Communication savamment millimétrée, quatre albums en presque vingt ans d’existence, un duo peu bavard qui distille les interviews au compte-gouttes… ça vous rappelle rien ? Toute ressemblance avec des personnes (casquées) étant purement fortuite, dire qu’on attendait le futur de Boards Of Canada depuis des lustres est un bel anachronisme. On les avait quittés jeune, les revoilà démodés. Avec « Tomorrow’s Harvest », les Ecossais écrivent une nouvelle page de leur histoire. Certainement la dernière.

Quand j’étais gamin, ma mère me cuisinait des quiches Lorraine. Ca n’a l’air de rien comme ça, mais cela reste l’un de mes plus beaux souvenirs d’enfance. La pâte était croquante, les lardons dorés à point, la première bouchée savoureuse ;  les pieds calés sous la table de la salle à manger je contemplais l’enfance éternelle en me disant que les choses seraient toujours ainsi. Et puis tout a changé, j’ai finalement découvert l’indépendance, les factures à payer soi-même et les quiches sous vide ; bref tout ce qui fait qu’on finit toujours par regretter l’insouciance du foyer familial. Longtemps j’ai tenté de retrouver cette madeleine de Proust que furent les petits plats de maman, au siècle dernier. En vain. Les quiches n’ont plus jamais eu le même goût.

boards-of-canada_tomorrows-harvest-608x608Vous me voyez venir de loin, mais ce nouvel album de Boards Of Canada, après huit ans d’absence, a le même parfum de déception qu’on retrouve à chaque fois qu’on essaie de revivre un instant du passé. Méticuleusement orchestré par le groupe lui-même depuis plusieurs mois, le barouf – pour ne pas dire brouillard – médiatique autour de Boards Of Canada a longtemps duré, trop peut-être, renforcé en cela par des rumeurs de nouvel album à chaque fois immédiatement démenties par le duo, comme si l’idée même de revenir après trois chefs-d’œuvre [1] était insurmontable. Nous y voici pourtant. Heure de verdict pour une génération de geeks boutonneux désormais en âge de faire un crédit à la conso’ pour s’acheter toute la panoplie Steve Jobs en trois exemplaires. Avant d’en arriver à ce qui cloche sur ce nouveau disque, il faut bien dire que jusque là Boards of Canada avait réussi l’impensable : transcender la musique électronique à tel point qu’on pouvait parfois, dans l’écho des nappes cosmiques, deviner le visage de Dieu, voire la crèche et les santons derrière un étonnant vrombissement de machine programmée. Désincarnées par essence à force de tirer tous les câbles, les mélodies de Boards of Canada trouvaient malgré tout leur point d’équilibre, leur vitesse de croisière, parce que l’époque était à la flânerie digitale et au croisement entre rythmiques trip hop, hip hop, post pop, hop hop hop ; bref « The Campfire Headphase » (2005) a fini par devenir le symbole de la musique des années 2000, à la fois imagée, poétique, désengagée, contre-révolutionnaire mais héroïque et néanmoins extrêmement codifiée, pour ne pas dire figée dans une époque. Huit ans plus tard, c’est un peu plus complexe. Compliqué. On ne découvrira pas coincé entre deux lardons le sourire du Tout Puissant, pas plus que son ombre. Comme vous le dit certainement votre banquier en fin de mois, le compte n’y est pas.

Pourtant « Tomorrow’s Harvest » avait tout pour séduire. Une pochette évanescente rappelant les plus beaux levés de soleil que vous n’avez jamais vécus, des titres (Jacquard Causeway, Transmisiones Ferox) aux promesses de lendemains inconnus. Et au total, un tracklisting faisant un bras d’honneur à la concision avec dix-sept titres, histoire d’en donner aux fans pour leur argent. Tout cela part certainement d’un bon sentiment, on se doute que Michael Sandison et Marcus Eoin n’ont plus besoin de composer pour payer les factures.
Boards of Canada: brothers Michael Sandison and Marcus Eoin.Allez savoir pourquoi, suffit pourtant de deux morceaux – on va faire l’impasse sur le premier, Gemini, davantage une ouverture Tronesque qu’autre chose – pour sentir un malaise, une épaule qui gratte. Ces boucles de synthétiseurs, cette ambiance de modernité stérilisée et crayonnée au stylo fluo, on l’a déjà entendue des milliers de fois. Sur tous les disques précédents, en fait. De piste en piste, le cauchemar continue. Ou plutôt : s’intensifie. L’impression d’avoir recyclé les chutes de l’avant-dernier album, avec le même matériel, pour un résultat terriblement obsolète, désuet. Inutile et rétrograde, si tant est qu’on puisse parler de passé lointain pour un groupe phare des années 2000. Que dire de White Cyclosa, qui tient sur un arpeggio de quatre notes jouées en boucle pendant trois minutes sans aucune évolution, ou de Cold Earth, à peine digne d’être jouée dans un salon de thé en 2045 ? Enfin, que penser de Nothing is Real donnant l’impression d’entendre des chants de baleines ayant ingurgité de grosses banques de samples ? Pas grand-chose. Car si « Tomorrow’s Harvest » est de prime abord médiocre, son écoute répétée s’avère également horripilante. Look de tôle froissée, goût de futur congelé, ambiance de déjà vu. Ca patine sec, ça ne décolle pas. Pire encore, le Boards of Canada des années 90 semble bien plus futuriste que celui de 2013, la faute à une tonne de groupes s’étant depuis enfoncés dans la brèche de l’ambient post-Eno. Coincé dans un genre musical, parce qu’on se doute bien que les Ecossais auraient les pires difficultés du monde à changer de registre en livrant un MTV Unplugged, on retrouve sur « Tomorrow’s Harvest » les mêmes réticences qu’avec le dernier album de Principles Of Geometry, à savoir une difficulté à se réinventer, ou à simplement réinventer le futur. Disque de remplissage idéal pour un cabinet de dentiste exilé sur Pluton, « Tomorrow’s Harvest » n’imprime rien de l’époque, si ce n’est cette impression que le groupe sert ici un disque de rappeur digital transbahuté au pays de John Carpenter. Boards Of Canada ? Boards of nada, surtout.

Jean-Pierre Chevènement, célèbre grincheux étant à la politique ce que Lou Reed est au rock, déclarait en 1983 « qu’un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne ». On serait tenté de dire la même chose à nos deux cosmonautes après ce disque de trop ; eux devraient continuer de se taire ET démissionner. Laisser l’histoire parler pour eux, en contemplant leurs précédentes réussites – véritables – depuis une station orbitale. Quant à ceux qui s’avèreraient en manque d’une variation sur le même thème astral, il faudra prescrire sans hésitation le dernier album de Bibio, « Silver Wilkinson », formidable fusée gavée de synthés et propulsée voilà quelques semaines par le même label que… Boards Of Canada. Comme quoi, parlant du futur, l’herbe est parfois vraiment plus verte chez le voisin de palier.

Boards of Canada // Tomorrow’s Harvest // Warp
http://www.boardsofcanada.com/


[1] « Twoism » et « Box Maxima » mis à part, puisque étant considéré comme des autoproductions signées sur leur propre label, Music70, au début de leur carrière.

17 commentaires

  1. Toujours la même impression à la lecture de vos articles … cette volonté farouche de se démarquer qui vous réduit plus à vociférer qu’à émettre un point de vue. En vous rassurant avec un angle ambitieux. Qu’est ce que la modernité en matière musicale ? Vous avez ?

  2. Coucou yo
    je ne vois pas où est la volonté de démarcation dans le fait de dire qu’un disque longtemps attendu est surtout extrêmement décevant. Parler de déception, est-ce vraiment aller à contre-courant ? Je trouve cette conception du monde un peu simpliste, on ne vit pas dans le monde des Bisounours, il me semble. La modernité en matière musicale, pour moi c’est arriver à réécouter un disque dans 6 mois, un an. Ce n’est pas le cas ici.

  3. Roooh, encore un de ces critiques qui aime vomir… Et se délecte à trouver les « bons » mots autour du vide de leur impudeur culturelle et de leur manque de modestie. Du « Moi, je sais que c’est de la merde. »
    Quand je te lis, Monsieur le Critique. J’ai l’impression que tu parles beaucoup trop de TOI et peu du génie de ce groupe qui marque les émotions d’un cachet de fée perdue. Je te respecte, mais sache au moins que MOI, ici, là maintenant, ce nouvel album m’envoute à nouveau et toujours autant autant… Salutations!

  4. En fait le critique devait avoir des espérances un brin surélevées … Moi qui n’ai pas compté le temps depuis le précédent opus mais ai découvert par hasard cette sortie (je précise que BOC a fortement influencé mes sensibilités, surtout via leur maxi « in a beautiful place… »), je retrouve totalement l’univers familier, de nouvelles mélodies, toujours cet équilibre ténu « recherche / efficacité sensorielle », toujours planant… Du BOC quoi, classique mais par révolutionnaire. J’attends des écoutes supplémentaires une évolution de mon ressenti vis-à-vis de la new galette. Ciao

  5. J’ai été biberonné à AshRa Tempel, Tangerine dream et Klaus Shulze; j’ai decouvert oar hasard BOC que je ne connaissais pas; le charme est surrané mais je trouve la musique fascinante

  6. cette critique est bancale malgré quelques vérités, oui en effet BOC n’innove pas, mais je ne crois pas que c’est ce que l’on attend d’eux, j’écoute leur musique depuis des années et j’avoue que j’aime la texture de leur sons, les mélodies, l’ambiance générale qui se dégage…bref un bon disque

  7. Dans la vie il y a deux catégories de personnes.

    Les artistes du côté de la création.
    Les critiques du côté de rien du tout.

    Tu devrais utiliser tes frustrations de manière plus constructive.

  8. Désaccord total avec cette critique. Il s’agit d’un des meilleur album de Boards of Canada. « Palace Posy » est une prouesse absolument incroyable en matière de musique électronique (mon dieu ces basses !) Je l’ai écouté un nombre incalculable de fois, perdu dans ma cambrousse à travailler dans mon atelier. Le ton de l’article est vraiment chiant, et rappelle les mollassons Inrocks qui n’aiment rien et qui ont décidé sur la base de rien de ce qui était de bon ou de mauvais goût. Reste quelques formule rigolote qui, je vous le concède, à le mérite d’expliquer clairement ce que vous n’avez pas aimé. On n’a simplement pas entendu la même chose, mais venant de la part d’un chroniqueur qui dit avoir aimé les trois premiers albums, je ne comprend vraiment pas.

    1. Je suis assez d’accord avec ce qui est écrit dans l’article. J’ai écouté l’album lors de sa transmission live en 2013 et d’emblée il m’a dans l’ensemble beaucoup déçu. Je le trouve mou et peu inspiré bien que beaucoup plus pro au niveau de la « production ». L’innocence et la poésie des anciennes compos ne sont plus. Je crois que c’est le destin des artistes « trop » novateurs, condamnés à decevoir car on les attend au tournant. Leur Societas X Tape réalisée à l’occasion des 30 ans de WARP est, je trouve, très [plus] intéressante pour se plonger dans leur univers.

  9. EN 2013 BESTER TU ETAIT DEJA UNE MEGA GROSSE QUICHE DE BRANLE COUILLE SANS TALENT AUCUN DE PETIT SCRIBOUILLARD DE PIGISTE LAMBDA A LA PETITE SEMAINE ,le dernier boards of canada est dans la ligné de leur periode skam ,qui est leur meilleur période , je viens de le reecouté c’est un disque superbe et intemporel , tu ne peux attendre de boards of canada qu’il innove car leur musique depuis le début est une retromania ,leur musique depuis 1995 est une boule de neige façon rosebud de citizen kane ,.

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