Amputés ou décapités par la vague de coupes budgétaires qui touche actuellement une partie de la France, les festivals de musique ont un peu du mal à lever les bras en ce début d’année. Ce qui n’empêche pas des initiatives heureuses, comme celle du festival Aucard qui a plus d’un tour (oh oh) dans son sac et dégaine une première édition hivernale. Enzo Petillault, programmateur tourangeau depuis 14 ans, nous fait le tour du propriétaire.

Comment se présente cette première édition hivernale pour Aucard de Tours ?
Enzo Petillault : Plutôt bien. C’est une première édition donc on est toujours un peu prudent, forcément. Mais si le public se comporte comme avec l’édition d’été, ça sera probablement complet le jour J.
Elle vient d’où cette idée de rajouter une version hiver d’Aucard de Tours ?
Enzo Petillault : Aucard de Tours c’est quand même un très vieux festival, ce sera notre 38ième édition en 2025. Or il faut savoir que juste avant le Covid-19, le fondateur et président du festival a voulu passer la main à deux nouvelles personnes qui ont eu envie de lancer de nouveaux projets. C’était aussi mon envie en tant que programmateur. D’autant plus en hiver, à un moment où il se passe généralement beaucoup moins de choses. Et ce qui a confirmé cette envie, c’est que le festival fonctionne super bien depuis le Covid-19 ; on est presque complet tous les ans tous les soirs. D’où un excédent de trésorerie qui permet de lancer l’édition d’hiver qui, pour le coup, n’est pas du tout subventionnée.
On résume : vous cartonnez depuis le Covid-19 et vous assumez de perdre du pognon sur un lancement d’un festival au mois de février. C’est un peu à rebours de tout ce qu’on entend dans le circuit des musiques indépendantes depuis quelques années.
Enzo Petillault : Nous globalement, on a la chance de ne pas avoir eu de baisse de subvention sur l’Aucard d’été. Coté prix, ça défie toute concurrence : 12 € la soirée et 35 € les 5 jours (en été, Ndr). Mais il est vrai que lorsqu’on a pensé à l’édition d’été, toutes les annonces sur les réductions de subvention régionale à la culture n’avaient pas encore été annoncées. Quand on a entendu que certaines régions commençaient à couper les budgets de 90 %, on s’est forcément demandé si c’était un bon timing, aha ! Et inutile de se mentir : si la région devait changer sa politique de subvention vis-à-vis d’Aucard d’été, cela impacterait inévitablement l’édition d’hiver.

Comment faites-vous pour être aussi attractif sur le prix des billets ?
Enzo Petillault : On est déjà victime de notre propre festival, au sens où le public tourangeau est habitué à des événements très peu chers. Pour le coup, l’édition d’hiver est un peu plus couteuse (25 € la soirée, 40 € les 2 jours, Ndr) et on peut comprendre que certains aient du mal à sortir cette somme. C’est de plus en plus fréquent et on doit prendre cela en compte. Mais il ne faut pas oublier que même avec une première édition hivernale complète, on sera déficitaire. On ne fait pas de la culture pour faire de l’argent. C’est l’avantage de faire des bénéfices avec une association à but non lucratif : on peut réinvestir dans de nouveaux événements.
« On ne va pas mettre de la musique concrète où il faudrait avoir fait 8 ans de jazz pour comprendre les notes. »
Depuis quand es-tu le programmateur du festival ?
Enzo Petillault : Ca fait 14 ans. Je suis d’abord arrivé en tant que stagiaire et progressivement j’ai pris la programmation d’Aucard. Ce qui différencie les éditions d’’été et d’hiver, c’est qu’en février on sera forcément en intérieur et que donc les ambiances ne sont pas les mêmes et la couleur musicale est un peu plus électronique. Il faut savoir qu’on a arrêté de programmer des DJ depuis 2019.
Pourquoi ?
Enzo Petillault : Je préférais amener des versions live, mêmes électroniques, avec des machines. Ce n’est pas que j’ai quelque chose contre les Dj sets, mais ca ne me semblait pas pertinent pour l’édition d’été. Au global, toute la programmation reste dans l’ADN d’Aucard, à savoir la musique live et des découvertes qu’on n’aura pas vu mille fois dans l’année ailleurs. Comme l’hiver n’est pas un moment actif pour les tournées internationales, on s’est tourné plutôt vers l’Europe avec des artistes qui viennent d’Angleterre, d’Irlande ou d’Afrique du Nord.
A qui penses-tu en termes d’artistes pas vus 1000 fois ailleurs ?
Enzo Petillault : Pour cette édition d’hiver, hormis Jacques, je dirais tous les autres aha ! Je pense à Flohio, Noisy, Yard, Daniel Avery qu’on n’a pas vu ici depuis longtemps, Yolande Bashing qu’on voit davantage dans les petites salles qu’en festival, etc. Lui, c’est un vrai vrai coup de coeur. Même à 15 devant la scène, on est happé.
Comme l’objectif n’est visiblement pas de gagner de l’argent, c’est quoi ton but ?
Enzo Petillault : Aucard c’est un festival avec très peu de salariés et surtout beaucoup de bénévoles qui viennent ici pour aider et écouter de la musique. On parle de personnes qui sont parfois là depuis 20 ou 30 ans et qui voient ce moment comme une colonie de vacances à s’amuser en montant et démontant les scènes. Et tout le monde a répondu présent dès l’annonce de l’édition hiver. Nous on a monté ce truc-là parce qu’on avait envie de le faire, pour faire kiffer tout le monde. Pour la programmation, j’ai la chance qu’on me fasse confiance pour pousser de la bonne musique indé, découverte ou pas, qui plaise au plus grand nombre. On ne va pas mettre de la musique concrète où il faudrait avoir fait 8 ans de jazz pour comprendre les notes ; Yolande Bashing c’est hyper accessible mais peu de personnes connaissent. C’est notre boulot de pousser ces propositions.

Vous êtes-vous concertés avec la Route du rock hiver à l’annonce de votre édition ?
Enzo Petillault : Et bien figure-toi que non, en tout cas très peu. C’est un hasard qu’on se retrouve sur le même weekend qu’eux ; ce qui explique aussi qu’il n’y ait pas beaucoup de groupes en commun sur nos lineup respectifs. Si jamais on revient l’année prochaine, j’essaierai de les contacter pour travailler une espèce de synergie.
Pour finir, en tant que programmateur, comment définirais-tu la couleur musicale de 2025 ?
Enzo Petillault : Il y a un mélange des genres assez évident sur pas mal de scènes, et ça se ressent sur notre programmation, de Walter Astral à Enola Gay en passant par Samba de la Muerte ou Uzi Freyja.
On a pas mal évoqué l’importance du local dans cette interview. Selon toi, les artistes locaux sont-ils une clef pour permettre à un festival de durer dans le temps ?
Enzo Petillault : C’est une très bonne chose que tous les événements, quelle que soit leur taille, donne une place au local. Ca fait partie de notre rôle en tant que festival. Chez Aucard, on le fait naturellement de part notre lien avec Radio Béton, qui est une radio locale importante et très qualitative, à l’image de la scène de Tours, et je crois être assez objectif là-dessus, aha !
Aucard de Tours version hiver, du 28 février au 1er mars.
Billetterie et programmation ici : https://aucard-tours.com/
CC Gratosse on l’espère!