Après trois albums parus sur Freakout Records, label créé par le duo fondateur d’Acid Tongue, le groupe de Seattle se délocalise cette fois sur Le Cèpe Records. Alors qu’ « Arboretum » se dédiait à la sobriété par la contemplation, « Acid On the Dance Floor » renoue avec l’ivresse psychédélique sur du rock qui plaira à n’en pas douter aux puristes comme aux amateurs de Black Lips, Night Beats, Brian Jonestown Massacre & Co.

Amphitryon de la scène rock indé hexagonale, freak kid en mal de repères dans un XXIème siècle tourmenté par la révolution de ses mœurs et modes de consommation, catalyseur d’une nouvelle scène de Seattle et entrepreneur dans l’industrie musicale, Guy Keltner, cofondateur d’Acid Tongue, cristallise tout cela à la fois. Sur scène, il incarne une certaine américanité glam-punk, pych-freak et garage rock originel, à la manière d’un phare pour une nouvelle génération d’amateurs et amatrices de musiques rock américaines.

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En dehors de leurs shows révoltés, Guy gère le label Freakout Records depuis 2015, cofondé avec le graphiste et batteur Ian Cunningham, mais aussi Skyler Locatelli de la radio locale KEXP-FM qui s’est mue en véritable institution curatrice de groupes alternatifs, jusque chez nous. Dès 2013, avant même la création de son groupe, Guy est venu stimuler l’offre culturelle de Seattle avec le Freakout Festival qui a pour fondement : « MUSIC FOR PEOPLE, NOT FOR PROFIT ». Ce raout annuel de psychonautes adeptes de perches musicales semble bien taillé pour asséner des coups de boots dans la scène rock underground afin de la laisser jaillir sans entrave. Night Beats y ont joué, les Japonais d’Acid Mother Temple également, et Joel Gion, du Brian Jonestown Massacre, est même venu accompagner Acid Tongue sur cette scène en 2018.

Bienfaiteur du rock’n’roll

D’ascendance mexicaine, Guy Keltner, qui s’illustre également dans Mala Suerte, projet parallèle sur l’autre rive du rio Grande, tisse un réseau avec la scène alternative sud-américaine qu’il invite à se produire aux États-Unis. D’ailleurs, Acid Tongue se trouve un peu à l’orée du groupe et du collectif. À part les musiciens titulaires comme le cofondateur Ian Cunningham, qui alterne selon les disponibilités avec Faith Stankevich (batterie, chant), Shawn Crawford (guitare) et Tim Mendosa (basse), dès ses balbutiements, d’autres musiciens de Paris à Los Angeles en passant par Londres, New York et Mexico, vinrent s’y greffer lors de tournées et enregistrements.

Ce philanthrope de la musique rock internationale, marié à une française, s’applique par ailleurs avec une certaine curiosité avisée à suivre de près notre scène indé hexagonale. Raison pour laquelle, peut-être, son nouvel album sort sur un label français. Plusieurs groupes du circuit entretiennent des liens étroits avec l’ami américain, qui discute avec nombre d’entre eux pour venir les faire jouer dans l’Amérique malade du détestable oncle Donald.

Albums Of The Week: Acid Tongue | Acid On The Dancefloor - Tinnitist

Sec mais imbibé comme un Merry Prankster

Après trois premiers albums parus sur leur propre label, « Acid on the Dancefloor » – dont quatre chansons étaient déjà présentes sur l’EP « Blame It on the Youth » de novembre 2023 – est le premier qui ne sort pas sur Freakout mais sur Le Cèpe Records. En 2020, pendant l’enregistrement d’ « Arboretum », son précédent album, les frasques éthyliques de Guy l’ont contraint de stopper net la picole lorsque des troubles bipolaires lui ont été diagnostiqués. Son titre faisait ainsi explicitement référence à sa redécouverte de la contemplation de la biodiversité alors qu’il devenait, jour après jour, lui-même partie intégrante de l’écosystème de l’arboretum de Seattle. 

Puisque l’époque semble assez déprimante pour en plus vivre une existence d’une sobriété monacale, Guy a pris la tangente. Freak kid de la dégaine jusqu’aux tréfonds de sa psyché, il a saisi la renaissance psychédélique par les fioles pour la chevaucher comme un héritier du flower power décocté dans la désillusion punk et fermenté dans le désenchantement contemporain. En même temps, à seulement deux heures et demie de route de Seattle se trouve le Mushroom Dispensary Coca Leaf Cafe de Vancouver, unique établissement au monde qui propose légalement à la vente du LSD et autres psychotropes de nature psychédélique.

Le nouveau son de Seattle

Alors que le 5 avril dernier commémorait les 30 ans de la mort de Kurt Cobain à Seattle, Acid Tongue érige avec « Acid on the Dancefloor » ce qu’il présente comme le nouveau son de cette ville. Une musique rock rétro aux influences éparses mais subversives, une approche rentre-dedans, mélodique mais incisive, glam, punk et garage rock.

Le titre d’ouverture, Desperado, qui est peut-être la chanson la moins captivante de l’album, laisse place au single éponyme Acid on the Dancefloor, sorte de trip report transposé en musique de ses soirées depuis qu’il a kické la boisson hors de sa vie. « I’m trippin on acid on the dancefloor / And I took too much / I took too much » s’égosille-t-il entre des « Oouh Oouh » qui pourraient suggérer les montées ressenties. Les détracteurs du fun y décèleront peut-être la manifestation d’un comportement toxique. Une prise d’acide à risque dans un environnement peuplé insécurisant. De mon côté j’y entends la jouissance solitaire et expérimentale au sein d’une foule anonyme, standardisée dans son intoxication conforme. D’ailleurs, il confie lors d’une interview que Seattle est un endroit merveilleux pour triper sous substances hallucinatoires et qu’il espère que sa chanson « encouragera les gens à prendre plus d’acide et à danser davantage ».

Punk sensible

Guy se place ensuite comme pourfendeur du caractère punk comme une posture tendance, récupéré par une bourgeoisie en mal de provoc, dans l’invectivant Consumerism. De notre côté de l’Atlantique, cela a ravivé mon dégoût pour nos non regrettés baby rockeurs. Toutefois, si l’on reprend à la lettre certaines paroles, permettez-moi une digression qui va à l’encontre de l’indignation de son compositeur. Dans le journal New Wave d’août 1977, Lester Bangs écrivait :

« Le punk est un consumériste crétin et fier de l’être. Le punk est oubli quand il n’y a pas moyen de prendre son pied et, contrairement aux poivrots, vous avez vraiment le choix : en fait, vous êtes jeunes. Le punk c’est crever d’ennui à regarder Lancelot Link le samedi à midi sans avoir la moindre idée de ce que vous voyez.  […] Le punk c’est de vagues rêves de carnage et de vengeance sanglante quand on a à peine la force d’écraser une mouche comateuse. » (Lester Bangs – Fêtes sanglantes & mauvais goût, Tristram, 2006).

 

Arrive ensuite le poignant Blame It on the Youth qui, depuis le duo de Suffering for You avec Shaina Shepherd sur le précédent album, est l’un des titres du groupe qui m’a le plus transporté. Dans « Acid on the Dancefloor », Guy semble éparpiller des bribes de références musicales aux swinging sixties comme un jeu de piste. Ainsi, les auditeurs et auditrices les plus alertes auront certainement remarqué que Blame It on the Youth se clôture dans un tourbillon sonore semblable à l’achèvement du A Day in the Life des Beatles.

Loves Takes You For a Ride, la suivante, débute sur une intro que j’aurais juré empruntée aux Night Beats. Il semble que ça parle d’amour. Après tout, Guy reste attaché aux thèmes d’écriture classiques qui ont imprégné le rock de sa dimension rebelle sentimentale. Sur Gatekeepers, plus glam, on appréciera le joli jeu de mise en scène en overdub.

Vient alors leur reprise du LSD des Pretty Things. Très fidèle à l’original, il n’empêche qu’Acid Tongue se l’approprie comme il le ferait avec le briquet de son voisin pour allumer un joint. Il pourrait presque s’agir d’une version remasterisée de la chanson initiale avec un Dick Taylor plus agressif et un Phil May sous speed, ou bien qui se hâte d’achever le concert pour se détendre sous influence chimique.

 

Sur la sarcastique Friends with Bad Advice et son instrumentation un petit peu à la Mungo Jerry, Guy emploie parfois sa voix comme un instrument rythmique qui pourrait s’apparenter à un rire nerveux. Ma rime préférée ? « Don’t need a lawyer for my defense / Just need friends with common sense ». L’incandescente Soul on Fire vient cette fois emprunter à la British Invasion ses « Papapapa papapa » qu’il a certainement dépouillé sur le squelette des Troggs, Turtles, et consort, errants desséchés sous le soleil de la Vallée de la Mort.

L’album s’achève sur la langoureuse Stray Dogs puis la vaporeuse et très ricaine Hollywood Ending. Dans la première, Guy chante : « Whatever sound you’re makin / Whatever drugs you’re takin / No matter what you’re saying / I love you », qui traduit en substance assez bien mon avis sur Acid Tongue.

Afin d’honorer le pays qui accueille les yeux grands ouverts l’ « Acid on the Dancefloor », Acid Tongue est déjà programmé le 1er juin au festival normand Douce Amer. D’autres dates françaises seront annoncées prochainement puisque le groupe viendra tourner en Europe en septembre.

Acid Tongue // Acid on the Dancefloor // Le Cèpe

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