur concert. Il y avait donc Denis Bortek accompagné d’une autre chanteuse, et musicalement c’était un genre de rock un peu cabaret.

On était en tout cas très loin des premières parties classiques de Costes, c’est-à-dire celles issues des musiques industrielles ou plus punk, celles affiliées à la chanson française dégénérée, ou bien celles appartenant au vaste champ des performances et autres expérimentations.

Cet opéra porno-social Partouzes à Koweït-City a été joué seulement quelques fois en 1991, et sa bande-son était la K7 du même nom. Le nombre important de personnages décrit, les multiples situations imaginées ainsi que les différentes variations d’ambiances sonores faisaient d’emblée de cette production une œuvre faite pour le live.

L’autre spécificité de cette K7 est que, bien qu’il y a eu d’autres albums de Costes qui ont traité de sujets sociaux-politiques, c’est probablement le seul à avoir abordé un évènement politique unique, et de manière si circonscrite.

Pour les incultes et les moins de 35 ans, je rappelle que ce fils de pute de Bush Junior avait un enculé de père qui avait été encore plus bâtard que son connard de fils en déclenchant la guerre du Golfe en Janvier 1991. Cette guerre a été une putain de saloperie pour l’Irak et sa population : opération Tempête Du Désert pour les uns et uranium appauvri pour les autres. En bon reporter de notre inhumanité, Costes a participé à l’évolution de l’espèce avec cet opéra qui, quand il ne l’a pas joué seul, fut parmi un de ceux avec le plus d’intervenants.

Je me rappelle bien du début du show, avec ces « Je veux la guerre » répétés par l’ensemble des performeurs, comme sur l’introduction de la K7. Le ton était donné d’entrée de jeu : ça crie, ça hurle, ça gesticule dans tous les sens et ça parait déjà incontrôlable. Les textes diffusent une prose ultra belliqueuse souvent teinté de racisme deuxième degré ou d’élucubrations sexuelles délirantes. Costes est un pilote de bombardier et nous, le public, sommes la cible de ses skuds verbaux : son apologie de la haine devient une œuvre d’art guerrière totale. Dégât collatéral : une des filles est partie avant la fin, déshabillée de manière trop téméraire par l’un de ses complices masculins.

Chaos Costien au Rex Club.
Chaos Costien au Rex Club.

Je n’en ai plus le souvenir mental, et les photos que j’ai prises ce soir-là n’en disent rien non plus, mais il y a certainement eu des parties du spectacle qui étaient moins agitées, à l’instar de certains morceaux de la K7. Comme ce soldat pleurant son ami mort au combat, ou encore cette scène d’amour avec Saddam Hussein dans un Bagdad en ruines.

Quoiqu’il en soit, ce soir-là, j’ai vu des punks qui faisaient les avions, une fille en bas résille avec une perruque bleue, un gars en toge, un autre avec un tee-shirt léopard, tout le monde en l’air, ou par terre, au début habillés, moins à la fin, voix hurlées, corps arqués, humour-horreur, rires-cris.

Dans mon souvenir, le spectacle finissait en partouze générale, ultime apothéose orgiaque célébrant la vie après le chaos. Cette conclusion idéale n’a en fait jamais eu lieu, puisque Jean-Louis m’a confirmé récemment que le show avait été interrompu avant la fin.

Pour résumer la VHS qui est sortie par la suite (et récemment rééditée en DVD-R), Costes précisait : « Tournée européenne avec une bande de punks bourrés obsédés du cul ».

Certes, cette description ne rend pas vraiment hommage au concept de la performance, mais il est vrai que, à cause du bordel généré par autant de participants énergiques, le show dérapait en permanence vers une pagaille hors de contrôle.

Jean-Louis, apôtre au corps nu, restait l’unique rempart de la scénographie originelle. Costes, contre son propre camp, défendrait jusqu’au bout l’identité de son spectacle.

Jean-Louis Costes, seul contre tous, gagne toujours à la fin.
Jean-Louis Costes, seul contre tous, gagne toujours à la fin.

Les photos live à Toronto et au Rex Club sont de Cyril Adam, l’intégralité des photos de l’opéra porno-social Partouzes à Koweït-City sont visibles sur son blog. Les autres images proviennent des archives de Jean-Louis Costes.

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