Il est le DJ le plus respecté. C’est le constat que l’on se fait dans l’ascenseur qui nous mène à sa chambre d’hôtel chic parisien, à minuit passé. À 53 ans, Andrew Weatherall ne s’arrête jamais : producteur, remixeur, animateur radio, chanteur passionné, patron de maison de disque. Il chapeaute même un festival à son nom : le Andrew Weatherall Festival à Carcassonne. Pendant la révolution acid house, il a produit la bande-son fédératrice de la jeunesse sous ecstasy en travaillant avec Primal Scream ou les Happy Mondays. Dans les 90’s il a repris le Gun Club avec son combo Two Lone Swordsmen. Plus que jamais dans le coup – une exception à son âge – il continue aujourd’hui d’arpenter les nuits internationales et de sortir des disques excitants et ambitieux. Entre deux remix pour Noël Gallagher ou New Order, Sir Andrew sort coup sur coup un nouvel album sous son nom – le très baléaric « Convenanza » – et un projet sous le nom de « The Woodleigh Research Facility ».
Le soir de notre rencontre, Weatherall doit jouer à 5h30 du mat. Que fait un DJ pour tuer le temps ? Il reçoit des journalistes. Troisième étage : la chambre 311 s’ouvre sur un Andrew Weatherall en chaussettes, un livre de Stefan Zweig à la main…
Hey Andrew, merci de nous accueillir dans l’intimité de ta chambre…
On s’en branle de cette chambre, les mecs. Et on peut fumer, hein, hé hé !
Alors, le titre de ton nouvel album, « Convenanza », ça veut dire quoi ?
Eh bien figurez-vous que c’est une référence très française, en fait, aux Cathares de Carcassonne. Tu connais l’histoire ? Il existe différents statuts avec d’un côté les croyants, ceux qui sont au début de leur initiation et de l’autre, les parfaits. À l’époque, une cérémonie particulière permettait aux croyants en guerre d’accéder au titre de parfait avant leur mort, même s’ils avaient perdu la parole et ne pouvaient suivre le rite. C’était un accord, convenanza en occitan. Quand on m’a raconté l’histoire de la ville et des Cathares, j’ai trouvé cela passionnant et j’ai creusé le sujet de mon côté. J’ai donc essayé de retranscrire l’idée et le concept des cérémonies cathares pour cet album : l’idée d’une cérémonie avec différentes étapes pour passer d’un palier à un autre. Que les croyants [traduire par listeners en anglais] passent au niveau des parfaits [believers], c’est une sorte de métaphore, pas juste au niveau musical mais aussi au niveau artistique au sens large.
Justement, dans ton festival, on a pu écouter des groupes parisiens comme Vox Low.
Pour le festival, on m’a demandé quels groupes j’aimerais faire jouer et j’ai répondu Vox Low. Entre autres car c’est actuellement un de mes groupes électroniques favoris. Enfin, pas tant électronique que ça. Le soir où ils jouaient, ils ont vraiment mis le feu aux remparts de Carcassonne. C’est super pour eux car ils se sont fait un paquet de nouveaux fans après cette soirée mémorable. Ils sont vraiment bons.
« Convenanza » est un album plus instrumental. Ton dernier projet sous le nom de The Asphodells, lui, était orienté plus électronique. C’était voulu cette direction ?
Oui. Sur le projet Asphodells, il y avait des instruments mais c’était plutôt une configuration synthés et computer. Sur « Convenanza », on a écrit les ébauches avec l’ordinateur puis on a rajouté des instruments. Mais tu sais, en général, quand tu rajoutes des « vrais instruments » sur de l’électronique, tu obtiens quelque chose de plus organique. C’est mathématique. Ce n’était pas préparé, c’est juste notre façon de travailler à Londres. J’ai plein d’amis musiciens qui passent au studio ou que j’appelle : « Hey, j’ai besoin d’une ligne de basse. » D’ailleurs, c’est marrant, le bassiste est français et vient de Marseille : il s’appelle Franck Alba.
Ah, c’est marrant, je viens de Marseille en fait (oui, je sais, tout le monde s’en fout, NdA)…
Vraiment ? J’adore Marseille, mec. C’est une super ville. C’est Paris en plus petit, ça me rappelle un peu Naples. Mais c’est différent maintenant : il y a un moment où c’était encore bon marché de vivre là-bas mais d’après ce que j’ai vu ça a changé et c’est devenu très cher. Mais j’adore Marseille. Il y avait les résistants français pendant la guerre dans le sud de la France. Comment ils s’appelaient déjà ? Heu (il cherche le nom). Ils ont un nom spécial…
Heu. Le maquis, les maquisards ?
…Oui, c’est ça, le maquis ! J’ai une photo d’eux à la maison, je les adore !
Ok. Et sur l’album tu joues des instruments ?
Je joue des claviers et d’autres choses. J’écris beaucoup à partir des claviers mais tout ce que je fais commence par une ligne de basse et une drum track. Ce n’est pas si éloigné du rock’n’roll. En électronique, c’est comme cela que ça marche aussi. La rythmique est le plus important pour commencer. Comme dans toutes les musiques : si tu as la basse et la rythmique, le reste viendra facilement. Je joue un peu de basse, un peu de clavier, je programme des chords. Le tout vient assez accidentellement. Je ne me lève pas le lundi matin en me disant : « Ok, je vais faire un album. » Ce n’est jamais planifié, genre : « Tiens, je vais faire un morceau post punk avec des live guitare et de la trompette dessus. » À un moment, on arrive à quinze ou vingt morceaux qui peuvent convenir au projet d’album que tu as entendu. En même temps, je me retrouve avec vingt autres morceaux qui peuvent convenir à un autre projet que je sors au même moment et qui se nomme « The Woodleigh Research Facility ». Je me retrouve donc à trier ces sessions, à couper et assembler les morceaux ou bien des idées que je fusionne ensemble. Tout ce processus se passe à la fin. Donc, en gros, je décide de faire un disque six mois après l’avoir commencé sans m’en rendre vraiment compte, ah ah !
En termes de production, tu es plutôt dans le geek producing, à fond dans les vieux synthés ?
Oh, en fait pas tellement, non. Même si je préférais les vieux équipements, je ne suis pas autiste à ce sujet. J’aime beaucoup les chambres d’échos, les boites de delay, les choses comme ça. Mais, par exemple, je ne fournis pas une liste d’équipements à posséder quand je rentre en studio pour produire un artiste. Je me fous de ce que je peux y trouver, je fais avec ce qu’il y a. Je n’ai pas de préférence pour tel ou tel software. Je m’en fous, cela ne va pas m’empêcher de faire de la musique. Mon projet « The Woodleigh Research Facility » a été conçu principalement avec un programme qui s’appelle Acid qui est vraiment une vieille merde très basique, ah ah ! Certaines pistes ont été faites dans la chambre d’un ami. Pareil pour « Convenanza », c’est très DIY dans l’esprit. Je ne suis pas de règles. Je n’ai absolument rien contre la technologie, mais je ne fais pas une fixation dessus. Je veux dire, c’est super, mais je ne ressens pas le besoin d’essayer tout le temps la dernière nouveauté. Aujourd’hui, il y a beaucoup de logiciels conçus pour te suggérer que tu rates quelque chose si tu ne fais pas la dernière mise à jour. Ou bien encore, si tu ne détiens pas la dernière édition, on te fait croire que ce que tu possèdes est déjà périmé ou ne vaut plus rien. Je n’ai jamais versé dans ce genre de trucs.
« Convenanza » sonne très actuel et en même temps il sonne à 100% comme du Weatherall.
Merci, oui. Tu sais, la musique que j’ai pu faire et vendre a toujours eu ma touche personnelle, ma signature. Dans ma déjà longue carrière j’ai essayé plusieurs styles mais on arrive toujours à reconnaître ma touche. Que cela soit ces progressions d’accords ou cette ambiance générale. Les personnes qui me suivent depuis vingt ans le savent.
On se faisait la réflexion que tu étais un des rares artistes à être toujours excitant. Beaucoup de ta génération parlent toujours du passé et n’apportent rien de neuf.
Je ne suis pas bloqué dans le passé. Même si ma carrière des quinze ou vingt dernières années est intéressante avec le recul, je ne pense pas tout le temps au passé comme à une époque dorée. J’aime le passé mais je préfère le futur. J’aime les deux en fait, c’est intéressant. Je ne veux pas vivre comme il y a vingt ans. Ne vous faites pas de mauvaises idées : croyez-moi, j’ai passé des moments vraiment fantastiques mais avec le recul je pense que j’étais un mauvais musicien, un mauvais DJ et même une mauvaise personne. Donc je suis content de vivre le moment présent pour m’intéresser à tout ce qui se passe et qu’on continue de me payer pour jouer des disques. Ça, c’est vraiment super. Je pense que beaucoup d’artistes d’une autre génération ont peur des artistes plus jeunes. Ils commencent à s’enfermer dans leur tour d’ivoire, à cracher sur les nouvelles générations. Comme s’ils se sentaient en insécurité. Je n’ai jamais été comme ça. J’ai toujours été à l’affût des nouveaux artistes, j’adore ça.
« J’ai beaucoup de respect pour Mark Knopfler. »
Être à l’affût des nouveaux artistes, c’est un peu ton arme secrète ?
On ne peut pas dire que cela soit mon arme secrète. C’est juste comme cela que les choses se passent. Quand j’étais gamin, à dix ou onze ans, mes premières connexions avec la musique me donnaient une sensation étrange. Je n’arrive toujours pas à l’expliquer. C’est un peu comme avec les personnes religieuses qui tentent de t’expliquer qu’avec la foi elles ont la capacité de sortir de leur propre corps. Maintenant que j’arrive à un âge où j’ai atteint une certaine forme de spiritualité, je repense à l’enfant que j’étais quand la musique me donnait ces sentiments étranges. Je me questionne constamment sur la manière de retrouver ce sentiment que la musique m’a donné la première fois. C’était une échappatoire pour moi, tu sais. Et tu te construis autant d’échappatoires que tu peux. C’est pour cela qu’il faut élargir sa palette, enrichir son esprit et être ouvert. Même quand j’étais un jeune punk, j’aimais en même temps le disco ou la soul. Plus tard, quand le mouvement punk a grandi, ils se sont tous mis à cracher en clamant : « Disco sucks ! » Les gens brûlaient des disques de disco en Amérique. Mais pourquoi se limiter, se mettre des barrières ? Personnellement et après tant d’années, je n’écoute plus trop de rap. Pareil pour le heavy metal. Et je n’aime pas le « rock ». Comprenez-moi bien : moi, j’aime le « rock and roll », comme disait Keith Richards. Mais je n’aime pas ce cliché, cette idée boursouflée de la « rock music » comme Metallica, par exemple. Même si je peux comprendre l’attrait que cela peut avoir.
Tu parles de Dire Straits, là ?
Ah ah ! En fait j’ai beaucoup de respect pour Mark Knopfler. C’est un putain de guitariste et il vient du rockabilly, tu sais. Je pense qu’il adore vraiment l’histoire du rock’n’roll. Alors oui, on peut penser qu’il ne fera plus jamais de rockabilly avec Dire Straits. Pendant ses shows, il reprend des vieux standards et il revient à ses racines. C’est comme Robert Plant, il adore le rock’n’roll et le blues. On le sent même encore maintenant. Je n’aime pas tant que cela Dire Straits mais j’aime le cheminement de Mark Knopfler en tant qu’artiste. Ok, il s’est fait des millions, mais il aurait pu s’en faire plus s’il avait continué. On doit lui proposer des sommes astronomiques pour refaire Dire Straits mais le mec s’en fout et fait ses disques de country. J’aime les mecs qui ont décidé de tourner le dos à la facilité et au show-business.
Tu es aussi pas mal dans la musique enfumée, style krautrock, nan ?
Alors ça c’est encore un mouvement que j’ai découvert quand j’étais punk. J’avais treize ans en 1976. Je me souviens avoir vu une photo de Can à l’époque mais sans connaître leur musique. En voyant leur look hippies-cheveux longs et sandalettes, je m’étais dit que ces mecs étaient des ennemis, ah ah ! Je n’avais jamais écouté leur musique. Puis dans une interview j’avais vu que John Lydon citait Faust, Can et Neu ! Alors j’ai jeté une oreille. Et oui, putain, ces mecs étaient des hippies mais leur musique était incroyable ! On aurait dit que ça venait d’une autre planète. Avec le recul, mes influences principales sont le krautrock, le glam rock et le rockabilly. Mais, tu sais, toutes les musiques sont connectées entre elles dans la pop culture. Par exemple, la scène krautrock avait l’air très prétentieuse et très intellectuelle, vue de l’extérieur. Mais si tu regardes, merde, tu te rends compte que le groupe favori des Kraftwerk, c’était les Beach Boys ! Ils étaient réellement obsédés par leurs harmonies. Donc oui, c’est grâce à John Lydon que j’ai découvert ça. J’avais treize ans à l’époque et il avait été invité à passer des disques dans une émission de Capital Radio. Je pense que c’était en 1977 et, crois-moi, on était tous derrière notre poste. J’imaginais la tête de Malcom McLaren à côté de lui, quand il a commencé à jouer tous ces morceaux interdits dans la culture punk ! Il devait crier : « Non, putain, ne joue pas ces putains de Hawkwind, mec ! » Ah ah ! Ce soir-là, il avait passé des disques cosmiques complètement barrés. Cela m’a ouvert l’esprit et je m’en souviens encore. C’était des trucs comme Third Ear Band, Captain Beefheart, Ken Booth, John Cale ou Nico. C’était étrange à l’époque mais avec le recul pas tant que ça. Si tu te souviens des photos de Lydon avant les Sex Pistols : il avait des cheveux longs, tu sais. Mais pour Can je pense que je les avais vus avant à Top Of The Pops avec leur chanson I want More. C’était très étrange pour moi. Et j’aimais ça. À l’époque, beaucoup de punks avaient l’esprit étroit et refusaient cette musique. Mais moi, cette émission de radio m’a définitivement ouvert l’esprit, notamment au reggae et au krautrock. Je suis très reconnaissant à John Lydon d’avoir ouvert des portes ce soir-là.
Primal Scream était un groupe de rock pourtant, quand tu les produis, ça donne quelque chose d’autre.
Oui, mais tu sais, ces mecs adoraient le krautrock, Can, etc. On était dans le même truc. Je veux dire, Bobby Gillespie et moi : on est les mêmes. Il a probablement écouté cette fameuse émission de John Lydon lui aussi ! Le genre à être relax sur du reggae ou du krautrock fumeux, comme moi. C’est la voie qu’a prise Primal Scream. C’était marqué. Je veux dire : ils n’étaient pas faits pour devenir des sous Rolling Stones. Ils voulaient aussi être Can et Neu ! En même temps, c’est ce que j’aime chez eux. Ils se prenaient aussi un peu pour les Byrds mais ils croyaient vraiment à ce qu’il faisaient. Leur nouvel album est superbe d’ailleurs. J’ai fait un remix pour leur prochain single.
« Tous les grands changements en musique viennent d’un accident. »
« Screamadelica », c’était ton premier succès ?
J’avais fait le remix d’Hallelujah pour les Happy Mondays avant. Un remix qui a eu un énorme succès et qui s’est retrouvé dans le Top Ten en Angleterre. J’ai été très chanceux. Sur les trois premières fois où j’entre en studio : deux fois je me retrouve dans les charts. Je n’arrive toujours pas à croire que cette époque ait existé.
Comment tu es arrivé à faire un son comme « Screamadelica » à l’époque ?
Putain j’en ai aucune idée, mon pote, c’était il y a vingt ans ! Je pense que tous les grands changements en musique viennent d’un accident. L’existence elle-même vient du hasard : les molécules qui explosent les unes avec les autres, le big bang. Je pense qu’en un fragment de secondes, tous les éléments se mettent ensemble pour exploser. Tu ne peux pas recréer cet accident. C’est comme un scientifique fou qui expérimente dans son laboratoire et qui mélange les éléments au hasard : trois grammes de ceci, un peu de cela. Et Bam ! « Fuck, comment j’ai fait ça ? » Il ne peut pas le refaire. « Screamadelica », c’était juste de magnifiques éléments imbriqués entre eux, au bon moment, au bon endroit. C’était la folie du mouvement acid house, le groupe découvrait cela. Je faisais découvrir de la musique à Bobby et lui m’en faisait découvrir en retour. On sortait ensemble la nuit, les mecs étaient comme des fous sur certains sons entendus dans les clubs. Je leur disais : « Si ça te plait, alors tu devrais écouter ça. » C’était un échange permanent, quelque chose de très excitant. Alors, quand j’ai entendu la démo de leur chanson I’m Losing More Than I’ll Ever Have, j’avais à l’esprit ce qu’on écoutait à cette époque. La démo était très acoustique, très rock. Mais au fond de moi, je savais qu’on pouvait en faire un truc différent. On avait l’habitude d’amener des tas de disques au studio. Tout ce qu’on écoutait sur le moment : Pharoah Sanders, Harmonia, des trucs comme ça. Pas pour les copier, je n’étais pas assez bon pour ça. Et je leur ai dit : « C’est le genre de disques qu’on écoute, alors essayons de faire un son dans cet esprit. » C’est pour cela que tu ne trouves pas très souvent des disques du calibre de « Screamadelica » dans l’histoire. Personne n’a fait ce type de son avant. Ce n’était pas dans l’air du temps, c’était nouveau. Il n’y avait pas de formule chimique. C’était comme une explosion. C’est juste arrivé comme ça. Comme une photographie qui capture l’époque. Ce disque sonne toujours novateur, il a encore une résonance. C’est la marque des grands disques, je pense. Tous les grands disques de rock parlaient d’une période clé, comme un commentaire sur l’époque : les Rolling Stones, les Beatles, Bob Dylan. Je n’ai pas envie de dire que l’on était chanceux car derrière il y avait beaucoup de travail. On était passionnés.
« Si tu connais les Fat White Family, dis-leur que je suis ok pour bosser avec eux ! »
La rencontre avec Primal Scream, c’était dans ce fameux Shoom Club ?
Oui, mais je les avais déjà rencontrés avant. La première fois c’était avant l’acid house, avant le Shoom Club, à une époque où l’acid house ne s’appelait pas encore acid house. Il devait y avoir tout juste deux cents personnes à Londres qui étaient impliquées dans cette scène. J’avais un ami qui travaillait au NME et qui m’avait demandé si je voulais interviewer Primal Scream. Ils avaient sorti leur tout premier disque sur lequel figurait I’m Losing More Than I’ll Ever Have. Le manager d’Heavenly Records m’a filé la copie du disque. Je devais être la seule personne qui aimait ce disque. Tout le monde le détestait. Il m’a dit : « Tu ne veux pas aller les voir jouer dans le sud de l’Angleterre ? » Alors j’ai écrit ce très mauvais papier et c’est comme ça que je les ai rencontrés. Je me souviens, j’avais les cheveux très longs et les premiers mots de Bobby dans les loges furent : « Super les cheveux, on dirait Marc Bolan, mec. » Deux mois plus tard j’étais au Spectrum Club à Londres, qui était le club où il y avait les premières grosses soirées acid house. Je faisais le DJ et Andrew Iness, le guitariste, est passé. Il m’a dit: « J’adore ce que tu passe, tu veux pas faire un truc pour nous ? » J’avais fait un seul remix pour le groupe West India Company, O Je Suis Seul. Blanc Monge pour la petite histoire, c’était un peu les Pet Shop Boys avant les Pet Shop Boys. Et donc Loaded était le deuxième remix que j’ai fait. Puis les Happy Mondays, Hallelujah, le troisième avec Paul Oakenfold. Pour Loaded, j’étais assez terrorisé, je me demandais ce qu’ils allaient en penser. Quand ils sont venus au studio pour l’écouter, ils étaient plutôt déçus. Et Andrew m’a dit : « Lâche-toi, défonce le morceau, mec. » Je l’ai écouté et je l’ai putain de défoncé, ah ah ! Depuis, à chaque fois que je fais un remix, j’ai toujours cette petite voix qui revient : « Oh man, just fucking destroy it ! »
Cela ne te manque pas de produire un groupe de rock ? Je te vois bien travailler avec les Fat White Family…
J’aimerais beaucoup ! Leur disque est vraiment bon en plus. Écoute, si tu les connais, dis-leur que je suis ok, ah ah ! Comme avec Primal Scream, ce que je préfère dans un groupe de rock’n’roll, c’est quand il ressemble à un gang. Pas juste le look, mais la mentalité. Un gang auquel tu adorerais appartenir. Regarde les Stones, les Clash, Slade, Mott The Hoople ou T-Rex : mec, je veux trainer et partir en virée avec eux.
Comment tu es arrivé dans la musique ?
La musique a toujours été une planète mystérieuse que j’aurais aimé visiter. J’ai grandi dans une banlieue, à Windsor, à environ 15 miles de Londres. Il y avait cette grande et longue route entre ma banlieue et la Capitale. C’était comme la route du magicien d’Oz. Je n’ai jamais pensé faire partie d’une scène, cela me semblait inatteignable. J’ai dû me trouver un boulot assez vite pendant quelques mois pour me faire assez d’argent pour m’acheter des fringues, des disques et des livres. Puis, je me suis trouvé un autre boulot. Avant d’être DJ, j’ai fait ça pendant 18 mois, puis j’ai fait autre chose. J’ai fait des interviews pour la presse aussi. Pendant que je faisais un peu le DJ, que je produisais des conneries avec mes amis de Primal Scream, je bossais dans le business de la musique. C’est marrant, je suis allé bosser dans la presse musicale avec un test pressing de Loaded sous le bras. Je bossais pour London Records à l’époque. Un ami label manager m’a dit par la suite : « Mais qu’est ce que tu fous ici, mec, t’es stupide ? Ce disque que t’as fait, il est incroyable ! » Seuls quelques mecs un peu hip à Londres avaient écouté Loaded et personne n’était intéressé. Au final, quelques semaines plus tard, on se retrouvait dans les charts… Le succès est venu si brutalement. Même si j’ai fait des boulots merdiques, j’ai toujours travaillé car mon père était issu de la classe ouvrière. Quand le succès est arrivé, je me suis dit que j’allais m’éclater et prendre du plaisir pendant un certain temps. Je ne vais jamais lécher le cul de quelqu’un ou quoi que ce soit. Je ne veux pas devenir une énorme star ou construire une carrière de dingue…
Tu aurais pu être une grosse star sur-platinée pourtant ?
Putain ouais, j’ai refusé plein de trucs ! Mais l’idée de départ pour moi c’était juste de prendre du plaisir. À un moment, quand c’est monté à un niveau supérieur, que cela a commencé à devenir plus sérieux dans le business, je me suis dit : « Ok, est-ce que c’est vraiment drôle ? Et est-ce que c’est ça que je veux vraiment ? » Quand tu arrives à un certain niveau, ça devient du travail de bureau, comme une routine. Certains groupes le font. Ils abattent des morceaux à la chaine, de la commande : next ! Moi, je veux juste m’amuser, sans trop de contraintes. J’ai juste trouvé le boulot que j’adore. Certains vont dire : « Ouais, Andrew Weatherall, il est intègre, lui. Il n’a pas vendu son cul, il est dans l’underground. » Mais c’est juste que je suis un peu fainéant. En fait, peut-être que je suis quelqu’un qui n’est pas trop ambitieux.
Vraiment ?
Oui, mon ambition est juste me lever le matin et d’aller faire de la musique dans mon studio. J’ai toujours cette mentalité du début, que tout pourrait disparaître et s’arrêter. Alors je jouis du moment présent, du fait de pouvoir faire ce que je veux.
Peut-être que tu préfères l’ignorer mais c’est un fait : tu es comme un genre de parrain pour la scène électronique, un modèle à suivre. Tu as une véritable influence.
C’est très gentil, mais c’est pas mon truc. Si des personnes veulent être des popstars, c’est très bien mais ce n’est pas mon truc. C’est peut-être facile pour moi d’être considéré comme un genre de parrain, parce que je n’ai pas de grandes responsabilités dans la vie ! Les gens veulent des personnes qui ont une histoire. Et si, comme moi, tu es dans le business depuis vingt-cinq ou trente ans : tu as une histoire. Si tu as été à la mode à un moment : tu as une histoire. L’humanité a besoin de destins pour faire sens. Si tu es juste là depuis cinq ans, là tu as un problème et tu n’es pas attirant. Je pense que pour certaines personnes je représente une certaine forme de racine d’un mouvement, avec une attitude. Certains sont dans un trip de pop culture qui sent la naphtaline, toujours axés sur le passé. Ça m’est égal, j’aime bien la pop culture, mais ce n’est pas mon truc. Je veux dire, je ne crache pas sur un million de pounds, mais je lécherai jamais le cul de personne pour ça. Le public des concerts que je donne est un bon exemple. J’ai joué à Milan la semaine dernière : la majorité des personnes devant avaient dix-huit ou vingt ans. Je ne suis pas un jeune DJ à la mode. Ils viennent me voir peut-être parce que je représente une certaine caution. Je ne suis pas un prêtre hein, rien à voir avec ce genre de conneries. Et pour tout te dire, je ne réalise pas encore quand on me dit que j’ai pu avoir une influence sur les gens. Quand on me met dans le même panier que Martin Hannet ou Adrian Sherwood, que j’ai toujours admirés, je suis flatté.
Pour ton travail de remixeur, tu es toujours fidèle à des groupes comme Primal Scream ou New Order.
Oui mais des fois je fais des écarts. Comme avec mon remix pour Noël Gallagher. Les fans d’Oasis ont dit : « C’est quoi cette merde techno ?! » Et de l’autre côté, les mecs dans la techno se sont dit : «What the fuck, c’est quoi ce remix de Gallagher par Weatherall ? » Parfois j’aime bien énerver les gens et être là où on ne m’attend pas forcément.
Pour rester dans la posture du parrain : as-tu un conseil pour les jeunes producteurs ?
Être patient, prendre son temps. Aujourd’hui, tu peux faire de la musique et la partager sur Soundcloud ou Mixcloud tellement vite. C’est une chose excitante quand on y pense, mais pourquoi se dépêcher ? Tu seras meilleur si tu patientes. Des jeunes me donnent des démos et neuf fois sur dix je leur dis : « Je vais être honnête avec toi, c’est pas mauvais, mais reviens dans six mois. » Des fois, ils partent en colère, mais je n’en ai rien à foutre. Souvent, ils reviennent six mois après et la démo est meilleure. On met la pression aujourd’hui aux jeunes producteurs pour avoir les équipements derniers cris, pour produire le plus vite et balancer les morceaux très rapidement sur internet. Donne-toi le temps de prendre du recul et peut être que tu te diras que t’aurais pas dû foutre cette merde sur Soundcloud. Évidemment, c’est facile pour moi de dire ça, je suis plus vieux. Celui qui m’a fait voir les choses autrement et qui m’a amené à penser cela, c’est un écrivain qui s’appelle Victor Bockris. Il a écrit des biographies incroyables sur le Velvet Undergound, William Burroughs ou la scène artistique de New York. J’avais lu une interview de lui où il disait à propos de l’écriture de la biographie de William Burroughs, qu’une nuit, vers quatre ou cinq heures du matin, il s’était dit, super enthousiaste, que c’était la meilleure chose qu’il ait jamais écrite de sa vie. Il était tellement content qu’il a appelé William Burroughs à cinq heures du mat’ : « William, je dois venir te voir maintenant, c’est la meilleure chose que j’ai écrite ! » Et Burroughs lui répond : «Nan… écoute : si tu es tellement pressé de montrer aux gens qui tu es, tu peux tout jeter et recommencer, car ça doit être de la merde… »
Andrew Weatherall // Convenanza // Rotters Golf Club (où est aussi sorti son projet The Woodleigh Research Facility). En concert au Badaboum le 20 mai.
Propos recueillis par Love Gerard et Romain Flon
Photos Astrid Karoual
6 commentaires
Chouette interview / grand bonhomme.
ARE U LOADED ??????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????
d’ou viens ce culte pour Andy Weatherall ? car moi dans mon souvenir a l’époque et notamment dans la chronique de Screamadelica par gilles renault dans les inrocks (page 134 dans le numero 31 ( bi mensuel de septembre/octobre 1991) il y n’est jamais mentionné ,il y a pas un seul mots sur lui. D’Andrew Weatherall j’aime certain album de The Sabres Of Paradise et de Two Lone Swordsmen mais je ne vous aucun culte sur sa personne et je crois même que sa réputation est un peu surfaite .toute ses production depuis 10 ans et notamment l’album A Pox On The Pioneers me laisse de marbre .
vu en 1er pary des beastie boys, je me suis rué acheter ses productions, le jour suivant…
entendu au Pulp, ou il joait avec smaggele? il passait du buzzcocks!