@Tom White

Benefits : This Is England

Benefits est un duo originaire de Stockton dans le nord-est de l’Angleterre, considéré comme l’une des régions les plus pauvre et paumée du pays. Sur leur nouvel album « Constant Noise », Kingsley Hall et Robbie Major dépeignent les désillusions d’une nation en perdition où les élites dominent sans vergogne, et où la classe populaire est paralysée par l’inaction.

En 2020, quand Benefits a commencé à faire du bruit et à hurler dans un micro, les premières personnes qui ont commenté leur musique ont mis une étiquette punk rock au groupe. Alors sans trop réfléchir, Kingsley Hall (chant) et Robbie Major (machines) se sont transformés en un groupe punk rock. « On pensait que c’était ce que nous devions faire pour faire passer notre message. Alors on l’a fait et c’était super. Mais on s’est transformé en quelque chose que nous ne voulions pas être au départ. » Il faut dire que cette étiquette leur collait bien à la peau. Kingsley joue à la perfection le rôle du mec blanc en colère qui s’époumone en criant que son pays est merdique (Shit Britain), que les élites vous manipulent (Marlboro Hundreds) ou que le peuple est apathique (Meat Teeth). Vous savez, le genre de lascar au crâne rasé qui aurait pu être casté pour jouer dans This is England de Shane Meadows.

Cinq ans plus tard, Benefits n’a plus envie de faire genre : « Quand les gens me voyaient arriver sur scène, avance Kingsley, ils se disaient : ‘‘encore un skinhead du nord qui vient me dire que ma vie est à chier’’. Mais ce n’était pas ce qu’on voulait représenter, ni comment on voulait être perçus ». Robbie : « Si on avait fait le même album que le précédent, avec que des chansons violentes sur lesquelles on crie, on serait resté dans le même univers, et les auditeurs ne seraient pas surpris. Là, on ajoute une nouvelle dimension, ce qui te permet de faire de nouvelles erreurs au lieu de faire toujours les mêmes. Pour nous, c’est un processus excitant, et tant pis si les gens n’adhèrent pas à notre musique. » En d’autres termes : Benefits vous la met à l’envers. Ce ne sont pas des skinheads. Ils ne sont pas punk rock. Et si ça ne vous plaît pas, allez vous faire foutre.

Sur son premier album « Nails » sorti en 2023, le groupe avait regroupé 10 morceaux confectionnés durant le confinement en abordant grosso modo deux sujets principaux : l’Angleterre et l’identité britannique. Une longue diatribe sur une nation à l’abandon sous fond de Brexit, d’inflation ou encore de problèmes sociaux gueulée par deux mecs originaires d’une région ouvrière. Un endroit où les perspectives d’avenir sont depuis bien longtemps noyées dans un quotidien morose rythmé par le pub, les drogues, les aides sociales et la misère. Avec Robbie aux machines — pour l’aspect électronique — et Kingsley au chant, Benefits était comme un monstre à trois têtes qui ressemblait à un mélange chelou entre Sleaford Mods, Gilla Band et Spectres. Il y avait beaucoup de bruits et de distorsion dans un style proche du power electronics, un courant de la noise. Mais il existe des centaines de groupes dans le même genre made in UK. Il fallait donc revoir la copie.

Welcome to the club

Pour ce second album, baptisé « Constant Noise », Benefits n’a pas totalement réinventé la formule. Mais il y a des changements. La formation évolue désormais en duo. La thématique s’est élargie à cinq sujets principaux — au lieu de deux, c’est quand même plus du double. Enfin, la musique s’est adoucie pour laisser de la place à des phases électroniques plus club et rythmées et une orientation vers l’ambient.

Sur ce disque, on les écoute car ils parlent. On écoute surtout car ils ont l’air de savoir de quoi ils parlent. Pour l’écriture, une tâche qui revient la plupart du temps à Kingsley, l’Anglais a une méthode bien à lui. Il ne se pose pas pour écrire une chanson mais plutôt des longs textes qui développent une idée. Il pioche ensuite dedans pour en tirer plusieurs morceaux. Le chanteur a comme des obsessions, et il préfère les scruter que les survoler. C’est pourquoi il y a des thèmes récurrents sur ce disque, comme la domination des élites, la nostalgie, la léthargie du peuple qui préfère fermer les yeux que de se rebeller, les clichés sur les gens du nord ou encore l’identité britannique. On retrouve même des mots qui sont rabâchés. Par exemple le terme « statistique » qu’on entend un peu partout dans leur musique depuis 2020 :

« Ça fait plusieurs années que ce mot m’obsède, notamment à cause de l’influence de la technologie sur notre travail et sur nos interactions sociales, développe Kingsley. Avec le temps, nous sommes déshumanisés et remplacés par des putains de chiffres sur une feuille de calcul. On devient des données que l’on peut facilement manipuler, par exemple pour mieux contrôler le peuple ou gouverner d’une main de fer. Ça me rend fou car on est invisibilisés et les politiques ne nous considèrent plus comme des individualités mais comme une masse de chiffres. »

L’écriture est aussi un exercice de style pour dénoncer. Le ton est souvent rempli d’amertume et de révolte, pointant du doigt une société figée dans ses inégalités. Le groupe critique les classes populaires. Celles qui « puent la bière et le football » (Land of the Tyrants). Celle qui tentent d’oublier sa condition autour d’un vieux barbecue à usage unique avant de finir sa soirée ivre dans un buisson à 400 mètres de chez soi (Victory Lap). Celles qui se laissent berner par le nationaliste et le racisme qui alimentent la méfiance et l’hostilité au sein des communautés (Divide). Celles qui acceptent trop facilement les discours narratifs simplistes au lieu de nourrir une pensée plus critique (Lies and Fear).

Soyez rassurés, Benefits tacle tout le monde : les pauvres comme les riches. Notamment les élites et ceux qui ont le pouvoir. À travers l’album, les deux Anglais n’hésitent pas à évoquer leur mépris, leurs manières de bourges, les discours propagés par les médias qui façonnent une réalité déformée ou encore les mauvaises politiques publiques qui ont plongées la nation dans une misère sociale (« this council estate of the nation » sur Blame).

@Tom White

On pourrait donc croire que Benefits passe son temps à aboyer, comme un chien enragé coincé dans un pays en ruine. Mais cette image serait réductrice. Sur « Constant Noise », le groupe aborde aussi certains détails de la vie ordinaire, souvent cités avec ironie et mélancolie pour souligner la vacuité et l’absurdité de ces moments répétitifs. Il chante la désillusion ou encore la quête d’évasion face à la brutalité du quotidien. Sur ces morceaux, comme The Victory Lap, Everything is Going to be Alright, Missiles, Relentless ou Continual, le tempo se ralentit, et les influences de formations comme Faithless, Underworld ou Leftfield se font entendre subrepticement. En résumé, on est plus proche de l’electronica et de l’ambient que de la noise ou du punk. Benefits ne cogne plus : il danse pour éviter les coups, et encaisse. Et à moitié K.O., il rêve et imagine un autre monde avec un regard nostalgique sur le temps qui passe. Est-ce que le groupe perdra quelques fans de la première heure dans cette transition ? Oui. Mais vous pensez sérieusement qu’ils en ont quelque chose à foutre ?

« Les gens pensent sûrement qu’on devrait faire des collaborations avec Henry Rollins ou des punks en colère au lieu d’en faire avec le mec des Libertines » – Kingsley Hall

Prenons le morceau onirique Relentless, sur lequel ils sont accompagnés par Peter Doherty. C’est l’ancien baby rockeur qui, de passage à Stockton, a demandé à rencontrer le groupe. Il avait entendu à la radio un poème écrit par Benefits et voulait discuter avec eux. Ils se sont donné rendez-vous au pub. Pete était là, avec son énorme chien, Gladys. « Les gens pensent sûrement qu’on devrait faire des collaborations avec Henry Rollins ou des punks en colère au lieu d’en faire avec le mec des Libertines, élabore Kingsley. Mais les paroles de leurs morceaux évoquent avec romantisme ce qu’était l’Angleterre, de ce concept d’Albion. Ils ont aussi des chansons politiques sur les jeunes qui manifestent. Donc il y a des terrains communs. » Kingsley lui propose un texte qui évoque le passé et l’innocence. Pete says yes. Une manière pour le duo de poursuivre et d’assumer sa mutation électronique en s’éloignant toujours un peu plus du punk.

Benefits vient du nord-est de l’Angleterre. Le duo est basé à Stockton, une ville ordinaire près de Middlesbrough située dans une région malmenée par la fermeture des usines et des mines. « La plupart des gens ne savent pas dire sur une carte où se situe ma ville. Dans mon ancien groupe, le promoteur disait qu’on venait de Londres, ce qui me mettait en colère, explique Kingsley. On est la région la plus ignorée et défavorisée du pays. » Mais ce n’est pas pour autant que leur enfance a été dure ou qu’ils ont grandi en subissant les séquelles de cette misère économique.

Ceci étant dit, le groupe a conscience qu’il évoque, dans sa musique, des histoires et des problèmes en lien avec leurs origines. Car leurs chansons sont nourries par leur vie, et leur vie s’est construite dans cette ville au milieu des bâtiments gris à l’abandon. « Sur le premier album, il y a des chansons que même des gens qui sont nés au Royaume-Uni ne pouvaient pas comprendre, notamment s’ils n’étaient pas familiers avec notre environnement. Sur ce deuxième album, on a élargi le spectre pour que ce soit plus digeste. J’ai conscience que nos paroles sont compliquées à décoder pour quelqu’un qui ne parle pas bien l’Anglais. Mais on a parfois eu la sensation de plus connecter avec le public en Europe que dans notre propre pays, parce que les gens comprenaient le sentiment de colère qui se dégageait de notre musique. »

@Tom White

La division entre le nord et le sud du pays a toujours été présente, comme elle a polarisé le débat entre Blur et Oasis. En 2025, certains clichés concernant les nordistes persistent en Angleterre : on les considère comme des gens simples, un peu bêtes mais avec un accent chaleureux. Benefits en parle dans Land of the Tyrants, quand ils entendent à la télévision des accents du nord sur des programmes TV à la con comme Big Brother. « Dans le nord-est du pays, les usines ont été remplacées par des centres d’appel. Pourquoi ? Parce que nos accents étaient considérés comme amicaux, un peu stupides, et donc les gens au téléphone se sentaient supérieurs quand ils nous avaient au téléphone. On est vraiment vus comme les bouffons de la cour », déplore Kingsley.

L’interview avec les deux Anglais, qui dure depuis plus d’une heure, s’apparente plus à une discussion. On a parlé de santé mentale et d’anxiété (un sujet évoqué sur le morceau The Bramles), du décalage entre leur personnalité dans la vraie vie et sur scène, des personnes qui viennent les voir après les concerts pour leur faire part de leurs propres soucis psychiques, des magazines de musique avec Bowie et les Stones en couv’, du grand-père de Kingsley ou encore de la monarchie. Bref, il est temps de conclure.

Benefits sort de l’exercice du deuxième album en se tirant une petite balle dans le pied mais en gardant les fondamentaux, à savoir la colère comme source d’inspiration et l’écriture comme une arme pour éveiller les consciences. Écouter « Constant Noise », c’est comme se retrouver au milieu d’une rave à 3 heures du matin, sous drogue, sans savoir si vous avez envie de danser ou de vous révolter. Alors vous faites les deux. Mais le groupe peut être certain d’une chose : les bouffons de la cour ont désormais leur place sur le trône. Et depuis ce siège, ils peuvent gueuler autant qu’ils le veulent.

Benefits // « Constant Noise » // Sortie le 21 mars sur Invada Records

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