Souvent relégués au fond de top 10 d’artistes à suivre parrainés par des marques de téléphone, ils et elles luttent contre 60 ans d’histoire pour se faire une place dans le cœur des jeunes auditeurs qui croient avoir tout entendu. Eux, ce sont les musiciens nés après les années 2000. Et place aujourd’hui à Anona qui débarque aujourd’hui en surf sur les serveurs, sur le dos d’une nouvelle vague freak-folk.

Décennie après décennie, la même scène, encore et toujours, semble se répéter : de jeunes artistes se réunissent dans une cabane pour enregistrer quelques chansons acoustiques pendant que la chanteuse et compositrice enfile sa plus belle robe blanche pour prendre la pose au milieu de la prairie voisine. Même si le paysage est familier, voire complètement cliché, Anona l’aborde avec à la fois tant de distance et de premier degré qu’elle parvient à ne pas y tomber les deux pieds dedans. Au contraire, elle en joue, le plie, l’interroge, le redessine et le façonne à son goût.

Si sa musique coche la plupart des cases connues du freak-folk, elle accueille bon nombre d’influences extérieures (ce qui constitue d’ailleurs l’essence du genre, bon point donc) pour créer un nouvel hybride dans ce paysage fantasmé, imité et rarement égalé. Le Tangier de Donovan côtoie le Miles Davis d’Ascenseur pour l’échafaud (dont la couleur est magnifiée par les trompettes de Ruby Mountain). Le folk britannique et européen invite le jazz et les influences ouest-africaines du wassoulou, Anona ayant elle-même construit sa musique en apprenant de musiciens gambiens lors d’un long voyage dans ce pays. Autant d’horizons lointains mariés dans cette ambiance candide et pastorale que l’on ne peut feindre, illustrée sur la ballade de clôture Moth Song et servant de fil d’Ariane à cet EP.

De cette riche cuisine artistique, la jeune compositrice retire ces quelques chansons enregistrées au cours de sa vingtième année, témoignant d’interrogations typiques du « passage de l’enfance à l’âge adulte ». Comme c’était la première fois qu’elle se lançait dans un projet aussi personnel et dont elle était la seule architecte, Anona use de grands symboles et d’un vrai talent de narration pour exprimer tout ce qu’elle a sur le cœur, explorant ainsi les thèmes les plus traditionnels de l’acid-folk : la terre, la vie, la mort, le soleil, la lune, l’enfant face aux symboles de puissance, le voyage intérieur et la quête initiatique. Et promis, ce n’est vraiment pas aussi redondant que ça en a l’air.

Les conditions d’enregistrement sont diamétralement opposées à celles de la gestation de l’album. Là où la jeune artiste prenait souvent plusieurs mois en solitaire avant de s’estimer satisfaite de l’écriture d’un morceau, elle réunit quelques amis de la nouvelle scène alternative de Brighton (notamment les membres de Wax Machine, où elle donna de la voix, et de The New Eves, dont elle est la flûtiste) dans une cabane de campagne bricolée en studio improvisé. La joyeuse équipe n’a aucune connaissance des morceaux d’Anona et découvre la musique en même temps qu’elle l’enregistre, en quatre jours, dans la plus pure tradition du Incredible String Band période communauté galloise.

L’album enregistré en février 2020 sortira deux ans plus tard, joyau onirique et éthéré d’un autre monde, comme les fééries d’Odilon Redon dont la jeune femme s’inspire dans ses travaux de peinture, son autre moyen d’expression fétiche. Un premier EP sans fautes pour une artiste prometteuse et son pays des merveilles où le temps s’écoule toujours, mais pas tout à fait comme ailleurs.

Anona // Anona // Sortie le 23 janvier chez Strong Islands Recordings
https://anonaband.bandcamp.com/album/anona

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