Mercredi 18 novembre 2009, vingt-trois heures, dix minutes et cinquante-deux secondes. Thierry Henry vient de démontrer à tous ses détracteurs que s’il est un absolutiste de la victoire, un gagneur sans faille au sein de l’équipe de France de football, c’est bien lui. La notion suprême d’esthétisme en football ne tient que dans la victoire, plus que jamais peu importe la réalisation technique. Double contrôle de la main. Remise du pied. Gallas, présent à la réception, réduit la quiétude des filets de la cage irlandaise à néant. Fin du bal, l’équipe de France est qualifiée pour la coupe du monde.
Fin du bal vraiment? Evidemment, non, pas du fin du bal. Aussitôt l’onde sonore du coup de sifflet final désintégrée dans le ciel de Saint-Denis que l’armée démocratique de la bien-pensance française ne pouvait s’empêcher de ramener sa gueule. Des politiques de tous bords qui montent au créneau pour souligner l’injustice de la chose. Des personnalités médiatiques – à l’instar d’un Dechavanne – qui s’intronisent sauveurs de la bonne foi de la nation et réclament que le match soit rejoué. Comble de la volonté d’accaparation de l’espace publique, des personnages globalement reconnus comme des intellectuels – Erik Orsenna, Jacques Attali et Bruno Gaccio – qui n’ont rien de mieux à branler visiblement que de lancer conjointement une pétition appelant à rejouer le match France-Irlande. Soyons sérieux deux minutes. Ils se foutent de la gueule de qui là ?
Reprenons les choses calmement. Le phénomène de tricherie a toujours existé dans tous les compartiments de la société, à commencer bien entendu par le sport. Qu’est-ce que tricher sinon braver l’interdit dans le but d’arriver à ses fins coûte que coûte. N’en déplaise à tous ces rabat-joies, nous sommes tous des tricheurs et des fils de tricheurs. En ce sens, on se demande vraiment ce que tous ces petits commentateurs de la vie publique espéraient en faisant amende honorable par médias interposés. Croyaient-ils sincèrement qu’adopter la posture des justes allait racheter une bonne conscience à un pays bourré de sales cons et tellement détesté à l’étranger? Je le redis, soyons sérieux. Que les officiels irlandais mettent en œuvre tous les recours à leur disposition pour que le match soit rejoué est normal. Que les membres du gouvernement irlandais soulignent auprès de leur homologues français toute la vilenie dont leurs sbires ont fait preuve est de bonne guerre. Que les supporters irlandais aillent manifester devant l’ambassade de France à Dublin aux cris de « Français Enculés » représente vraiment le strict minimum. Mais que des Français remettent en cause la victoire de l’équipe nationale au nom de quelques principes d’équité sportive est d’une hypocrisie absolue, une idée à coup sûr jaillie d’esprits n’ayant dans le fond que du dédain pour le football.
Alors, non, Jacques Attali, je te le dis franco, jeudi matin, nous n’étions pas tous Irlandais. Ne t’en déplaise mon cher Jacques, mais je ne suis pas roux, ni même blond vénitien. Jusqu’à preuve du contraire, je me défonce la gueule à la 1664 et pas à la Guinness, je n’ai aucune affection particulière pour le symbolisme ou le nationalisme celte, et j’ai beau considérer toutes les occasions bonnes pour me démonter la terrine, je t’avoue qu’aujourd’hui, histoire de rajouter une flèche à mon arc argumentaire, je pisse même sur la Saint-Patrick et abhorre le vert.
Quant à Thierry Henry lui-même, ou même Raymond Dom-HAINE-ec, je ne vois aucune raison valable pour l’un ni l’autre de s’excuser d’avoir rempli le devoir moral de se qualifier pour la coupe du monde, aussi moche puisse être la manière. Comme le faisait justement remarquer un journaliste cette semaine dans les colonnes du magazine SoFoot, si Henry avait eu la classe comme le fit Maradona un jour de 1986 de doubler son but de la main par une chevauchée fantastique amenant l’un des plus beaux buts de l’histoire du sport dont il est question, personne n’aurait ramené sa gueule, et l’histoire de la main serait resté à jamais au rang d’anecdote. Définitivement, les footballeurs ne sont pas anges. Une fraction incalculable d’entre eux est acclamée alors qu’elle se dope, sans qu’il soit possible de prouver quoi que ce soit. Une fraction d’entre eux représente un contingent de petites putes qui donnent des coups sournois sur le terrain une fois que l’arbitre a le dos tourné en étant que très rarement condamné. Une fraction d’entre eux enfin fait son boulot de manière juste et honnête tant que possible. Exactement comme dans tous les compartiments de la société en fait. Le prisme grossissant induit par leur popularité et leur sur-exposition médiatique ne doit pas faire oublier que l’histoire de la main d’Henry, c’est avant tout la réaction d’un mec qui trouve un portefeuille avec cinquante balles dedans et prend la thune parce qu’il est dans la merde, plutôt que d’être honnête et rester dans la merde. C’est tout. D’ailleurs, s’il ne fallait retenir qu’une chose de toute cette pitoyable affaire de mimine que je qualifierais de « Main du Peuple » plutôt que « Main de Dieu », c’est la sortie médiatique de Roy Keane, le joueur irlandais le plus emblématique de tous les temps – l’homme qui brisa un jour la jambe et la carrière d’un adversaire juste parce que celui-ci l’avait accusé de simuler : « Je me souviens d’un match contre la Géorgie, quand l’Irlande a obtenu un penalty sur l’une des pires décisions qui ait jamais changé le cours d’un match. Je ne me souviens pas avoir entendu la FAI demander que le match soit rejoué ». C’était il y a quelques mois à peine, au cours des mêmes éliminatoires pour cette même coupe du monde. Un juste retour de bâton finalement.
Alors que les politiques, les moralistes, les peoples, qui veulent rejouer ce putain de match aillent se faire mettre avec leur bonne foi, le football n’est une manifestation divine de la science de la justesse. Non, le football n’est définitivement que le reflet de la vie, une putain de corde qui peut péter à tout moment, de manière injuste, sans qu’il ne soit jamais possible de la rabibocher. L’équipe de France de football est au Mondial. Fin du bal.
Illustration: Terreur Graphique
15 commentaires
c’est ça le drame de la france – le sempiternel cocorico du frenchouz moyen. celui en marcel, tout bronzé là où ça dépasse. la minorité de masse.
chez nous, on est tellement nombreux à n’en avoir rien à foutre d’une quelconque fierté nationale, qu’on se bousille le plus vite possible. de là dire que c’est mieux…
anonyme du plat pays
Gonzaï claque des papiers au kilomètre sur des putains de groupe, récoltant de ci de là qques comments (ok, le nombre de comments ne détermine pas le nombre de lecteurs) mais enfin là, c’est clair que ça réagit : le foot est un sport ultra populaire et il n’est pas question de nationalisme : je ne sais plus quel écrivain a dit « il n’y a rien de plus ennuyeux que de regarder un match sans supporter aucune des deux équipes ». Après, Jet a raison, heureusement qu’on est pas tous en short.
le foot, comme la musik peut être passionnant / chiant, draine comme la musik son lot de tricheurs, certains matchs comme certains concerts sont passionnants / ennuyants à mourir et l’expliquer relève de la gageure. Franchement, les cocorico, on s’en fout. Une belle action, c’est comme un riff imparable : ça te remue, point. Le reste, c’est du commentaire sportif.
P/S : On peut aimer Desproges ET le foot, hein.
Courage les belges… Vous auriez dû cloner Enzo Scifo et Roger Claessen.
pour répondre vite fait, tant que je suis en break.
vernon, je voulais pas critiquer tous les supporters, te sens pas personnellement visé – à moins que tu portes le marcel en te demandant pourquoi je parle pas le belge.
moi-même, je peux pas m’empêcher de supporter l’équipe nationale belge (et bordel, j’exige qu’on fasse rejouer belgique-brésil 2006! on nous a volé une coupe…ahah)
mais comme tu dis, une belle action, c’est comme un beau riff, et peu importe qui le fait, ton groupe/joueur favori, ou celui que tu conspuais la minute avant.
vincent, t’es un connaisseur : je sais même pas qui est roger claessen…mais si, au moins, t’arrivais à l’heure aux entrainements…
CONTRE
« Dans une société bloquée où tout le monde est coupable, le seul crime est de se faire prendre. » HST
Gonzaï parle quand même vachement mieux de sport (cet article, et celui sur le linebacker … même si il est est un peu cliché) que de musique.