Etat des choses : sinistrose globalisée due à une prétendue période de crise. La culture est mollassonne, se vend mal et laisse dans la bouche un goût fade propre à ce qui est cuisiné sans épice et servi sans entrain. La presse cachetonne en faisant profil bas, comme pour faire oublier qu’elle ne vit que grâce à la pub dont elle reverse les gains à de funestes firmes internationales.
On se prendrait à penser qu’ouvrir une société de cordes pourrait faire des bénéfices faramineux ces jours-ci…
Et puis un jour, on tombe sur un éclat différent chez son libraire habituel, une couverture noble en papier glacé aux reflets sépia, et on se sent irrémédiablement attiré. Héliotropisme du chercheur d’or éberlué devant un très fin rayon lumineux dans l’onde brunâtre du Klondike…
OK, j’en fais trop, j’arrête. D’ailleurs je ne fréquente plus les kiosques à journaux que pour y acheter des clopes.
Pourtant quand le label folk/americana Fargo a décidé de mettre la main au porte-monnaie pour fonder Eldorado, un nouveau magazine j’étais à la fois content et inquiet. C’est très beau, plutôt réussi, mais combien de temps peut on faire un canard comme ça de nos jours?
Impliqué sur les deux tableaux, Michel Pampelune (directeur de Fargo et rédacteur – mais PAS en chef – d’Eldorado) allait forcément dissiper mes craintes. Parce que Michel est gentil et passionné. Un pieu cowboy en blouson de bowling. Sa voix traîne et ronronne, les digressions s’allongent, pas une méchanceté (ah si, sur les Shades et les Naast. Que voulez-vous…). Que des jolies choses. On ne doit pas avoir les mêmes anxiolytiques…
Premier point d’inquiétude : en France, le mot country a des odeurs de Buffalo Grill.
« Le public a besoin d’être rassuré, d’une validation, pour écouter quelque chose. (…) Il a fallu que Johnny Cash fasse ses disques avec Rick Rubin en reprenant Nine Inch Nails pour que les gens perçoivent que c’était un grand chanteur tout court et pas un artiste de country. Il faut ce genre de petites choses pour permettre de casser les barrières entre les genres, et j’ose espérer qu’avec Eldorado, on peut y participer. (…) On s’est mis comme mission d’être très didactique, et d’essayer un maximum de prendre les gens par la main pour leur expliquer, pour leur faire découvrir des artistes en essayant d’être le moins ‘savant’ possible. »
Bon de toute façon, il doit y avoir un lectorat potentiel pour cette presse-là. Eldorado ne serait pas sorti sans ça de toute façon… Si ?
« Je ne sais si il y a un lectorat, l’avenir et les chiffres le diront. Moi je fonctionne pas comme ça, c’est risqué d’un point de vue business certes, mais je me suis pas posé la question de savoir s’il y avait un public potentiel pour mes disques quand j’ai commencé à en sortir. Je pense que l’on va, avec Eldorado, se créer un peu notre public. »
Je me disais qu’il faut avoir sacrément confiance pour se lancer là-dedans. C’est quand même pas le succès de Herman Dune et Cocoon qui peut donner des ailes…
« Fargo a dix ans maintenant, et même si c’est dur, si j’en ai bavé dernièrement, j’ai quand même eu récemment le plus gros succès en disques dans l’histoire du label avec Alela Diane. Des heureux accidents sont donc possibles. Donc oui c’est courageux. (…) Mais sinon quoi ? On arrête tout, et on lit que des blogs sur internet ? Moi ça m’intéresse de lire des blogs, mais quand je reçois Uncut ou Mojo, c’est autre chose. Et puis je pense que c’est peut être risqué de lancer un magazine musical mainstream, je pense que faire quelque chose dans les niches ça l’est moins. »
Marketing de niches. La sortie de secours de notre décennie. Et paf, deuxième inquiétude qui remonte : déontologiquement c’est évident comme limite, mais en « temps de crise », la tentation d’en faire un outil de com’ a dû traverser la tête du directeur, non ?
« Oh non… Je peux pas faire ça… J’avais hâte que le numéro deux sorte rien que pour ça. Ce serait pas crédible… On n’a pas envie de tromper les gens. (…) En fait pour bien comprendre, au départ je voulais faire un magazine Fargo gratuit, pour le festival Fargo All Stars à La Cigale. On avait beaucoup de sorties. Je m’étais dit, tiens, c’est un truc promo à faire. Depuis on a ajouté du promotionnel dans le premier sur des artistes qui ne sont pas de chez nous. Comme on n’était pas encore en relation avec les maisons de disques, le sommaire faisait encore très ‘vitrine Fargo’. Mais c’était pas le but en soi. »
Quand je commence à parler du prix (6€, contre 5€ pour R&F et 3,30€ pour les Inrocks, si on considèrent tout cela comme comparable…), la séquence poignante continue. Moi je voulais seulement mettre l’accent sur la qualité ‘luxe’ (couverture glacée, reliure carrée collée, photos pleine page, quasi-absence de pub en dehors de deux trois labels indé) et un public probablement plus confortable (on a dit folk americana, c’est pas nu-metal ou indie pop-rock fluo). Mais non, pour Michel ce n’est ni cher (« Six euros tous les deux mois, c’est deux bières… ») ni calculé. Enfin pas consciemment.
« Quand tu vois le ratio choses à lire pour cent pages, ça les vaut. En plus on s’adresse à priori à une clientèle qui achète des disques et qui va pas se priver de pain ou de pâtes pour acheter le magazine. (…) En fait effectivement oui. C’est des gens un peu plus âgés, avec un pouvoir d’achat plus élevé. »
Bon bah on est d’accord… Finalement on dirait que Michel Pampelune découvre le positionnement de son magazine en même temps que moi. La candeur du Midwest ou celle d’un télé-évangéliste ?
« Mes choix de carrière n’ont jamais été dictés par l’argent; même si j’aimerais davantage gagner ma vie, je ne me referai jamais. Je suis incorrigible. J’aurais pu très bien rester sur ma cassette, je pourrais avec quelques artistes qui marchent bien et surtout Alela, me dire « Voilà, j’ai moins de soucis, allez, un peu de sérénité. » Et non ! Je retombe dans un truc avec des soucis potentiels… C’est plus fort que moi. (…) Je pourrais très bien être peinard, et exploiter le filon, serrer les fesses et je ne bouge plus. »
Pas du marketing. Pas non plus un moyen de faire du fric… De quoi demander ce qui motive un tel acte charitable. Parce qu’Eldorado ne fait pas de vagues, encense Fleet Foxes et aime tout le monde :
« On fait pas de polémique. C’est un parti pris et je ne sais pas si c’est bien ou non, mais on a décidé d’être que dans l’amour. De ne pas prendre de la place pour des trucs qu’on n’aimait pas. (…) Aller chercher des disques – parce qu’on chronique beaucoup d’imports et que c’est important pour nous – que la majorité des gens n’ont pas entendu et dire « ne l’achetez pas c’est pas bien » …what the fuck !? Quel intérêt. Mais, tu as raison c’est un truc qu’on doit améliorer. C’est pas dit qu’on ne change pas les choses dans le numéro trois. »
Les évolutions ? Elles sont transparentes à l’écouter. S’ouvrir encore un peu, évoquer les passeurs, éviter le français (« On aime pas ça. (…) On a failli chroniquer Sammy Decoster, mais on était en bouclage. Mais j’ai du mal avec les artistes français qui chantent en anglais. C’est pas souvent bien fait. C’est une V.O.S.T. »).
Pourtant le (mauvais) folk c’est pas ça qui manque par ici ; mais j’étais le seul à voir cela comme ça. A faire le lien entre Eldorado et Fargo. Les mêmes gens, le même cœur, mais pas le même panier.
« Cela va encore plus se voir avec le numéro trois, mais pour moi, c’est vraiment un magazine de rock, au sens général. Avec certes des choix mais on n’a pas envie de s’enfermer dans un truc americana-folk. «
Cela contredit un peu la ‘niche’ de tout à l’heure et sa vision du lectorat plus à l’aise, plus âgé, et au prochain numéro, Eldorado peut devenir le nouveau vrai bon magazine rock ou se perdre loin des rives de ce qu’il maîtrise vraiment. Le rock américain. Avis aux amateurs.
Mais cette contradiction ne m’étonne pas. Ce n’est pas une faille dans un rôle de bon vendeur appris par cœur ; c’est le revers de l’impulsivité. Simplicité du passionné bienheureux. ‘Cause I’m easy… easy like Sunday morning…
http://www.eldoradomagazine.fr/
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