Un machin synthétique censé servir de bande originale à un film fondé sur la ville imaginaire d'une BD dans laquelle évolue le super héros Judge Dredd, avec des robots vampires venus du futur. C'est en ces quelques mots, à la fois clairs et précis, que le patron m'a refilé cet album qui s'avère finalement être une assez bonne surprise, même si j'avais plus réagi aux mots « robots vampires venus du futur » qu'au reste.

Il est quatre heures du matin. Avant ça, j’ai goûté à la liesse populaire due à l’élection de notre nouveau président, fait du pain et rangé le capharnaüm aménagé du squat-cendrier qui me sert de logement. La pochette du groupe-concept de « Drokk » est ultra sobre : celle-ci nous donne uniquement les informations de base nécessaires. Gris, « DROKK » marqué en gros, « Geoff Barrow et Ben Salisbury » en plus petit. Cette pochette n’annonce pas vraiment la couleur de l’album ; tout au plus devine-t-on l’inspiration primaire du disque. Je n’ai jamais été très féru de comics, par contre j’aime beaucoup les nanards. Alors forcément, la référence à Judge Dredd — ce film d’action des 90’s avec  Sylvester Stallone dans le rôle du super héros — ne peut que m’interpeller. Penchons-nous maintenant sur le son.

Synthétique et oppressant

Mega City One est une ville dans laquelle règnent violence urbaine et crime. Joseph Dredd est au départ un juge censé faire régner la justice. Ce super héros est cependant aussi violent que les criminels qu’il combat, sans doute parce que le contexte extérieur est tout sauf prospère : en l’an de grâce 2139, la planète a été ravagée par des guerres nucléaires, et les juges et autres gardiens de la paix sont des êtres modifiés génétiquement afin d’appliquer la loi, d’une manière aussi froide qu’implacable.
Vous l’aurez compris, l’album est fait de sonorités électroniques et synthétiques. Il est froid. Il n’est pas à écouter si votre paranoïa est éveillée et que les gens autour de vous semblent vouloir manger votre cerveau — pour les sceptiques, sachez que ça arrive plus souvent qu’on ne le pense. Les synthétiseurs se répartissent entre nappes de basse et sortes de mélodies à la fois simples et répétitives. Mais contrairement à ce que m’affirmait Saint Bester, la composition ne me semble pas si cinématographique : l’album se suffisant à lui-même, aucune image n’est nécessaire pour le compléter. Est-ce alors la conception de « bande originale épique », qui manque tant au cinéma contemporain, que l’on pourrait penser revisitée ? Non. Du moins si vous êtes d’accord avec ce que j’écrivais deux phrases avant.

« Drokk » peut sembler long ou répétitif. Mais si l’on se penche sur le contexte décrit dans le premier paragraphe, il n’en est rien. Et ce disque est excellent. Très ambiant, très cohérent dans ses enchaînements. Là où le « Bloom » de Beach House n’avait aucun intérêt tant celui-ci jouait dix fois la même chanson, « Drokk », dans son ambiance synthétique et gelée, peint différents tableaux sonores qui, pris dans leur intégralité, forment une fresque musicale. On voit alors une ville tentaculaire de béton et de fer qui respire le manque d’espoir et la désillusion totale dans ce futur post-apocalyptique.

Le cortex souffre, le chipset chauffe

C’est ainsi que, voyant le paquet de clopes s’épuiser à une vitesse inquiétante, j’atteins sans aucun mal la piste 16 et ses nappes flottantes. Frustration et crainte font partie des mots de cet enfer synthétique sans nom. Est-ce une vision amplifiée du monde actuel, dans lequel réseaux sociaux et relations virtuelles tendent à remplacer la chaleur organique ? Ce disque innocent et entièrement instrumental ne vient-il pas au contraire délivrer un message puissant de par son paradoxal mutisme ? Pouvons-nous nous passer des machines alors que celles-ci sont désormais un frein à toute fuite ou disparition, même désirée ? C’est sur ces questions sans réponses que s’achève ce papier, avec une nouvelle fournée d’interrogations existentielles pour vous et moi. Il est environ cinq heures du matin, mes pilules et mon mauvais vin feront l’affaire. Bonne nuit.

Drokk // Music inspired by Mega City One // Invada Records (Differ-Ant)

DROKK – Justice One by Invada Records

1 commentaire

  1. A l’ecoute du morceau, ça fait surtout penser à John Carpenter ! N’empèche, c’est franchement pas dégueu.

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