Il y a des histoires que l'on aurait aimé écrire. Quand les auteurs ont le talent de mettre le doigt sur des fascinations pures, cela donne, par exemple,

Il y a des histoires que l’on aurait aimé écrire. Quand les auteurs ont le talent de mettre le doigt sur des fascinations pures, cela donne, par exemple, Faust, et voilà que Goethe en influence plus d’un, de Maturin à Jagger, de Von Chamisso à Wilde.

Mais outre ces diaboliques aventures que j’ai parcouru, du pacte le plus malchanceux au plus vicieux, il existe un autre mythe qui a contribué à forger mes affects et stimuler mon imaginaire: celui de l’amour inter-générationnel.

Je crois que tout a commencé avec le Diable au corps puis le Lauréat , adaptation du roman du même nom de Charles Webb, avec un excellent Dustin Hauffman qui interprète ce héros haut-perché, distant de tout, distant de la pourriture bien-pensante américaine, et surtout distant de lui-même, se retrouvant à séduire sans le vouloir « la plus belle de toutes les amies de ses parents ». Cette histoire, pourtant d’une simplicité troublante, cache tout un malaise collectif, qui se voit aujourd’hui concrétisé par la fascination sexuelle pour la MILF. Et comme pour montrer que cela ne date pas d’hier, Stephen Frears, réalisateur des Liaisons dangereuses , signe ici une nouvelle adaptation, cette fois d’un récit de Colette intitulé Chéri.

Dans une Europe où les rêves industriels et technologiques des XVIIIème et XIXème siècles se transforment en réalité de plus en plus pesante, dans un monde occidental où tout, désormais, accélère, tout est périssable, bref, dans un monde moderne, une prostituée française de renom, Léa, se dit qu’il est temps pour elle de se retirer (sic). C’est Michelle Pfeiffer, et ses deux rides régulières au coin des yeux.

Léa de Lonval est comme une marraine pour Fred Peloux, alias Chéri, jeune homme insouciant qui traîne une sorte de dandysme-malgré-lui (non sans rappeler Alexandre dans le film La maman et la putain ) entre le domicile matriarcal et le Maxim’s où opium, cocaïne et jolies fesses passent devant ses yeux, en forme de soles, encore candides. Derrière une naïveté sincère, Rupert Friend insuffle à Chéri, qu’il incarne dans le film, une dose de cynisme élégant qui n’est rien d’autre que la terrible marque d’un passéisme déjà présent chez les jeunes gens de dix-huit ans du début du XXème siècle, fascinés par le temps des décadents, dandys et symbolistes, et plongés dans une Europe revenue de tout, prête à se suicider au combat.

Léa et Chéri, malgré leurs fortunes respectives, malgré les apparences, sont des parias: qu’est-ce donc qu’une pute, quand elle est trop vieille?

Peu importe les princes qu’elle a séduit, elle n’est plus qu’une vieille pute. Qu’est-ce donc qu’un fils de riche (fils de riche prostituée d’ailleurs) qui ruine sa vie en superficialités mondaines en attendant que l’épée de Damoclès – qui le mènera à Verdun-  lui tombe sur le crâne? Ces deux-là ne sont rien, pas utiles à la société pour un sous, ils ne sont que des vanités vivantes, comme de beaux objets que l’on n’arrive pas à assortir au reste de la maison et que l’on préfère laisser dans une boîte, avant que mieux ne se présente… Et puis un jour, sur un simple « embrasse-moi », Chéri et Nounoune (c’est ainsi qu’il la surnomme), deviendront tout, et peu importe l’âge, le petit Fred trouve ici la mère charnelle qu’il n’a jamais eu, dégoûté des excès et de la vulgarité de la sienne. Stephen Frears et le scénariste Christopher Hampton rendent compte avec brio du destin romanesque de deux éternels enfants perdus dans une société où les gens de leur race, celle de ceux occupés à ne rien faire d’autre qu’être beaux, se voient retirer peu à peu leur légitimité d’exister, de révolution en révolution, et qui trouvent leur dernier repère dans un amour rendu impossible par un mariage arrangé, le vide plastique d’un jeune homme qui ne fait preuve d’esprit que quand il s’agit d’être cruel et le passé d’une femme qui en a trop vu ; à travers des couleurs aux contrastes parfaits et des dialogues d’une efficacité britannique qui, du début à la fin, vont à l’essentiel. Chéri, abordant pourtant les thèmes mélancoliques de l’âge, du temps qui passe et d’un amour élitiste, ancrés dans une époque révolue, ne nous ennuie pas un instant et nous ramène aussi bien à des réalités (exceptée peut-être celle du mariage arrangé, quoique…) qu’à des rêveries universelles.

Ok, vous me direz, vu l’affiche et l’univers que semble dégager le film, ainsi qu’une partie du background cinématographique de Stephen Frears, « ça sent un peu le film cul-cul pour les vieilles profs de français qui veulent cumuler leur désir d’eau de rose et de culture érudite, après une longue semaine à supporter des adolescents ignares presque analphabètes, seules une fois de plus dans leur petit cinéma Art et Essai de province préféré »… Chéri échappe au cliché.

Un cynisme sous-jacent, une caméra à l’oeil lucide et une dose d’humour angliche injectée dans la chair de chaque scène font de ce film une vraie révélation « printanière ».

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