Timo Benson

La fine fleur de l’ambient et du hip-hop de Manchester est réunie sur « Grisaille Wedding ». Rainy Miller et Space Afrika s’y sont entourés de toute une bande de joyeux drilles du nord de l’Angleterre pour célébrer sur la tombe de Ian Curtis notre désespoir devant un monde qui périclite.  

Les temps changent. Elle paraît loin l’époque où Manchester United régnait sur le foot anglais et brillait en Europe. Aujourd’hui ridiculisés un week-end sur deux, les Red Devils n’ont pas survécu au départ de Ferguson. Ils ont laissé la place à leurs voisins de City qui, qu’on aime ou pas Guardiola, ont à l’heure actuelle l’une des meilleures équipes de club de l’histoire.
Ça fait du bien de parler un peu de foot et ça me permet de créer un parallèle un peu foireux sur l’ambiance qui règne dans la Manchester Music, autre joyau de la monarchie britannique. On est, là aussi, assez loin des années 80 et 90. L’Hacienda est fermée depuis 25 ans pour laisser place à une résidence de luxe. Ses « parka monkey » à bob en pleine montée d’extasy sur les Stone Roses ou les Happy Mondays approchent aujourd’hui de la retraite. L’autre âge d’or symbolisé par la morgue et la fougue d’Oasis, l’Union Jack en avant, commence aussi sérieusement à dater. Fini le smiley, il faut dire que l’Angleterre post-Brexit n’a pas vraiment de quoi se réjouir. Le paquet de Digestives coûte maintenant trois Livres et il faut faire un crédit pour prendre un billet de train. Non, la capitale du Nord de l’Angleterre serait plutôt aujourd’hui dans le même mood qu’à la fin des années 70 thatchériennes. Sombre et froid comme le moral d’un vieux fan de Joy Division devant son bilan sanguin.

Comme les Odd Future du Nord-Ouest

C’est un véritable gang qui s’est créé autour du White Hotel dans le quartier de Salford cher à The Smiths avec des artistes comme Iceboy Violet, Blackhaine ou justement Rainy Miller et Space Afrika. « On est comme les Odd Future du Nord-Ouest » confiait dernièrement à Dazed Joshua Inyang des derniers cités. Si Miller fait dans le grime triste, Space Afrika développe depuis déjà quelques années une forme d’ambient baignée dans le dubstep, le hip hop et tellement d’autres courants. « Une hantologie de paysages urbains gris, de pluie et de brutalisme » comme le décrivait adroitement Rainy Miller à propos du duo qui avait sorti l’un des meilleurs albums de 2021 avec « Honesty Labour ». C’est donc assez naturellement que les trois mates ont commencé à collaborer pour publier aujourd’hui « Grisaille Wedding ». Un titre pas anodin pour évoquer l’union entre ces artistes sous un ciel gris mais aussi ce style de peinture du même nom réalisée à partir de multiples couches. Car, encore une fois, leur musique brasse un nombre foisonnant de genres et, encore une fois, c’est assez magistral. Attention tout de même, la démarche est expérimentale. Il y a de l’autotune un peu partout. Ça fait quand même 20 ans que ça dure et, même si j’ai eu longtemps du mal avec ça, j’ai réussi à m’y faire.

Heart & Soul

La liste des collaborateurs est longue dans ce disque. Toujours dans les bons coups, la Londonienne Mica Levi vient prêter main forte au mélancolique single Maybe It’s Time To Lay Down The Arms dans une forme de rap comateux qui a ensuite tendance à s’énerver avec une énergie propre au grime via le Mancunien RenzNiro sur Sweet (I’m Free). Et, au milieu de plages ambient ou trip hop parfois inégales parsemées de nappes et de samples de monologues se cachent deux instants de grâce totale. Ce genre de morceaux qui touchent à quelque chose de divin, de mystique, et que, par exemple, un groupe comme Phoenix ne pourra jamais écrire. « Heart and Soul » comme disait Ian Curtis. Il y a forcément ici un écho avec la pochette sépulcrale de « Closer ». C’est certain. Sur Graves At Charleroi, c’est le collègue chez NTS Coby Sey qui prête sa voix à une supplique sur des cordes célestes en douce tension avant un final sur quelques accords de guitare. C’est encore le cas avec Let It Die, où cette fois Rainy Miller implore sur un crescendo de nappes vraiment poignant. Dans un registre plus rugueux, Richie Culver vient plaquer son spoken-word d’outre-tombe sur un autre grand moment : I Believe In God, When Things Are Going My Way.

C’est l’occasion de parler rapidement de Culver. Originaire de la joyeuse cité de Hull, c’est un artiste multidisciplinaire qui fait aussi dans les installations d’art contemporain. Il délivre des mantras révélant l’absurdité de notre époque sur des tableaux, des murs ou des battants de WC. Un an après l’excellent « I Was Born By The Sea » et sa version remixée, il vient tout juste de sortir un nouvel album « Scream If You Don’t Exist » sur lequel il se permet même une collaboration avec le rappeur américain Billy Woods dans un exercice réussi de rap-ambient. Pour situer le mélange des genres, c’est un peu comme si Q-Tip était venu poser ses lyrics chez Coil en 1992. Allez écouter sa musique, c’est beau et cryptique avec des samples de cris de corbeaux et tout.

Pour en revenir à « Grisaille Wedding », ce condensé du désespoir anglais des classes populaires est un parfait remède aux pleurs des nepo baby comme le chanteur de 1975 qui vient chouiner parce qu’ils ne sont pas nommés aux Grammys. Si ce disque n’a peut-être pas la beauté formelle kaléidoscopique du précédent album de Space Afrika, il arrive par moments à être si intense émotionnellement qu’on en oublierait presque un instant le chaos mondial. Pour info, Curtis était fan de City.

Rainy Miller / Space Afrika // Grisaille Wedding // Fixed Abode & Supernature

1 commentaire

  1. saisie de tout les mauvais disques de garage sur perpignan & region, y’a pas lourd! c que les invendus c a dire tout ce qui a ete manufacturé

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