Que retenir du rock déviant des années 2000 ? A cette grande question, certains ont oublié de répondre et ont préféré acheter des piscines, comme leurs disques, gonflables. Bobby Hecksher et les Warlocks, tout au long de cette même décennie, nous ont envoyé des albums timbrés, des disques malades, des bulletins de santé qui ont sans doute même inquiété son compagnon de déroute, Anton Newcombe. La dernière déflagration en date, « Skull Worship » indique une légère amélioration pour le patient Hecksher. D’ailleurs quand on lui demande où sont enfermés les vrais fous, son disque parle pour lui : « à l’extérieur ! ».

the-warlocks-skull-worshipLa première chanson de « Skull Worship », paru en novembre dernier dans une relative indifférence, aurait pu être la pièce qui manquait au grand puzzle. Son titre, Dead Generation, collait bien à l’idée qu’on se faisait des souffrances de Bobby. Les années 2000, il les a pour ainsi dire passé derrière une vitre, dans un flou gaussien. L’adolescence du leader des Warlocks – en partant du principe qu’il y a d’autres membres dans ce vortex diabolique – n’a pas aidé, il l’a traversé en passant la majorité de son temps perdu dans la radio de grand-papa, où bosse également maman comme secrétaire. Puis il a déménagé dans la cité des Anges, où il a joué de la basse avec Beck et rencontré celui qui deviendra plus tard son alter ego, Anton, du Brian Jonestown Massacre. Ah, et on oubliait : à même pas 20 balais, Bobby a fait la connaissance de Timothy Leary dans des soirées qu’on n’imagine pas sponsorisées par les thés Earl Gray. Bref, tout cela vous forge un homme cabossé.
Le pire dans l’histoire de Bobby, c’est cette impression que le destin a retenu l’élastique jusqu’au milieu des années 2000, puis l’a sèchement claqué dans la gueule d’un type qui voulait juste faire du bruit. « Surgery », publié en 2005 chez Mute, aurait pu être le grand tournant, la grande concession aux rêves de gosse ; ce moment où un groupe passionné par le White Light White Heat décide de mettre la sourdine sur ses pédales pour conquérir le cœur et l’hymen – les deux sont toujours liés – des Américaines. Sauf qu’il n’en sera rien. Echec commercial. Repasse un coup de serpillère sur tes illusions, Bobby, et met la toi sous le bras pour faire pouet pouet. « Surgery » à peine sorti – au fait ça veut dire « chirurgie » en Français, le groupe ne cache plus sa déception vis à vis d’un disque qu’il estime fini à la pisse, trop propre et gentillet par rapport aux démos enregistrées. Déjà péniblement arrivés à la moitié des années 2000, les Warlocks apprennent que Mute les remercie pour leur travail, mais qu’il faudra désormais aller chialer plus loin, et si possible pas trop fort pour pas déranger les voisins. Le talent de Bobby s’étant toujours situé à flanc de falaise, cette courte déconvenue va être l’occasion de l’un des disques les plus sombres de cette décennie hédoniste où le rock, s’il est revenu, doit avant tout être l’occasion de divertir les foules avec des refrains pondus par des Bisounours sans états d’âme. L’heure n’est plus à la lamentation, le monde en a déjà assez soupé des pleurnicheries de Thom Yorke, merci bien, les clowns tristes se doivent d’être remisés au placard et les dépressifs du calibre d’Anton Newcombe internés dans de pénibles documentaires comme Dig !, qui fera bien rigoler les rockeurs amateurs qui voudraient bien briller en société sans avoir à cramer leurs neurones. Le grand disque des Warlocks donc, c’est « Heavy Deavy Skull Lover », un sommet de descente en enfer où Bobby use ses musiciens jusqu’à la corde pendant la courte semaine qu’aurait duré l’enregistrement ; un à un les voilà qui quitte le vaisseau fantôme au bord duquel on croit apercevoir Charles Manson dépeçant l’équipage avec Phil Spector dans le rôle du chef d’orchestre. Titanique sonique, bateau qui coule de profundis, « Heavy Deavy Skull Lover » est l’un de ces albums qu’on pourra regarder droit dans les yeux quand les machines auront irrémédiablement pris le pouvoir et que l’émotion sera devenu un truc ringard qu’on se repasse sous le manteau en pouffant. Evidemment, comparé au succès grandissant de mecs tristes qui hurlent qu’ils ne vont pas bien comme Interpol, le disque baudelairien des Warlocks est un nouvel échec. Un truc de paumés qui ont passé trop de temps près des enceintes à écouter My Bloody Valentine.

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On en revient à cette chanson, l’une des meilleures du nouveau disque, Dead Generation. Après cinq ans de silence depuis le dernier appel à l’aide (« Mirror Explodes, 2009), il serait tentant de croire que Bobby souhaite aujourd’hui régler ses comptes avec une partie du Big Business, et tous ces types qui lui ont injustement volé la vedette en enfonçant, tube de vaseline à la main, du bon sentiment dans la tête de l’auditeur.
Ce serait légitime, mérité, mais un peu con. Car le mythe souvent, ne fait pas l’homme. Sous ses airs de dépressif chronique sorti d’un remake de Buffy contre les vampires, Bobby voit plus loin, et de son propre aveu, le titre en question ne ressasse pas le passé, mais parle du monde présent. Et qui justement se fait attendre.

Le jour de l’interview planifiée par le label à 10H00 du matin, heure locale, Bobby ne répond pas. Quelle surprise. Croire qu’un type ayant gobé la moitié des drogues en vente sur le marché puisse mettre un réveil aux aurores pour répondre aux interrogations d’un type qui prend la flotte sur un trottoir à l’autre bout du monde en attendant que l’autre décroche, c’est un peu naïf. 24H plus tard, et parce qu’un peu échaudé par l’échec de la veille, j’ai transmis mes questions par écrit, Bobby finit par donner des signes de vie par clavier interposé. Et c’est ainsi que débute une correspondance inattendue, où l’on apprend entre autres choses que Dead Generation n’est pas un règlement de comptes à OK Corral. C’est bon les mecs, que vous vous appeliez BRMC, Raveonettes ou A place to Bury Strangers, vous pouvez dormir tranquille :

« Dead Generation parle du sentiment d’aliénation. J’ai remarqué un véritable changement sur la manière qu’on a de parler avec les gens – ou plutôt de ne PAS parler. Le ton de nos conversation a changé, nos comportements aussi. Comme le fait que tous vos amis ont maintenant les yeux rivés sur leurs écrans quand ils vous parlent. Je ne déteste pas le monde moderne, j’essaye juste de décrire ce que je vois au quotidien : nous sommes submergés d’informations (ce qui est un bonne chose par rapport à il y a 20 ou 50 ans !) mais je pense que tout cela vous change, fatalement. Que ce nouveau monde change les gens autour de vous. Et vous transforme en zombie, ou quelque chose comme ça : terriblement froid et déconnecté des réalités. »

Allez, je vous ressers une ptite coupe de Champagne ? Autant vous prévenir, toutes les réponses à mes questions sont du même acabit. Eh oui jeunes gens, vous n’êtes pas en train de lire une interview de Woodkid sur Konbini, réveillez-vous.

Bien que parfois bancal et en dessous du climax 0° Celsius infligé par « Heavy Deavy Skull Lovers », « Skull Worship » réserve tout de même son lot de secousses à l’intérieur du tunnel de la mort. Pas vraiment un disque cathartique si vous voulez mon avis, encore moins une connerie de rédemption à l’américaine dont Bobby sortirait grand vainqueur. Non. Plutôt une explosion de bombe anatomique d’où le corps de l’auditeur sortirait décharné, à peine indemne, sonné comme au septième round d’un combat entre Droppy et Syd Barrett. Annoncé comme la fin d’une trilogie débutée six ans plus tôt avec « Heavy Deavy », ce nouveau disque est-il la fin d’une période sombre, la fin d’un voyage chaotique au bout de la nuit ?

« C’est vrai, je considère « Skull Worship » comme la pièce finale, parce que « Heavy Deavy », « The Mirror explodes » et celui là sont intrinsèquement connectés, joués avec des changements d’accords similaires et une certaine fragilité… mais finalement, peut-être que j’aurais du compiler ces trois disques sur un seul, ah ah ! Sur la suite, j’ai encore un peu de mal à m’avancer mais ce qui est certain, c’est que je suis prêt pour quelque chose de nouveau parce que j’ai fait le ménage dans mon esprit ; ce sera probablement quelque chose de plus léger, avec des structures plus accessibles ».

Pas besoin d’être un turfiste pour se douter que les Warlocks, jamais ne se transformeront en musique à pom-pom girls. Parce que l’essai raté de « Surgery » les a sans doute vacciné à jamais, parce que Bobby n’incarne pas vraiment le gendre idéal qu’une belle-mère rêverait d’avoir affalé sur sa table le dimanche midi, parce que les Warlocks appartiennent à ce petit club privé de groupes qu’on a laissé pour mort voilà longtemps, et dont le corps continue néanmoins de tressauter par intermittences.
En parcourant les chroniques qui tapissent l’histoire du groupe californien, pas une seule qui ne parle du manque de bol, de cette mouise dans laquelle Bobby s’est empêtré tout au long des années 2000, au point de devenir le Poulidor de sa génération, à une époque où le rock de Los Angeles avait pourtant bonne presse – les Eagles of Death Metal sonnent comme le parfait remède à la dépression des Warlocks. A les lire, toutes ces chroniques, on a l’impression que jamais le groupe de Bobby n’aurait du atteindre l’an 2013, condamné qu’il était à exploser en plein vol, à ne pas survivre à la débâcle napoléonienne que fut l’enregistrement de « Heavy Deavy Skull Lover ». Comment en est-on arrivé là, Bobby ? Comment as-tu finir par prendre ton mur du son en pleine gueule ?

« Eh bien… A plusieurs reprises je suis devenu vraiment malade, et j’ai dû partir à l’hôpital pour des traitements sous antibiotiques. C’est le genre de situation plutôt compliquée quand tu es tout le temps sur la route, dans d’autres pays que le tien. Et puis le problème avec cette industrie, c’est qu’elle ne tolère que deux positions : ON ou OFF. C’est impossible pour un groupe d’exister en tenant compte des variables personnelles, des vies privées. J’en conclue donc qu’en tant que groupe, on aurait peut-être du moins tourner et nous reposer un peu plus sur la période 2003-2008. Regarde notre agenda sur l’année 2003, tu vas comprendre… (….) A l’époque de l’enregistrement de « Heavy Deavy Skull Lover », le groupe qui m’accompagnait à l’époque refusait de jouer la musique que j’avais en tête. Donc tout le monde m’a quitté, les deux batteurs et le bassiste. Moi j’ai joué toutes les guitares du disque, j’ai reconstruit le mur brique par brique en alignant des amplis à lampes les uns à côté des autres. Je ne me considère pas spécialement doué pour la guitare, mais comme j’étais dos  au mur, j’ai été forcé de progresser en traînant les pieds en avant. »

Les pieds droits devant, comme un macchabé, Bobby a donc fini par se relever. Ô, pas bien haut, mais suffisamment pour écraser une partie de la concurrence engluée dans la mélasse des chansons sirupeuses, des titres joyeux sans lendemain. En prêtant l’oreille à He looks good in space, autre titre formidable de noirceur de « Skull Worship », on peut entendre un clin d’œil – inconscient ? – à l’ouverture du « More » de Pink Floyd, ce drôle de morceau ecclésiastique nommé Cirrus Minor où chants d’oiseaux et chant du cygne se mélangent pour donner des gazouillis de fin du monde.
Ca, les comptables de Pitchfork ne l’ont surement pas entendu. D’ailleurs ils n’ont pas chroniqué le dernier disque en date. Par contre ils ont démoli les précédents : « Surgery » ? 1,7 / 10. « Heavy Deavy » ? 5 / 10. « The Mirror Explodes » ? 3,4 / 10. On n’est certes jamais prophète en son pays, mais entre le célèbre site pour mous du genou et les Warlocks ça vire carrément à la chasse aux sorcières. D’où vient cette haine du groupe ? Là, la réponse de Bobby fait carrément entrer la correspondance dans une autre dimension :

« Je ne sais pas vraiment pourquoi ils nous haïssent à ce point. D’ailleurs, à force de les voir descendre des groupes, certains désormais les appellent « Bitchfork »… C’est vraiment triste. Je veux dire, j’ai l’impression de détester tout ce qu’ils encensent et vice versa ! Prenons deux minutes pour aller jeter un coup d’œil aux récents disques qu’ils ont aimé :

http://pitchfork.com/reviews/best/albums/1/

Beyonce (?) Death Grip (trop bruyant !) Darkside (terrible) Blood Orange (j’essaie tous les jours d’oublier ce genre de musique, CA PUE SA MÈRE), Haim (nan vraiment, sérieux les gars, Haim ?). La seule chose écoutable, c’est Tim Heckler, et encore, j’ai écouté qu’un morceau. Et dans les 10 pages qui suivent, pratiquement rien. Ah si, My Bloody Valentine, ouf, nous voilà au moins d’accord sur quelque chose !

Nan mais c’est quoi cette merde de Pitchfork ? Je veux dire : je pige pas grand chose à cette musique. On pourrait pas avoir des groupes de rock, s’il vous plait ? Est-on obligé de se taper de la LAPTOP MUSIC ? Bon, je crois que notre différent vient de là, finalement c’est peut-être logique qu’on se déteste autant. Warlocks est la parfaite antithèse de tous ces « best albums ». Et ils détestent tous les groupes que j’adore : Dead Meadow, Black Angels, Brian Jonestown Massacre, et un nombre incalculable d’autres groupes sont considérés comme « médiocres » alors qu’ils alignent des standards. Pitchfork, quel gros tas de merde ! »

Evidemment, on préfèrerait que Pitchfork porte les disques des Warlocks aux nues ; ça nous donnerait moins de moutons barbus fringués chez Kooples aux premiers rangs de concerts où il ne se passe absolument plus rien. Une bonne nouvelle quand même ; il existe encore une poignée de groupes clivants qui séparent le monde en deux catégories, d’un côté ceux qui pointent le pistolet contre l’auditeur, et de l’autre ceux qui le retournent contre eux mêmes. PAN ! Evidemment, encore, vous avez le droit de ne pas souscrire aux 13.791 signes écrits jusque là. C’est votre droit, de même que personne ne viendra vous couper la main pour avoir aimé le dernier album de Phoenix. La seule chose à retenir, c’est que pendant ce temps, perdus très loin dans un univers parallèle, les Warlocks continuent d’enregistrer des putains de disque. Amis mélomanes, à vous de choisir dans quel monde vous voulez vivre.

Warlocks // Skull Worship // Zap Banana (Differ-Ant)
http://www.thewarlocks.com

MD-warlocks-parisAPLATI

3 commentaires

  1. Sauf erreur de ma part, j’ai compté 13793 signes. Hors apostrophes.

    Complétement d’accord sur la valeur de Heavy Deavy Skull Lover : ce disque est fondamentalement abominable. Dans son sens le plus intrinsèque quoi. Un énorme mollard de bile gluante et contagieuse. Une horreur absolument géniale.

    Sinon, juste pour dire, après avoir vu un de leur concert de leur précédente tournée, que Bob a quand même l’air d’être une sacrée chieuse quand il veut : et je veux pas de lumières orientées par ici, et je veux pas jouer plus d’une demi heure parce que j’ai pas fait caca au Formule Un, et je joue en pilote automatique les morceaux du début (pas grave d’ailleurs, c’est loin d’être les meilleurs) . Alors ouais, le concert était en province, certes, qui plus est au sud, donc face à des ploucs imbibés de ricard, mais bon mec, prend tes cachets quoi, les gens ne sont pas forcément responsable de ta bipolarité maniérée, merde.

    Joli article et belle synthèse subjective de la marque Pitchfork.

    Bisous.

    Guitou.

  2. J’avoue ne pas bien comprendre pourquoi vous préféreriez qu’il y ait « moins de moutons barbus fringués chez Kooples aux premiers rangs de concerts où il ne se passe absolument plus rien ».
    Mais au contraire, qu’ils y restent ! Et que Pitchfork ne change rien !
    Sinon, merci, j’avais raté cette sortie.
    (Et puis le lien youtube est mort)

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