On connaît tous une fille chiante qui ne jure que par la rétrospective de Tarkovski, qui écoute Arvo Pärt en buvant son thé russe le matin, qui donnerait jusqu'à son affiche de « La Belle Personne » pour le cul de Louis Garrel et qui s'entraîne à imiter le regard braise d'Agathe Bonitzer dans l'espoir d'émouvoir un jour la mystique spleenétique de Biolay…

Mais à quelle famille appartiennent ces icônes branchées sur le mystère et mystérieusement branchées ? Quel ingrat esprit du temps rassemble ces individus dont on ne saurait affirmer si leurs secrets viennent d’un trop-plein de vie ou d’un vide trop plein ? Présentation, sous forme de triptyque paradoxal, de la mystérieuse et éclectique famille mystico-minimale.

1. La Présence-absence, ou la fable de l’ineffable.

La famille mystico-minimale est avant tout intrigante parce qu’inatteignable. C’est que, par définition, le mystique est en ex-tase, c’est-à-dire hors de lui et de son petit monde, c’est-à-dire ailleurs. Le MM n’est jamais là où il est (bien qu’il soit toujours là où on l’attend, dans un film de Christophe Honoré ou sur Arte) parce que le mytico-minimal a toujours un ouragan à déclencher à l’autre bout du monde — d’un battement de cils, butterfly effect. Le MM est donc au-delà des apparences — bien qu’il travaille la sienne comme personne — parce que le MM est constamment en présence-absence.
Être en présence-absence consiste à briller par sa disparition. Le voyageur TGV qui, visage contre la vitre, semble déjà danser la samba à Rio quand il va seulement à Plougasnou saluer l’oncle Marcel, celui-là est en présence-absence. Or chacun sait que les absents ont toujours raison. Aussi, l’un des moyens les plus sûrs de se faire remarquer est bien de disparaître. Alors Léa Seydoux a les yeux mi-clos tout au long de La Belle Personne. Alors Carla Bruni s’endort en chuchotant le prénom de Raphaël pendant que l’ange s’envoie en l’air dans sa divine caravane. Alors Benjamin Biolay, planqué derrière son grillage de cheveux bruns, murmure une larme sur les plateaux TV tandis qu’Arvo Pärt, comme s’il était parti pisser, laisse tourner en boucle la mélodie ensorcelante de Spiegle Spiegle. C’est que les mystico-minimalistes ont bien intégré la règle n°1 du succès, qui est de faire comme si vous vous en balanciez. Suce-moi je m’enfuis, fuis-moi je m’en branle.

2. Mystère et boule d’égo, ou « quand le sage montre le vide, le singe se branle avec son doigt ».

Mais attention, si le MM est évanescent, c’est parce que ce qu’il a à dire est trop profond pour que ça remonte à la surface. Secret tragedy : plutôt que légère et inconséquente, sa disparition est grave et profonde. Chez les MM, il faut comprendre que l’on souffre continuellement, mais avec pudeur et dignité. C’est pour cela qu’on est si secret. Aussi Louis Garrel, tel un soutien-gorge de dentelle qui suggère sans dévoiler, joue rarement avec pertes et fracas : un haussement de sourcil ou un œil revolver face caméra suffisent à faire signe vers sa tragédie intérieure. Même procédé de discrétion radicale pour Benjamin Biolay (crédité sur le premier album de Raphaël, en duo avec Vanessa Paradis et ex de Carla Bruni — dont la sœur, Vanessa Bruni-Tedechi, est d’ailleurs la conjointe de Louis Garrel — CQFD) qui semble avoir toutes les souffrances du monde collées sur sa face de dog mais qui ne les aboie jamais pour autant. Plutôt, il gémit son spleen sur sa guitare et se pose lascivement de fondamentales questions pascaliennes (son avant-dernier album s’intitule « Pourquoi tu pleures ? »).

Mais le problème avec ce principe de désespoir ineffable et d’identité mystère — Terrence Malick a, par exemple, opté pour un effacement de soi radical — c’est qu’entre le « presque rien pour montrer le tout » et le « rien du tout », il n’y a pas grand chose. Si bien qu’on se demande quand même si, derrière son « je pourrais tout chanter mais j’ai choisi de susurrer », Carla sait parler. Si bien qu’on ne sait plus si, derrière son kaléidoscope d’images sublimes, Terrence Malick saurait être intelligible. Si bien qu’on ne sait pas si, derrière ses cheveux, Benjamin Biolay possède un visage. En ce sens, John Cage disait d’ailleurs de Philip Glass et de Steve Reich que « leur minimalisme est l’expression d’une fatigue et il provient du souhait de trouver des chemins faciles dans l’art [1] ». La famille MM ne serait-elle finalement qu’une scandaleuse imposture ? Ses membres sont-ils autre chose que des égo-centrés extrêmes qui ont trouvé le moyen de transformer leur vide fondamental en une esthétique minimale ?

 3. Pray the postmodern lord, ou du rififi chez les croyants.

La réponse, c’est Dieu. Comme toujours, même depuis que Nietzsche l’a flingué, même depuis que Zaz existe, même depuis que le petit mec de l’emballage Kinder Délice à changé. La résolution, c’est Dieu. Et les membres mystico-minimaux qui laissent à Dieu ce qui appartient à César plutôt que de laisser planer le mystère sur leur propre égo — qui assument que quelque chose les dépasse, donc — ceux-là gagnent en qualité et en crédibilité. Ainsi, les meilleurs des mystico ont clairement assumé que le gros secret qui nous excite ne concerne pas leur propre désespoir indicible — et si douloureux, vous comprenez — mais plutôt la question de l’Être. La musique d’Arvo Pärt, si branchée qu’elle soit actuellement, l’est avant tout sur le plain chant grégorien et influencée par d’obscurs compositeurs médiévaux comme Josquin Des Prés. Terrence Malick, aux ambitions cosmogoniques, cite pour sa part le Livre de Job en exergue de sa palme d’or et a largement étudié Heidegger avant d’aller rouler des pelles à Brad Pitt et Sean Penn.

D’ailleurs, Philip Glass, Steve Reich, Arvo Pärt ou Gorecki, c’est-à-dire toute la tribu des vrais musicos de la famille MM, sont utilisés au cinéma par des réalisateurs métaphysiquos ou religieux. The Tree of Life de Terrence Malick s’ouvre avec la sublime Symphony of Sorrowfull Song d’Henryk Gorecki ; Philip Glass signe la B.O. de The Hours de Stephen Daldry (ce DVD qui traîne chez vos amies transparentes, qui tiennent cinq blog intimes en cachette et lisent Virginia Woolf depuis leur puberté) ; Gus Van Sant et Leos Carax — réalisateurs MM par excellence — reprennent respectivement Spiegle I’m Spiegle et Cantus in Memoriam B. Britten. C’est que la musique minimalo-mystique est le signe méta par excellence puisqu’elle tend, par son système de répétitions, d’échos, de décalage, de retour, donc d’éternel présent,  à effacer les références historiques et géographiques ainsi que les hiérarchies sociales (Arvo Pärt et Philip Glass, par exemple, ne sont pas des compositeurs savants et sont donc abordables par le hipster moyen, mais ne font pas pour autant de la musique teubé pour hipster moyen).

Dans cette famille mysticolos-minimolos, il y aurait donc — confondables mais pas confondus par ceux qui savent — des égo-trip et des méta-tripés, des imposteurs et des postiers divins, des esthètes bidons et des têtes bétons, des créatures bling-bling et des créateurs du phasing, des traîtres et des fidèles, des cons et des bons, de la mort et de l’amour. Bref, de la merde et du sublime. CQFD.

Illustration Philip Glass : Marjolaine Sirieix


 [1] Cinquante ans de modernité musicale : de Darmstadt à l’IRCAM, Célestin Déliège, p.341

13 commentaires

  1. Bin, il me semble que l’esthétique néo-romantique – très proche, si ce n’est confondue, avec le gothisme si je ne m’abuse – n’a rien à voir avec la pose « mystico-minimaliste ». Et puis socialement, on ne parle pas du tout du même milieu, ni chez les spectateurs ni chez les performeurs/artistes. Le mystique minimaliste est moins grossier dans son symbolisme que le néo-romantique, aussi. Il est discret, pas vraiment baroque. C’est même sa discrétion, son minimalisme donc, qui le caractérise, dont il joue (pas question de fleurs séchés, ni de grung-love-rock ni de bougies chez Benji Biolay par exemple, les codes ne sont pas dans les objets mais dans les mouvements, la voix, le regard).

  2. Ok le style les distingue mais sur le fonds, ils sont brûlés par la même flemme n’est-ce pas? Le message qu’ils expriment volontairement ou à leur insu est de même nature, me semble-t-il.

  3. Endive> On voit pas toujours l’air de famille entre la grosse tante et la petite dernière – mais ils expriment tout de même tous deux un mystère insondable, non ? Et ont, comme public moyen (j’ai dit moyen), les mêmes grands bruns profondément ténébreux. Bof, j’arrive mal à restituer les rouages de mon raccourci clavier. Pardon pour tous mes péchés.

    Sigismund> Rien à voir, Jim est hypramégamâle pour toujours

  4. Merde, j’adore Arvo Part , je déteste Ph Glass et Benjamin Biolay me laisse tout à fait indifférent. Quelqu’un pour me dire où me ranger? Je suis brun ténébreux seulement quand il pleut si ça peut aider.

  5. TL> Bin tu es simplement un brun qui adore Arvo Part et qui ne participe pas de la posture mystico-minimale. Nous sommes légion dans ce cas. Salut !

  6. Personnellement, j’ai une grosse bite et j’écoute souvent les disques d’Eliane Radigue.
    Y aurait pas une catégorie mystico-virilo-minimale ou un truc approchant avec un soupçon de vulgarité?

    Hein?

    Que Jah vous protège.

    Guitou

  7. Illisible donc j’ai rien lu à part le chapeau. Jamais rencontré de fille qui écoute Arvo Pärt. Brrrrrr, fille ou garçon, ça me fait froid dans le dos.

  8. Est-ce que cet article ne mélange pas un peu tout (quand même) ? On parle de Tarkovski dans le chapeau mais nulle part dans le texte (où, là, il est question des Christophe Honoré), je comprends pas…

    Quid de l’art minimal (Serra, Lewitt, Flavin, Carl André & consorts) – puisque c’est de lui que vient justement le terme de « minimalisme » ?

    Et puis aussi, par pitié, attention quand même à l’orthographe des oeuvres ou des gens que vous citez – ne faites pas comme tous ces journalistes qui se croient spirituels tout en osant écrire que Philip Roth a écrit « La Tâche » (sic, dans ‘Libé’) ou parler DES quatuors de Debussy (qui n’en a écrit qu’un) : « Spiegel im Spiegel » d’Arvo Pärt, la « Symphony of Sorrowful Songs » (« des chants plaintifs ») de Górecki, Valeria (et non Vanessa) Bruni-Tedeschi… Ça fait pas très sérieux…. Enfin, je ne comprends pas pourquoi Philip Glass et Arvo Pärt ne seraient pas des compositeurs « savants » : qu’entendez-vous par là ? La musique de Pärt est d’une complexité structurelle qui n’a rien à envier à celle de Boulez – même si le résultat sonore est aux antipodes…

    Bref, je chipote. Mais être désinvolte n’empêche pas d’être exigeant 😉

  9. Oui, j’ai manqué le développement de quelques présupposés (par rapport à Tarkovski, que je cite parce que j’ai en tête le stéréotype de la « minimalo-mystique » qui aime Tarkovski en même temps que Christophe Honoré parce que l’esthétique du mystère sous toutes ses formes et pour tous, du ciné-cinéphiles au ciné-mondain)

    L’art minimal, pourquoi pas, mais je ne crois pas que ça ajoute au sens que je voulais donner à ce papier (qui n’est, évidemment, pas un papier de spécialiste mais qui cherche plutôt à donner à réfléchir sur les poses culturelles qu’on prend)

    Pour les erreurs, je prends correction avec plaisir, mes sources étaient mauvaises, internet, ce disco pour les nuls.

    Quant à Arvo Part et Philip Glass, je voulais dire que ce ne sont pas des compositeurs hermétiques, que ce n’est pas (et ce n’est pas di fréquente) du minimal à accessibilité réduite.

    Et non, être désinvolte n’empêche absolument pas d’être exigeant. Merci pour ce riche commentaire !

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