Certains s’y cassent les dents, pour d’autres c’est la consécration. Le deuxième album est à l’artiste en vogue ce que le contrôle fiscal est à la jeune entreprise prospère : un rappel à l’ordre souvent difficile où l’on comprend vite si, oui ou non, le jeune prodige que l’on nous a vendu conservera son titre ou disparaîtra après un unique coup d’éclat. Dans le cas de Squid, qui signe son grand retour chez Warp Records avec « O Monolith », la réponse est sans appel.

Comme le fossé qui sépare le rat des villes du rat des champs, la différence entre ce nouvel album du précédent « Bright Green Field » tient d’abord dans le paysage dans lequel ils s’inscrivent. Là où le premier était une fresque cynique profondément urbaine, qui frisait le concept-album par la précision des entités décrites, « O Monolith » se met au vert, faisant au passage de la crise environnementale son cheval de bataille.

Enregistré avec Dan Carey (Fontaines DC, Black Midi, Kae Tempest) dans les bucoliques studios de Peter Gabriel, perdus dans la campagne anglaise, Squid a voulu adopter avec ce deuxième projet une approche plus spirituelle et (relativement) contemplative. Conséquence logique d’un premier album coup de poing, d’une carrière lancée sur les chapeaux de roue et d’une pandémie mondiale transformant la promesse d’une tournée dantesque en une succession de concerts assis, socialement distancés. Aussi punk et géniaux qu’ils soient, les Anglais prodiges semblent eux aussi avoir eu besoin de lever le pied. Ce sera l’occasion d’essayer de nouvelles choses, grand bien leur en fasse.

C’est sa plus grande qualité : « O Monolith » fait preuve d’une véritable richesse, qui fait d’ailleurs de sa description un exercice difficile. Le terme post-punk est largement dépassé et n’a plus vraiment lieu d’être, les jeunes Anglais lorgnent ici davantage du côté du jazz et du rock progressif, une juste évolution après les forts accents krautrock du premier EP. Dès l’ouverture de Swing (In A Dream), les progressions sont frénétiques, une escalade crescendo bouillonnante qui fera trépigner d’impatience l’auditeur en manque de castagne. Squid travaille l’art de la retenue et sait faire monter la mayonnaise presque jusqu’à outrance, comprimant ses mélodies pour mieux les faire exploser à l’issue d’un frémissement interminable. Le groupe parvient ainsi à tenir en haleine son public sur des morceaux qui dépassent régulièrement les cinq minutes, un pari audacieux et exigeant.

Squid - 'O Monolith' review: a monument to daring artistic growth

Ce jeu de tension est remarquable sur Devil’s Den, qui lâche des chiens enragés après une expérimentation autour de la folk pastorale. La tentative est encore plus aboutie sur Siphon Song, peut-être le meilleur morceau du disque, une balade apocalyptique entre vocodeur et chœurs harmoniques perdus dans les abysses, comme un signal spatial étrangement tendre, entre Robert Wyatt et 2001 : L’Odyssée de l’Espace. Et quand il n’est pas occupé à larguer des bombes, Squid s’attache à une certaine répétition de motifs, indissociable de cette tension omniprésente. La rengaine permet l’effacement et la transe, un potentiel à la fois claustrophobique et libérateur qui fait de l’écoute de l’album une expérience assez singulière. C’est notamment le cas sur deux morceaux au ton plus politique : The Blades, sur trame de violences policières, ou le très typé Talking Heads If You Had Seen The Bull’s Swimming Attempts You Would Have Stayed Away, dans la digne lignée du rock contestataire anglais anti droite libérale.

Par sa maîtrise et ses ambitions, ce nouvel album a quelque chose de massif et impénétrable (on pouvait s’y attendre, vu son titre) dont le ton expérimental et surréaliste, peut-être difficile à appréhender pleinement au premier abord, gagnera à une écoute plus attentive et exigeante. On pourrait le considérer comme une œuvre quasi théâtrale ou un début d’opéra-rock, tant le travail de narration et d’ambiance parvient, malgré sa complexité apparente, à créer cette cohésion d’ensemble et une multitude de portes d’entrées à sa lecture. Bref : pour son retour, la pieuvre devient kraken en signant ce deuxième album remarquable, de quoi élever le niveau du grand bain des « nouvelles sensation made in UK » dont Squid s’est déjà largement démarqué.

Squid // O Monolith // Warp Records, paru le 9 juin
https://squiduk.bandcamp.com/album/o-monolith

4 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages