L’été n’est plus qu’un lointain souvenir, emportant avec lui la saison prolifique des festivals qui se multipliaient chaque week-end ainsi que les anecdotes vaseuses de camping qui vont avec. Chacun a eu l’occasion de trouver botte a son pied (tant bien que mal) dans l’offre nationale qui ne cesse de s’étendre chaque année ; et tandis que la grande bataille de 2018 était de savoir où diable était passé le rock (le vrai) dans ce monde de bisounours : la réponse semblait se trouver du côté des Pays-Bas pour la première édition d’un tout nouveau-né : Le Fuzz Club Eindhoven. J’étais le seul représentant français à pouvoir témoigner de l’ambiance, je vous raconte ça. Du moins, de ce que je me souviens.

Ne nous voilons pas la face : 2018 n’était pas un grand cru pour le rock parmi les différentes programmations de festivals français. Pendant que l’on se demandait comment Rock en Seine avait encore l’honneur de porter son nom face à un des plus mauvais line-up de son histoire et une Route du Rock qui semble avoir fait une édition de repli pour compenser une cuvée 2017 complètement fofolle, la question était toute entière :

« MAIS OÙ TROUVER UNE PUTAIN DE TERRE PROMISE POUR POUVOIR APPRÉCIER DES RIFFS DE GUITARE SANS DE COLTINER DES GROUPES INDÉSIRABLES ET UN PUBLIC RELOU ? ».

Va voir ailleurs si j’y suis

Il suffit de regarder quels sont les 20 artistes les plus programmés en France cette année pour se rendre compte dans quel bourbier national nous sommes en train de nous embarquer. Et comme souvent, quand tout va mal, on a tendance à aller voir du côté des voisins pour constater si l’herbe est aussi sèche et aride que chez nous.

Après avoir mené l’enquête, un festival se démarquait du lot alors qu’il ne s’agissait que de sa première édition. Pas moins de 35 groupes éparpillés sur deux jours dans une petite ville des Pays-Bas, avec un pass à moins de 75€ et des concerts programmées de 16h de l’après-midi à 4h du matin ; soit 12h de concerts par jour avec autant de groupes emblématiques que de formations en plein envol. Constatant effectivement que l’herbe semblait plus verte du côté des Pays-Bas (vous l’avez ?), c’est à bord d’une Clio avec un équipage de 5 moussaillons que j’ai décidé de me rendre à Eindhoven, ville frontalière avec la Belgique et à 4h de route de Paris, pour le Fuzz Club Eindhoven. Ayant lieu le même week-end que Rock en Seine, et bien décidé à fuir un énième apéro Ricard où l’entre-soi respire encore plus la consanguinité qu’en Picardie : le choix était évident. Déso PNL. Magnéto :

Les petits plats dans les grands

Derrière les manettes de ce grand rassemblement complètement halluciné, et qui a réussi à faire venir plus de 1.500 curieux de partout dans le monde : Fuzz Club, label anglais qui porte un amour particulier pour les guitares au son bien saturé depuis 2012, les gérants de la superbe salle de concert Effenaar à Eindhoven, ainsi que les organisateurs de l’Eindhoven Psych Lab, festival qui se déroulait dans la même salle jusqu’à l’année dernière.

Cette triple alliance a permis de donner naissance à un line-up complètement dingue. Clairement, la tendance était donnée au psychédélisme sous ses différentes formes, de la plus douce (Holy Wave) à la plus énervée (GNOD), des plus mythiques (Spectrum, aka Sonic Boom des Spacemen 3) aux plus modernes (Radar Men From The Moon) avec également une présence française que l’on aurait tord de négliger (You Said Strange et les Limiñanas). Même si quelques noms semblaient familiers, la majeure partie de la programmation demeurait totalement inconnue de la plupart des gens. Avec un bon nombre d’artistes provenant du catalogue de Fuzz Club (Black Lizard, Sonic Jesus, Desert Mountain Tribe, NONN, The Gluts, etc.), le festival misait autant sur la découverte que sur des groupes qu’on ne présente presque plus (coucou les Black Angels et A Place to Bury Strangers).

Avec une configuration digne d’une partie de ping-pong infernale entre deux salles (une de 1300 places et une de 400) et aucun temps mort entre les différents groupes : c’est un véritable marathon qui a eu lieu pendant deux jours et où des sacrifices étaient indispensables pour entretenir cancer du poumon, cirrhose et autre dalle insatiable. Jugez plutôt ce programme de l’enfer :

« – Tant pis, on mangera pas. »

La cohérence entre les groupes et le fait qu’ils s’inscrivent tous dans une certaine vision de la musique psychédélique fait du Fuzz Club Eindhoven l’un des festivals les plus qualitatifs qu’il m’ait été donné de faire. On a l’impression de se croire au Levitation, avec son lot de jeux lumineux qui amusent les yeux et un fort pourcentage de reverb présent dans chaque formation, mais avec un line-up aux accents beaucoup plus underground. Comme si on embarquait dans une montagne russe crescendo, avec la programmation qui devient de plus en plus violente au fur et à mesure de l’heure qui avance. Mise en situation radicale avec un groupe digne d’une BO de Gaspar Noé qui est passé à 3h du matin le premier soir.

Deux salles, deux ambiances

S’agissant de mon premier festival au-delà des frontières françaises, les comparaisons deviennent vite impossibles à ne pas faire tellement les différences sont flagrantes ; ou du moins dans le cas de ce festival là.

Premier point : la sortie n’est pas définitive, chose impensable en France d’un point de vue sécurité et business. D’autant plus que le Fuzz Club se déroulait en intérieur, libre à vous donc d’aller fumer votre cigarette ou votre trouvaille du Coffee Shop en plein air, et de planquer dans des bussions des bières préalablement achetées dans les supérettes du coin pour faire quelques économies. C’est peut-être un détail tout con, mais ça donne le sentiment de ne pas être pris pour une vache à fric coincé dans un enclos et condamné à dépenser l’intégralité de son argent pour survivre dans un espace fermé ; et ça fait plaisir.

Deuxième point : le vestiaire auto-géré. Ici, pas de queue interminable pour poser son sac ou sa veste ni d’embrouille avec les objets disparus à cause de la bénévole en charge des tickets : la salle d’Effenaar est truffée de casiers à libre-disposition. Du coup, chacun se démerde, et y’a la place pour tout le monde. La seule mission reste alors : ne pas perdre sa clef.

Troisième point : la pinte est à 4,50€, et un large choix de bières en bouteille (oui oui, des bouteilles en verre, coucou la sécu) était proposé. Qui dit mieux ?

Quatrième point : il y a des distributeurs de cigarettes dans le fumoir. Parfait quand tu arrives à la fin de ton paquet à 2h du matin, et que tu te vois mal chercher un tabac ouvert dans un pays où les gens parlent une des langues les plus bizarres au monde.

Cinquième point : le public. Les gens savent pourquoi ils sont venus, et l’ambiance générale est géniale. Ça glisse tout seul, quand en France tu auras toujours un moment donné des petits cons sous amphétamines pour te bousculer et renverser ta bière ou des relous pour parler juste devant toi pendant des heures alors que le groupe en face était clairement en train de te transporter ailleurs.

Sixième point : Fuzz Club voulait faire de la place dans ses armoires, et vendait tous les vinyles de son catalogue pour 10 euros. Autant vous dire que c’était légèrement la guerre dans les bacs à galettes. C’est pas au Pitchfork qu’on pourrait voir ça.

Septième point : Il y avait des DJ Sets durant toute la durée du festival. Ici, l’after n’attend pas le dernier soir, et la musique est toujours de bon goût ; à 17h comme à 4h du matin. Il était plutôt marrant et improbable de croiser le tenancier de la chaîne YouTube Captain Beefart, connu pour mettre en ligne des pépites d’albums psychédéliques, s’encanailler derrière des platines (abonnez-vous, c’est un bon gars).

Expérience tri-dimensonnelle, avec ici les Dead Rabbits

Une communion éphémère pour une communauté internationale

On ne va pas se mentir, ça transpirait un peu le LSD sur les murs et ça ne sentait pas que le tabac dans les cigarettes des gens (faites gaffe à l’Amnesia, c’est puissant). Mais qu’importe, ce ne sont que des détails (légaux) qui sont venus aromatiser un week-end de festivités. Et malgré le fait que ce soit la première édition du festival, plus de 35 nationalités différentes étaient représentées, et il était plutôt agréable de fumer sa clope (ou autre) tout en faisant connaissance avec autant d’Anglais que d’Américains, d’Allemands, d’Autrichiens et j’en passe. Peu de français dans les parages, environ une cinquantaine, mais qui étaient tous massés devant la scène au moment des Liminanas ; étonnement. Dans tous les cas, le constat était frappant : voir autant de personnes attirées par la musique à base de fuzz était tout simplement jouissif, et cela temporise avec le fait que ce soit un style peut-être souterrain par rapport au rap ou au hip-hop par exemple, mais qui attise quand même les foules. On n’est pas tous seuls, bordel, on est une grande famille.

– Et sinon, tu fais quoi dans le vie ?
– J’habite à Londres, je jouais dans les Spacemen 3 et ce soir avec Spectrum.
– …

De manière générale, il était extrêmement plaisant de se retrouver dans un public de connaisseur, à l’écoute et avec qui il est facile d’échanger (forcément, quand personne ou presque ne vient des Pays-Bas, ça aide à l’interaction). Ce qui frappe aussi, c’est la proximité des artistes avec le public qui n’hésitent pas à se mélanger à la foule pour pouvoir, eux aussi, profiter de ce rassemblent festif. Libre à vous alors de déclarer votre amour aux Texans d’Holy Wave, ou de courir après Christian Bland des Black Angels pour avoir des informations sur le prochain Levitation made in Austin.

Anecdote puisqu’il n’en faut, dans un moment d’égarement, je me suis retrouvé à parler avec Peter Kember des Spacemen 3 sans le reconnaître avant de lui poser la question classique « et sinon tu fais quoi dans la vie ? » avant de me rendre compte de ma connerie. Le chanteur des Oscillation semblait aussi complètement absorbé par l’ambiance générale du festival. Croisé il y a quelques semaines à Paris lors d’un concert à Petit Bain, il confirmera : « C’était génial, mais il y avait trop de drogues ». Oups. Avec ou sans aide du genre, le Fuzz Club Eindhoven reste une expérience viscérale à vivre pour toute personne qui revendique un tant soi peu aimer le rock. Vraiment.

Suite et fin ?

Peu de temps après la fin du festival, la rumeur était totale quant à une seconde édition du festival. Ça parlait au départ d’un one shot étant donné que Fuzz Club n’est pas tout à fait rentré dans ses frais, puis de le délocaliser dans une autre ville des Pays-Bas […] Et finalement, la nouvelle est tombée : il y aurait bien un acte II à cette histoire ; même endroit même date. Cela est sans doute dû à un enthousiasme unanime de la part des participants, des groupes et des organisateurs, qui sont tous d’accord pour dire que cette première édition était de la folie pure. Certains confrères anglophones parlent même d’un festival qui va rentrer dans l’histoire. Vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Rendez-vous donc l’année prochaine, avec espérons-le une présence française un peu plus nombreuse que pour cette première édition. Et pour vous replonger dans l’ambiance du festival, même si ça ne vaudra jamais une présence sur place pour humer l’ambiance et la folie générale, vous pouvez écouter la playlist du festival histoire de découvrir les différents artistes en question. Ils étaient tous géniaux, y’a rien à jeter (pour ça que je ne les ai pas présenté un à un, ça m’aurait pris des plombes), et ce sera pire en 2019 pour sûr.

5 commentaires

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