Avec son cinquième album, « Renegade Breakdown », la Canadienne Marie Davidson semble être arrivée au sommet de son art ; rappelant aux uns qu’il est inutile d’être un homme pour penser une musique synthétique ambitieuse, aux autres que se revendiquer femme ne suffit pas toujours à s’imposer entre deux paires de testicules. Au centre de ce débat, une énorme boule de feu dévale sur le dancefloor et c’est l’une des plus belles jouissances de cette rentrée sans orgasme.

En 2020, elles sont partout : les femmes. Revendiquant des droits bien naturels, occupant l’espace médiatique comme rarement auparavant, jusqu’à faire des mecs de vieux objets ringardisés par leurs propres postures. On pourrait trouver à redire dans certaines croisades, notamment sur Twitter où la « chasse aux sorciers » semble lancée dans tous les secteurs pour faire tomber la toxicité masculine, quitte à faire des victimes collatérales. Franchement, peu importe. Le fait est qu’elles sont là et que cela ne simplifie rien, musicalement parlant.

D’un côté, une armée de clones féminines manipulées par l’industrie comme France Gall à l’époque des Sucettes, chantant toutes à peu près les mêmes refrains RnB (Wejdene) et avalant peu ou prou les mêmes couleuvres sans lendemain dans des bureaux climatisés où l’on promet la gloire sur TikTok et 300 000 vues sur YouTube ; autrement dit : pas vraiment une victoire pour le féminisme.

De l’autre, une poignée d’artistes ayant laissé la rancœur masculine au vestiaire et luttant surtout pour une avancée dans les tranchées. Disque après disque, Marie Davidson y fait son trou, sans casque. « Les adieux au dancefloor » (2016) puis surtout « Working Class Woman » (2018) avaient ceci en commun qu’ils désexualisaient le combat et pouvaient s’écouter peu importe la taille de ce qu’on avait entre les jambes. Mais le dernier né, à traduire en français par « panne de renégats », va encore plus loin en proposant une escapade sur les terres de la pop mainstream ; là où justement les vrais combattants manquent à l’appel.
« You want a weapon of mass destruction, I give you demonstration… » Ecrire qu’il se passe quelque chose dans le corps dès les premières secondes de « Renegade Breakdown » est en dessous du vrai. Merde, Davidson a viré rock. Attendez, en fait, on dirait le Thriller de Michael Jackson gonflé avec une basse techno-funk. Puis, quelques secondes après cette hésitation sourde de l’auditeur, cette voix affirmée enfonçant le clou : « … and by the way, there are no money makers on this album, this time I’m exploring the loser’s point of view ». Voilà, le disque a commencé depuis seulement 40 secondes que la partie est déjà gagnée pour la Canadienne. En deux phrases, elle pulvérise autant le foutage de gueule de l’industrie que les musicien.ne.s cherchant le succès à tout prix. La suite sera une lente dégringolade dans le sublime.

Before & After

On aurait tort de croire que « L’adieu au dancefloor » de la moitié d’Essaie Pas marquait la fin de la parenthèse électronique pour Marie Davidson. Lassée de certains comportements nocturnes, fatiguée par la routine du samedimanche et de ces nuits où son public s’enfonçait plus de choses dans le nez que dans les oreilles, Davidson a tourné casaque. Pas à la musique, mais à la manière de la faire. S’en est d’abord suivi le single Work it, réponse instantanée aux fainéants sur un mode techno brute. Et dont le remix par les justiciers de Soulwax n’a fait qu’aiguiser les contours. Jusqu’à être nommé aux Grammys 2019.

Et puis un an plus tard, changement de direction. Si l’on reprend l’écoute du titre Renegade Breakdown là où l’on avait laissé deux paragraphes plus haut, on entend désormais l’influence décomplexée de Mylène Farmer sur un refrain passionnément diabolique et, en écho, l’histoire de toutes ces femmes fortes ayant percé le mur en béton en gérant leur carrière comme un business, et leur musique comme un produit non bradé. C’est l’histoire de Madonna avec son label Maverick ou, plus près de nous, de Christine and the Queens devenue Chris, pour le plus grand malheur des hommes en excès de testostérone.

Plus libre que libertine, Marie Davidson s’essaie donc cette fois au rock synthétique, ou à la synth-pop burnée, c’est selon. En résulte Back to rock (et « finies les conneries », devine-t-on en sous-titre) deuxième morceau en descente de drogue donnant l’impression d’un énorme after triste après trop de fêtes sans sommeil (« till it’s twelve o’clock, maybe it’s time to rock »). Et puis le virage continue, encore. Avec des pleins et des déliés, n’empruntant jamais le même chemin deux fois. Parce que c’eut été trop facile.

À écouter : Marie Davidson signe un retour sombre aux 80's avec le groupe L'Œil Nu | Trax Magazine

On n’ira pas forcément par quatre chemin, cet album est certainement mieux que tout ce que le gros James Murphy a pu sortir sur son propre label (DFA) depuis 10 ans, et où Essaie Pas fut signé dès son premier album en 2016. Le fait est que Davidson, de par son âge (33 ans), n’a pas encore arrêté de chercher. Et si la pochette pourrait laisser croire qu’il s’agit d’un cinquième album solo, il n’en est rien. Un groupe a été crée dans son dos de front woman. Nommé L’œil Nu, on y retrouvé Asael Robitaille (Bataille Solaire) et Pierre Guérineau (l’autre moitié d’Essaie Pas). A eux trois, et telle cette armée de bras cassés de la pop dont il est question dans l’intro de Renegade Breakdown, ils se frottent à la musique populaire mais à leur manière ; c’est à la fois complètement raté (trois Canadiens issus de l’underground ne gagneront jamais un Grammy contre Kanye West) et génialement réussi. On a parfois l’impression de côtoyer dans une même pièce Laurie Anderson (Center of the world), Yelle et Lio (C’est parce que je m’en fous).

Album indispensable ? Certainement. Infatigable travailleuse du texte depuis 2007, Marie Davidson dépasse ici la guerre des sexes et sans forcer le trait ni s’étendre sur le sujet, donne un vrai corps à cet horripilant empowerment dont il est tant question dans les magazines. En dix titres tantôt électroniques, rock FM eighties et ballades à poil (Just in my head), cette femme des années 2020 jusqu’au bout des mains tient peut-être la chance ultime : ne plus être considérée comme une DJ-chanteuse, mais comme un artiste.

Marie Davidson // Renegade Breakdown // Ninja Tune
https://mariedavidson.bandcamp.com/album/renegade-breakdown

9 commentaires

Répondre à badggy 3 zeros Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages