“Pete twists around onto his back, Carl’s cock in his mouth, licking and sucking alternately as the boy above him moans and starts to move, thrusting further inside and almost making him gag.”
Katie/Mireille a 15 ans, elle vit à Bournemouth/Beauraing. Son truc, c’est le rock des années 2000, les Strokes, les Libertines, Franz Ferdinand, et n’importe quel minet en couverture du NME. Elle écoute leurs disques à fond dans sa chambre, ce qui a pour effet de faire naître une étrange sensation d’exaltation et d’impatience au creux de son estomac. Avec ses copines, elles s’envoient par mail des photos de Pete Doherty, puis elles passent un certain temps à les commenter en gloussant et en agitant leurs mains devant leur visage, comme les filles le font si bien.
Ça s’arrête là ? Avec Katie/Mireille qui soupire tous les soirs devant son poster de Johnny Borell, en se touchant un peu les seins, et en rêvant à une vie de débauche rock’n roll comme dans un épisode de Skins ? Bien sûr que non. Katie/Mireille passe aussi plusieurs heures par jour à lire, écrire et commenter des fanfictions slash.
Des quoi ? Un petit tour d’essai dans la grande machine Google define:slash renvoie à un signe de ponctuation, à un « guitariste anglo-américain », et à la définition suivante :
« Le Slash est un genre précis de la fiction amateur non-originale (fanfiction). Une fanfiction slash met en scène une relation amoureuse ou sexuelle entre deux personnages masculins qui n’existait pas dans l’œuvre originale. »
Bref, des morceaux de fiction à caractère homoérotique mettant en scène Jack White en train de sucer Alex Kapranos dans les toilettes d’un club londonien miteux, Carl Barat violant Alex Turner (mais il l’avait bien cherché, allumeuse), ou Julian Casablancas larguant sa pouffiasse de copine pour faire une déclaration d’amour moite à Fab Moretti. Tout ça se décline à l’infini, Dieu bénisse l’invention d’Internet, au gré des fandoms plus ou moins spécialisés… Voyez là, ici, ou là.
La plupart des productions semblent écrites avec les pieds, et demandent la maîtrise d’un lexique de base de, disons… une centaine de mots. Chaque fanfic n’est en fait qu’une variation plus ou moins élaborée du même exercice, extrêmement codifié. Pour s’en persuader, il n’y a qu’à se référer aux paragraphes d’introduction cryptés d’abréviations et de néologismes inventifs. Au début, on aura envie de se référer à un glossaire. Mais tout ça devient très rapidement lisible, et le lecteur avisé apprendra aisément à lire l’intro en diagonale, à sauter quatre mots sur cinq dans le développement, pour en arriver plus vite à la scène de cul principale.
Toute cette agitation pour atteindre un objectif bien simple, au final : créer une historiette quelconque de manière à ce que vos rockstars préférées baisent toutes ensemble, plus ou moins rageusement, tendrement, talentueusement. Avec un peu d’expérience et passé le premier étonnement, on se rend même compte que finalement, le sexe n’est pas si important. C’est-à-dire que toutes les histoires de fesses sont généralement assez soft, et ne font pas exactement preuve d’une imagination débordante de perversité. Ce qui compte, surtout, plus que toutes les parties de jambes en l’air décrites avec plus ou moins de doigté, c’est la passion. En cela, les fanfics slash rejoignent les romans Harlequin : un genre littéraire populo et sans véritable autre souffle que celui des fantasmes romantico-humides qui traînent dans les têtes de toutes les créatures féminines, petits plaisir coupables.
Evidemment, nos rockers ne sont pas les seuls à bénéficier de se traitement au corps à corps. Partout où il y a des communautés de fans disposant d’une connexion Internet, on trouvera de la fanfic slash par kilomètres. Voyez, par exemple, Star Trek (il paraît que les amours interdites de Spock et Cpt Kirk sont les premières à avoir été étalées partout sur le world wide web), Harry Potter (ce qui ne plaît pas toujours aux parents qui voient leurs bambins tomber sur des Potterfics plus ou moins osées) et évidemment, tout ce qui a trait aux manga – les Japonais font tout mieux que tout le monde, et le yaoi (gonzo porn gay japonais) constitue pour eux un genre à part entière.
Il suffit d’une poignée de fangirls, de quelques clics pour créer une page LiveJournal (un des premiers avatars du web communautaire), et vous avez votre communauté autour des intérêts les plus farfelus. Parce que, dès qu’on a mis le doigt dans l’engrenage, tout devient absolument slashable, et il est impossible de ne pas interpréter en ce sens le moindre geste, le plus petit silence…
Récemment, dans une salle obscure de la Cinémathèque qui diffusait une vieille copie d’Apocalypse Now, il m’est soudainement apparu que la romance entre Captain Willard et Lance-le-surfeur était criante de passion. Ce qui distingue les slashs de rockeurs de la passion torride des jumeaux Weasley ou d’Olive pour Tom, c’est qu’ils ont une prédisposition naturelle, justement, pour le sexe et le rock’n roll. La vulgate de la rockfic contient donc son lot d’alcool, de drogues et d’attouchements impliquant des instruments de musique… Tout cela est très attendrissant, et dépasse rarement le stade de balbutiements sur un quelconque forum. Quand c’est le cas, et quand une fanfic slash se retrouve éditée en tant que vrai livre, comme ça a été le cas pour le Plastic Jesus de Poppy Z. Brite, on ne peut que se sentir un peu gêné. Ce machin mal écrit mettant en scène les amours (sous pseudonyme, mais tout le monde a très bien compris de quoi il s’agit) de John Lennon et Paul McCartney, n’aurait jamais dû quitter son environnement naturel : les abysses du web, là où la qualité littéraire n’est pas vraiment ce qui compte.
Au final on pourra se demander pourquoi. Qu’est-ce qui se passe dans la tête de toutes ces filles (parce que, même sans avoir fait d’enquête sociologique poussée, on peut se douter que le public gay regarde toute cette hystérie avec un certain désintérêt) pour trouver ça excitant, avec une évidence probablement impossible à expliquer à quiconque n’a jamais éprouvé le plaisir de glousser entre copines ? Certains ont essayé de théoriser, de fournir des explications socio-psychologiques diverses, on pourra lire de longues élaborations à ce sujet, ou se contenter des explications lapidaires : « fascination pour la pensée masculine, impossibilité d’identification avec les personnages féminins d’origines, fantaisie d’un rôle impossible à la femme… »
Au-delà de ces âneries, qu’on laissera aux feminist studies le soin de déconstruire (je suis sûre qu’il existe un certain nombre de départements d’universités américaines qui se penchent sur la question), on peut y voir quelques réponses simples. Pourquoi ? Pour le plaisir de jouer, de se ré-approprier, de démystifier et de manipuler dans tous les sens. Slasher à cœur joie ses idoles de papier glacé, un acte de dérision libertaire ? On peut l’expliquer comme ça.
Ou, comme dirait l’autre : Oh girls, just wanna have fun…
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Bibliographie pour les socio-intellectualistes :
Intro extraite de http://community.livejournal.com/albion_fic/895775.html#cutid1
http://www.telegraph.co.uk/culture/books/3650072/Slashing-through-the-undercult.html