Songwriter mystérieux, le leader de Eels sort son 15ème LP « Time ! ». Super, mais a-t-il vraiment le temps de répondre à quelques questions ? C’est parti pour 15 minutes de souffrance, ou quand promotion rime avec punition.
Ceux qui suivent Eels depuis ses débuts en 1996 le savent bien : la vie d’un groupe indie n’est pas toujours tranquille. Après des débuts fracassants (leur premier album « Beautiful Freak », porté par le tube dépressif Novocaine for the soul et le merveilleux Your lucky day in hell) sur le label Dreamworks entre autre créé par David Geffen et Lenny Waronker, la suite a été plus difficile pour Mark Oliver Everett, alias E, seul membre permanent d’un groupe qui n’en est pas vraiment un.
Sur son nouvel LP « Time ! », 15ème album d’une discographie recelant pépites et cailloux, E et son actuelle bande de musiciens/featurings aux délirants sobriquets (The Chet, Koool g Murder, P-Boo, Knuckles, Royal Al) abordent un sujet universel : le temps. Tout ça après le Covid-19 et une opération à coeur ouvert qui lui a laissé une magnifique cicatrice sur le ventre. Bref, tout roule pour le mieux. Rien de nouveau puisque comme le rappelle Wikipedia, « les thèmes chers à Eels sont la famille, les déceptions amoureuses ou encore la mort ». Parfois mutique, souvent taiseux, le pince-sans-rire E n’a jamais été un client facile en interview. La preuve.
Bonjour E, vous m’entendez ?
EELS : Très bien, et vous ?
Parfaitement. Quel bonheur de ne pas être trahi par la technologie.
EELS : J’aime quand ça fonctionne.
Nous sommes là pour parler de votre nouvel LP, « Time ! ». Votre quinzième. Quelle est la source d’inspiration principale qui vous a donné envie de composer cet album ?
EELS : Je ne crois pas vrai qu’il y avait une source d’inspiration particulière. Parfois, tu ne réalises pas du tout que tu te lances dans un album. Tu fais une chanson, puis une autre. Tu réalises ensuite que tu as quelques morceaux. Et tu te dis « Whaou, je suis en train de faire un album, là ».
Vous sortez quasiment un album tous les deux ans depuis vos débuts. Avec le temps qui passe, avez-vous parfois des problèmes d’inspiration ?
EELS : Je pense que pour nous tous, plus vous êtes vieux, plus vous avez un rapport particulier au temps. Le temps est de plus présent en vous. Car il vous en reste de moins en moins. Et vous le savez.
Quels messages – s’il y en a – voulez-vous faire passer dans cet album ?
EELS : Déjà, il y a le titre de l’album, avec le point d’exclamation, et la pochette où je suis sur scène à donner un coup de pied en l’air. Cet album ressemble à un disque bruyant, qui va bouger. Et c’est sûrement assez décevant, parce que dès que le premier morceau démarre, tu te dis « Oh, ça colle pas du tout avec la pochette ». Cet album, c’est avant tout une manière de dire « S’il te reste du temps, profites-en, célèbre-le ».
Cette célébration, elle est liée au fait que vous avez récemment eu une opération à coeur ouvert.
EELS : Oui.
Cette opération a modifié votre rapport au temps ?
EELS : Sûrement, mais vous savez, le temps grignotait déjà mon esprit avant ça. J’ai fait cet album avant l’opération mais elle était déjà programmée, donc oui, elle a eu une influence dessus. Notamment sur le morceau Time.
Comment décririez-vous l’évolution de la musique du groupe au fil des années ?
EELS : C’est pas vraiment à moi de le faire. Plutôt à vous, les journalistes. Je fais juste de la musique.
J’étais presque certain que vous répondriez ça.
Quelle autre réponse pourrais-je vous donner ? Que répondriez-vous à votre propre question ?
Je ne sais pas, mais j’imagine que vous avez un regard à porter sur l’évolution de votre musique depuis vos débuts.
EELS : Pardon ? En fait non, parce que je ne réfléchis pas du tout à ça. Je suis toujours complètement immergé dans ce que je fais au moment où je le fais. Rien d’autre. Peu importe ce sur quoi je bosse, mais je pense rarement à autre chose qu’à ce qui se passe dans l’année. En dehors de ça, je ne pense à rien. En gros, je fais l’album que j’ai à faire, et je passe au suivant.
Vous en êtes à votre 15ème album. Qu’envisagez-vous pour la promotion de cet album ? Une tournée, des performances un peu spéciales ?
EELS : A cause de la pandémie, nous n’avons pas tourné depuis presque 4 ans. Depuis la fin de l’année dernière, nous avons enfin pu nous y remettre un peu. Maintenant que nous avons un autre album, on va pouvoir vraiment s’y remettre avec beaucoup de nouveau matériel. Quasiment deux albums.
Pourquoi ce choix de pochette ? Ca ressemble à une pochette de live, très catchy, très énergique.
EELS : Je viens de vous l’expliquer je crois. C’est une déception d’un côté pour l’auditeur, et une célébration de l’autre. Pour moi, l’album ressemble vraiment à un disque de rock, mais c’est pas ce que tu trouves dedans.
Ok, merci. Puisque l’album parle du temps, je vais vous poser quelques questions là-dessus. Si vous pouviez voyager dans le temps pour pouvoir jouer cet album, quelle époque choisiriez-vous ?
EELS : Voilà une question intéressante. Vous savez, je suis un grand fan des sixties. J’adorerais revenir à cette époque en gardant en tête tout ce que je sais de cette époque. Ca me permettrait d’aller assister au dernier concert des Beatles, par exemple. Ou d’éviter tel assassinat. Ca serait intéressant mais en réalité, je ne sais pas quoi répondre à votre question.
Peut-être parce que c’est une question idiote ?
EELS : A bien y réfléchir, je resterai ici. Et maintenant.
« Tout le monde sera d’accord sur ce point – notre nouvel album « Time ! » est le meilleur album de l’histoire de la musique »
L’époque vous convient donc ?
EELS : Pas vraiment. C’est le bordel partout mais si on y réfléchit un peu on doit bien se rendre compte que ça a toujours été le cas, non ? Je te dis les 60’s mais prenons 1967, par exemple. Une des années les plus meurtrières de l’histoire. Il y a toujours eu des choses atroces à toutes les époques. C’est vrai que l’époque actuelle a vraiment l’air particulièrement pourrie mais je ne veux pas aller ailleurs. Je veux rester ici avec enfant, chien… et avec les gens à qui je tiens.
Pendant l’enregistrement de l’album, avez-vous parfois rencontrer des difficultés pour composer et enregistrer ?
EELS : Non. Je dois dire que la plupart du temps, les choses se mettent en place assez rapidement. Tout sort vraiment vite. Parfois bien sûr, tu as du mal à avancer. Mais ça m’arrive très rarement.
J’imagine que vous ne considérez pas tous vos albums de la même manière. Dans votre discographie, quels sont les 3 albums que vous aimez le plus ?
EELS : Il y a un cliché qui dit que les songwriters considèrent leurs albums ou leurs chansons comme leurs enfants. Je ne veux pas rendre « Shootenanny » jaloux de « Tomorrow Morning » ou « Hombre Lobo » dont j’aime le côté déstructuré. Vous savez, il y a des morceaux que les gens adorent, comme Electro-Shock blues. Je ne vais pas m’opposer à ça. Ou Blinking lights (for me). Je ne me disputerai pas dessus avec eux non plus. Mais clairement – et je crois que tout le monde sera d’accord sur ce point – notre nouvel album « Time ! » est le meilleur album de l’histoire de la musique.
C’est une réponse très maline de votre part.
EELS : Aha !
Vous n’en avez jamais ras-le-bol de répondre à des journalistes à chaque sortie d’album ? Cela fait partie du job ?
EELS : Parfois ça me rend fou et ça peut être difficile pour moi, mais ça fait partie du boulot en effet. Et j’essaye toujours de me dire que ça reste cool que des gens s’intéressent à mon travail.
Quelle relation entretenez-vous avec la musique des autres ? Vous l’écoutez sur support physique ? En streaming ?
EELS : J’adore les vinyles. J’ai plusieurs platines dans la maison. Dans la cuisine, le salon, la chambre… J’aime le côté cosy du son, et le confort que je ressens quand j’écoute un vinyle. Le même que je ressentais quand j’étais gamin. J’aime les pochettes. J’aime tenir ces grandes pochettes entre mes mains. Les regarder. C’est vraiment comme ça que je préfère écouter la musique.
Quels groupes actuels écoutez-vous ? J’imagine que vous n’écoutez pas seulement du rock psyché des 60’s.
EELS : J’en écoute pourtant énormément. Et aussi du rock du début des 70’s. Ce sont vraiment mes périodes préférées. Mais il y a bien sûr des exceptions.
Des nouveaux groupes ?
EELS : ça m’arrive. J’en entends à la radio par exemple.
Vous pouvez-nous donner quelques noms ?
Il y en a beaucoup mais aucun ne me revient en tête au moment où je vous parle. Généralement, j’aime les choses que les gens comme moi aiment.
Avez-vous des projets après « Time ! »?
EELS : Non, c’est un peu trop tôt pour le dire. Je ne sais pas trop.
Merci pour cet interview. Quelque chose à rajouter ?
EELS : Non.
EELS // Time ! // E-works, PIAS Recordings