Théoriser sur du vide. Si l’exercice est récurrent chez nombre de médias spécialisés, lui donner un tant soi peu de consistance n’est pas une mince affaire, surtout lorsque l’affaire prend les contours d’un défi engagé lors d’une conversation informelle – la faute à ce que l’on nommera la « société du commentateur » (mais c’est une autre histoire). Et donc : Django Django, premier groupe excitant de 2012, ne serait que la résultante d’un long processus de transformation inhérent à la pop anglaise. N’y voyons là aucune connotation péjorative : d’Antoine Lavoisier à Joe la Pompe en passant par Pablo Picasso, les plus grands attestent du recyclage comme principale source de création dans l’art, si tant est qu’il y ait dans ce processus de la valeur ajoutée.
Et de valeur ajoutée, tant au niveau de la mise en sons que de la composition, il en est largement question dans ce premier album du quatuor irlando-écossais. Mais étayons notre postulat : Django Django apparaît avant tout comme le nouveau coup de cœur estampillé Because, rarement à la bourre lorsqu’il s’agit de flairer les bons coups Outre-Manche. Fort de la souplesse que lui procurent ses dimensions intermédiaires, qui synthétisent, pour faire court, la liberté éditoriale d’une structure indépendante à la puissance de frappe d’une major, le label parisien s’est offert quelques-uns des meilleurs artistes britanniques de ces dernières années. Par « meilleurs » entendez: « crédibles sur les plans artistique et commercial ».
Ça a commencé début 2007 avec le premier Klaxons, qui surfait sur la fumisterie « nu-rave » promue en France par Kitsuné (et autres prescripteurs de pipeau).
Par chance, le groupe était meilleur que les autres, et avait pour lui un single fédérateur qui allait cartonner dans les grands raouts estivaux (Golden skans). Gros buzz, Mercury Prize, ventes qui décollent : les Klaxons incarnent alors la jeune génération fluo, celle qui se déboite à coups de vodka-Red Bull et de MDMA. Nouveau ? En réalité, les Klaxons remettent au goût du jour une formule éprouvée vingt ans plus tôt à Manchester : rallier clubbers et indie kids, non plus avec des sifflets (quoique) mais avec des glowsticks, et incarner un hypothétique troisième « summer of love » (après ceux de ‘67 et ‘ 88). Un sentiment perdure : celui de communier comme sur l’île de Wight à la fin des 60’s… Avec ce succès, Because peut envisager sereinement sa politique de signatures vers l’indie, et en 2008, il fait coup double. D’abord, avec le premier album de Late Of The Pier, tout jeune groupe produit et propulsé sur le devant de la scène par Erol Alkan (lui aussi affilié au catalogue Because). Ce dernier n’est pas n’importe qui. Peu en prennent la mesure, mais le Dj londonien d’origine paki est en grande partie responsable de la déferlante « turbine » (cette électro saturée qui joue avec nos nerfs), donc des cartons de Justice et autres Boys Noize.
A ses heures perdues, Erol a un pêché mignon, la pop psychédélique, dont il dessine de nouveaux contours au sein de son projet Beyond The Wizard’s Sleeve. Son travail de production va directement imprimer l’album de ses petits protégés, bouillonnants d’idée et véhiculant une esthétique très glam (trop, sans doute, les chandails chamarrés du chanteur pouvant légitimer à eux seuls le flop qui les attend). Qu’à cela ne tienne, Because abat son autre carte un mois plus tard : Metronomy. Là aussi, l’identité visuelle est explicite : Joseph Mount et ses sbires donnent des concerts attifés en Télétubbies new-age, et le clip de Radio Ladio est tellement coloré qu’en comparaison, le Yellow Submarine de qui vous savez semble être une œuvre des Frères Lumière. Salué à juste titre par la critique, le disque, « Nights out », est un singulier produit de synthèse aux effets psychotropes, mais il faudra attendre son successeur (et un changement de dealer) pour que Metronomy puisse enfin récolter le fruit d’une écriture hors-normes…
Mais revenons-en à Erol Alkan. En 2010, il croise à Londres un dauphin sous champis, Connan Mockasin, exilé néo-zélandais qui se situe à l’exacte intersection de Robert Wyatt et du Floyd de Syd Barrett (bref, l’école de Canterbury, haut lieu de l’avant-garde pré-prog’).
Fasciné par le brillant blondinet, qui se produit sur scène en toge avec un groupe de néo-babas, il le signe illico pour un album sur son label Phantasy… que Because va récupérer quelques mois plus tard en licence. Enregistré en une prise et sous une tente, « Forever Dolphin Love » est de ces miracles qui se produisent une fois par décennie, une œuvre totalement hors du temps. Erol Alkan sait voir plus loin que le bout de la hype, et Pedro Winter, son alter-ego français, saura s’en souvenir : il sortira en 2011 l’album de Mickey Moonlight sur son label Ed Banger… que distribue Because. Plus connu sous le nom de Midnight Mike, ce mystérieux producteur anglais, aussi discret que gentiment allumé, est la première signature Ed Banger à trancher radicalement avec la touche « street/post-Daft » promue par le taulier. Sur Mickey Moonlight and The Time Axis Manipulation Corporation, il cite pêle-mêle Sun Ra et des auteurs de science-fiction. C’est toujours mieux que Genesis et Brian May… Bref ! Si les quatre garçons de Django Django sont aujourd’hui sur toutes les lèvres, c’est parce qu’ils ont du talent, soit, mais surtout parce que d’autres, avant eux, leur ont balisé le terrain. Ainsi, la dernière signature Because découle naturellement des précédentes, qui elles-mêmes, avant de parler des Zombies, de Hawkwind, des Stone Roses ou de toute autre figure tutélaire à dominante psyché, n’étaient pas allées chercher bien loin leur ADN.
Car en y tendant un peu l’oreille, c’est plutôt du côté de ces formations psyché anglaises que Django Django puise le sien : The Beta Band (1997 – 2004), Broadcast (1996 – 2011) ou encore Simian – celui d’avant la Mobile Disco, celui de Chemistry is what we are (2001). C’est exactement ça : « La chimie est ce que nous sommes ». Plusieurs générations de groupes anglais envisagés comme des laboratoires à ciel ouvert, à cheval entre classicisme et techniques de production modernes, repoussant les frontières de la pop à chaque nouvelle tentative, avec ou sans adjonction de quelque poussière d’étoiles.
10 commentaires
euh je vais faire mon vieux con mais pourrait-on utiliser le terme psychédélique à bon escient, je ne vois vraiment pas ce que ces groupes ont de psyché. C’est comme dénommer folk n’importe quelle bouse acoustique. Alors trouvons une nouvelle étiquette à adosser comme un label bio sur une tablette de chocolat mais par pitié restons sérieux deux secondes. Ces groupes cherchent peut être l’épate sonore (ce qui à mon sens ne doit être qu’une résultante d’un processus intellectuel et technologique sinon c’est un puit sans fond ) mais n’ont d’un point de vue fondamental rien à voir avec le psyché si ce n’est qu’ils en ont écouté des wagons en mp3.
Moi je m’en fous, je likeuh.
Cher Charles,
Je suis bien de ton avis. Il y a au moins autant de similitudes entre Django Django et les Zombies qu’entre James Blunt et Tim Buckley. Ceci étant posé, cet article n’a pas d’autre visée que celle de tisser des liens esthétiques entre les groupes susmentionnés, et par extension, de pointer quelque généalogie du psychédélisme anglais, lequel ne s’arrête pas à Sgt Peppers’ mais imprègne, au hasard et au fil du temps, la new-wave d’Echo & The Bunnymen, la techno de System 7 ou le gospel-rock de Spiritualized.
Bref : donner des clefs est toujours plus instructif que placer un cadenas sur les portes du Temple.
Bien à toi,
mdna
Non non, il ne s,agit pas de portes du temple, ouvrez la cage aux oiseaux comme disait Pierre Perret. Ce n’est absolument pas un jugement de valeur, je ne suis pas du tout en train de sacraliser le psychédélisme qui a vécu son lot de travers musicaux… Le pb c’est que je ne vois pas en quoi echo and the bunny men ou les groupes pré cités sont psychés. Le psychédélisme est un mouvement, une fort d’art et de pensée et pas seulement une musique au même titre disons que le rap n’est qu’une composante qui baigne et agit sur la culture Hip Hop. Ça ne se résume pas uniquement à des effets musicaux, c’est aussi une nouveauté picturale, un contexte socio économique particulier, une évolution technologique, une littérature, une non danse ( libération du corps, mesdames faites sauter les soutifs, messieurs montrez nous vos attributs), une politique, une vision du vivre ensemble ( bien souvent sur des bases anar hédonistes à contre courant du mouvement folk plus socialo communiste du SDS …cf les diggers etc). Ce n’est pas uniquement une affaire de drogues et de niveau de reverb et soit dit en passant il faut intégrer qu’entre un gamin qui prend du mdma aujourd’hui et un freak de frisco qui se tape du sunshine de Owsley il y a un monde chimique mais surtout des attentes totalement différentes ( pour avoir parlé avec pas mal d,experienced people de cette période je peux dire qu’une des choses les plus étrange c’est cette croyance futuriste, cette idée folle qui traina pendant maximum 5 ans que le LSD allait considérablement bouleverser les rapports sociaux, quel gamin, à part 3 illuminés pensent encore cela?). Le simple fait d’apposer sur de la musique pop un effet censé accompagner ou retranscrire une transe sous psychotropes ne fait pas de ces groupes des groupes psychés… A ce moment là quand j’écoute du Ligeti et que je trip c’est psyché ? que nenni. C’est simplement autre chose mais ce n’est pas du psyché, tout au plus c’est une influence
Serlach, tes commentaires sont pysché ! Voilà, t’es content 😉 Et je like aussi l’article. Bien vu.
Sylvain, qui avait bien aimé ces lopettes de LOTP
http://www.parlhot.com
En un mot comme en mille… peace.
La première fois qu’un mec de Because Music s’est présenté au téléphone, j’avais compris « Mycose Music ».
(Mille pardons pour cet interlude crétin)
Tout ça me fait penser que personne n’a fait de jeu de mots sur le mode « Pourquoi ? Parce que », à commencer par l’auteur de l’article et je trouve ça pas Gonzaï du tout dans l’esprit, warf warf !
C’est vrai ça ! Pourquoi diantre n’y ai-je pas pensé ? Parce que.
The Beta Band, carrément.