Proche de Perturbator et Carpenter Brut et inspiré par Justice, le producteur d’électro sort un sixième disque impulsif, agressif et mixé « avec le cul » : « Gothic Engine ». Un album publié en indé après une longue absence et un projet French touch avorté qui ne l’a pas empêché d’être validé par le Godfather des synthétiseurs.

Dan Terminus n’a pas franchement tendance à se recueillir en silence : Gothic Engine est à peu près à l’opposé d’une atmosphère de cathédrale. Un tantinet en colère après une flopée de pépins de santé, le producteur – dont le nom rend hommage à un nanar de science-fiction des années 80, avec Johnny au casting – revient brutalement avec ses synthés distordus, ses mélodies ultraviolentes et son armée de voix vocodées et bidouillées. Le tout dans une ambiance cyber-apocalyptique qui sent bon le rétro-futurisme rouillé, avec même des robots qui chantent avec un accent franchouillard.

En bossant sur ton précédent disque, Last call for all passengers, tu avais tué dans l’œuf un projet entier d’album après t’être rendu compte en cours de route qu’il était « complètement merdique« . Même topo avec Gothic Engine ?

Dan Terminus : On est sur un scénario similaire. Après Last call…, qui est d’ailleurs mon album qui a reçu le plus de critiques positives et qui pourtant se vend le moins, j’ai réécouté les classiques de ma jeunesse : de la French touch. Je me suis lancé dans un projet d’album pendant un an et demi. L’intention de base, c’était une blague : Air, Sebastian, Justice, Daft Punk, Kavinsky et Sébastien Tellier vont au restaurant… Qui arrive en premier ? Et qui termine bourré en vomissant ? Sur les chaussures de qui ? Et j’étais fier : pour une fois, j’avais travaillé proprement. J’étais le petit garçon bien appliqué au premier rang, avec la raie sur le côté et les petites lunettes. Mais les retours ont été unanimement négatifs. Mon manager m’a dit que c’était trop poli, trop propre, trop mou. Carpenter Brut m’a dit qu’il ne retrouvait pas la folie des précédents Terminus. C’est la première fois en 10 ans qu’il n’aime pas un truc que je lui envoie. J’étais un peu bouffi d’orgueil, je voulais que ça sorte. Mais une petite voix au fond de moi savait qu’ils avaient raison, et le lendemain matin je me suis mis sur un autre album. Trois semaines après, j’ai terminé Gothic Engine.

Est-ce que des idées issues de cet album french touch ont survécu ?

Dan Terminus : Oui, le dernier morceau de Gothic Engine : « Angle Mort ». Je ne pouvais pas le laisser derrière. C’est tellement dark, dans le genre : « Les gars je m’en vais, c’est la fin du monde« . Je l’avais fait en pensant à Air, dans une version beaucoup plus dépressive – déjà que c’est pas le groupe le plus joyeux du monde. Et je voulais aussi faire des basses à la Gainsbourg. Sinon le reste de l’album french touch reste sur mon disque dur. Je l’ai réécouté, honnêtement ce n’est vraiment pas bon. Mais deux-trois morceaux restent très sympas et sortiront sûrement un jour, retravaillés, avec un EP.

Et pourquoi 4 ans d’absence ?

Dan Terminus :  J’ai eu plein de problèmes de santé, notamment des apnées du sommeil phénoménales. Toutes les nuits, la machine qui m’aide à respirer est à la pression maximale, c’est chaud. J’ai fait le lien en 2019 à Amsterdam, en première partie de Perturbator. En sortant du tour bus, j’ai baillé à m’en décrocher la mâchoire, et le batteur de Perturbator m’a fait remarquer que j’étais tout le temps crevé alors que j’étais celui qui dormait le plus. C’était un signe, une ex me disait aussi que je ronflais aussi fort que ma moto. En fait je m’étouffais quand je dormais. Selon les médecins, il m’arrivait de rester jusqu’à 16 secondes sans respirer. Sinon c’était une tournée extraordinaire. Lors du changeover au Trianon, à Paris, Jean-Michel Jarre a toqué à la porte de Perturbator et lui a dit : « Eh, Dan Terminus ça déchire« . Papa m’a donné sa bénédiction, c’est bon arrêtez tout. Je voulais le placer, c’est une fierté perso.

Gothic Engine est l’album qui représente le mieux mon état mental et physique déplorable au moment de sa conception.

J’ai aussi eu une sciatique ultraviolente. Je suis devenu un gros tas pendant le confinement, puis j’ai perdu 21 kilos. Mais comme j’ai perdu trop vite, mon dos ne s’est pas musclé. La douleur me réveillait en pleine nuit. J’ai pris des antidouleur, et ça a créé des dépressions respiratoires. Après j’ai pris de la cortisone, avec un dosage tellement élevé que je dormais une heure par nuit. J’ai passé des moments difficiles : se lever pour aller aux toilettes, c’était devenu une aventure. On se soigne par le mouvement, mais quand tu dois avoir mal, tu dois avoir mal. A cause de mon dos, les médecins m’ont dit d’oublier le cheval et la moto. Évidemment j’ai continué comme une grosse tête de con et j’ai fait la balade à moto de trop, sans savoir que c’était la dernière.

Gothic Engine sort une décennie après ton premier album, The Darkest Benthic Division. Quel sentiment as-tu quand tu dézoomes sur ces 10 ans de musique ?

Je me dis que Gothic Engine est mon disque le plus démonstratif. J’étais tellement énervé, j’ai basculé dans l’épuisement et ça m’a permis de lâcher prise et de me dire : « Bas les couilles« . Souvent, les gens pensent connaître un artiste intimement, en se disant : « J’ai écouté 1979 des Smashing Pumpkins, ouais je connais Billy Corgan« . Alors que ce n’est pas le cas en vrai. Mais là, sans dire que je raconte ma vie, Gothic Engine est l’album qui représente le mieux mon état mental et physique déplorable au moment de sa conception. C’est massif, ça part dans tous les sens et je trouve ça chouette. C’est comme dans un jeu FromSoftware, Dark Souls ou Bloodborne par exemple : quand tu te retrouves au fond des ténèbres, tu vois mieux la petite lumière d’espoir. Tu es tellement entouré de crasse, tu ne peux que voir le truc qui brille.
Quand tu grattes derrière les morceaux, il y a toujours de la noirceur ou de la faiblesse, j’étais cramé. « Grind Blade » fait notamment référence au nom d’une arme avec six tronçonneuses qui font chacune la taille d’une maison, dans le jeu Armored Core : Verdict Day. Mais « grind blade« , c’est aussi une pierre à aiguiser. Tout le monde s’en fout des pierres à aiguiser, on a l’impression qu’elles ne s’épuisent jamais.

Par le passé, il t’arrivait parfois de bosser plusieurs dizaines d’heures sur FL Studio pour un seul morceau. Comment as-tu composé ?

De manière spontanée, en suivant ce que j’avais dans la tête : la rage, la colère, la frustration. J’en voulais à la Terre entière. J’ai fait le morceau « Stargazer » en 70 minutes, et je n’y ai plus jamais retouché. « Nightfall », en 60 minutes. J’ai fait de la musique pour ma gueule et j’ai mixé l’album avec le cul. Je n’ai absolument pas réfléchi, tant que ça sonnait bien. La spontanéité, c’est ce qui nous sauve dans l’art. Et j’ai passé tellement d’années à travailler sur mon logiciel qu’aujourd’hui, pour avoir une bonne disto, il me faut 10 secondes. Je n’ai plus à penser à la technique.

Et le matos ?

J’ai besoin d’avoir tout sous la main donc je n’ai pas beaucoup évolué : je n’arrive pas à composer avec des synthés analogiques. C’est trop chiant, ça prend trop de place, j’ai autre chose à foutre. Donc je n’ai utilisé que des synthés virtuels comme Massive, très utilisé pour faire du dubstep. Mais je l’ai détourné pour faire de grosses distos phénoménales. Il y a aussi eu beaucoup de Korg Wavestation, un petit peu de Korg M1. Et puis une émulation d’un Juno avec un plugin que j’avais chopé gratos sur un blogspot, au lieu de raquer 400-500 balles pour un pack.

Q&A: Dan Terminus Talks Gear And Influences - Decibel Magazine

Sur beaucoup de morceaux, on entend pas mal d’expérimentations parfois un peu cheloues sur les voix…

Oui, c’est venu spontanément. Il y avait besoin d’une petite voix, je trouve que ça orne bien les morceaux. Donc j’ai chanté dans mon micro, puis j’ai passé le tout dans un vocoder en ajoutant des effets. J’ai beaucoup de mal à laisser ma voix telle quelle, j’aime bien la trafiquer. Sur « Motorcrypt », j’ai voulu émuler les grunts de Bill Steer. J’ai lu une interview où Jeff Walker et Ken Owen de Carcass expliquent qu’ils se foutaient de la gueule de Bill Steer parce qu’ils trouvaient sa voix ridicule. Alors que c’est le meilleur chanteur du monde pour tous les fans de death metal et de grindcore. J’ai pu écouter des stamps de la voix de Bill Steer, des trucs faits par intelligence artificielle : ça ressemble aux hurlements qu’un enfant fait pour copier une grosse voix.
Sinon sur « Heavy Metal » et « Death Metal », j’ai fait exprès de chanter avec l’accent français, je trouve ça beaucoup plus drôle. Et sur l’intro, j’ai fait des voix bizarroïdes, tu discernes une forme de communication sans comprendre ce qu’il se dit. Un côté humain mélangé à un côté machine. A l’avenir, je vais expérimenter encore plus : il faut être curieux et essayer des trucs, tu découvres des techniques que tu ne soupçonnais pas.

Question con, mais pourquoi appeler cet album Gothic Engine ?

Quand j’ai mis de côté l’album « french touch », je suis retombé sur Le Roy Se Meurt, un EP sorti pour mon side project Mathusalemherod. C’est assez gothique. J’ai voulu lier ça à une ambiance cyberpunk à la Terminus, avec une image que je voulais demander à mon peintre Luca Carey, qui réalise mes artworks : un moteur V8 tiré de la carcasse, et orné comme une cathédrale, avec des statues et des rosaces. Une cathédrale motorisée. C’est la cover de l’album : je la trouve magnifique et violente.

Et pourquoi sortir l’album sans label ?

Mon contrat avec Blood Music s’est terminé. Je n’ai pas de défiance vis-à-vis des labels mais étant donné mon état d’esprit et de santé, je préfère faire les choses de mon côté, c’est une chouette aventure. Même s’il y a beaucoup d’inconvénients en DIY : c’est beaucoup de temps et d’énergie, mais c’est le prix à payer. D’ailleurs pour Gothic Engine, il y aura des vinyles, des CDs et des cassettes mais ce n’est pas pour tout de suite. Ça coûte beaucoup d’argent, il faut que je puisse financer ça par moi-même.
En attendant, j’ai déjà commencé des morceaux qui pourraient être sur un successeur à Gothic Engine. En restant spontané mais avec un son un poil plus propre. Selon l’inspiration, on verra ce que ça donne. Aussi, avec mon projet Mathusalemherod, j’ai fait deux EPs dans un style que j’ai appelé le cadaverstep : Sceletus et Capra. C’est de la musique ultra ignoble mais c’est très amusant à faire, j’adore.

Gothic Engine est sorti le 29 février. Si vous voulez aider Dan à devenir millionnaire (ou à se payer le synthé de ses rêves, un Korg KingKORG), l’album est dispo sur son Bandcamp.

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