Dans un monde idéal, l’humanité se contenterait du strict nécessaire. Les rockeurs se passeraient de donner des interviews fadasses et la critique musicale se résumerait à une note suivie de trois adjectifs, un peu comme les modes d’emploi pour les cafetières, le tout affiché sur de grands panneaux en libre consultation, un peu comme les résultats du Bac, avec un redoublement prescrit pour toutes les nouvelles stars n’ayant pas obtenu la moyenne. Dans ce monde là, John Dwyer et ses Thee Oh Sees règneraient sans partage et personne n’y retrouverait rien à redire, pour la simple et bonne raison qu’on aurait claqué le beignet de l’amicale des commentateurs anonymes depuis fort longtemps. Entre le nazisme et le groupe de San Francisco, deux conceptions différentes de la dictature séparées par soixante ans de grand vide démocratique.

Le nouvel album de Thee Oh Sees, « Floating Coffin », pousse cette tentation du parti unique à son extrême. Pas que cet énième disque – on a arrêté de compter depuis longtemps tant la discographie est chargée – soit un bouleversement profond du rock’n’roll, ni que le groupe s’embarque ici dans un chambardement profond de ses habitudes. Le disque, puisqu’il faut bien en parler, est d’une simplicité désarmante ; on a pour ainsi dire envie d’écrire que comme à chaque fois depuis plus d’une décennie, Thee Oh Sees laisse l’ensemble de la concurrence sur place avec une recette pourtant connue depuis des lustres. Leur force, la folie, parvient tout de même à faire des miracles de 4 minutes avec l’attirail en vigueur depuis l’apparition des Sonics, une batterie, des guitares, un chanteur, quoi d’autre ? Le talent, peut-être. Allez dire ça aux autres…

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« Floating Coffin », titre dont on comprendra peut-être le sens profond dans trois décennies, ne déroge pas aux règles fixées par le groupe ; un savoir-faire de production, un chanteur habité jappant comme un clébard à la pleine lune, du groove californien tel que les Red Hot Chili Peppers n’en font plus depuis que leurs articulations craquent plus que leurs groupies, bref de l’éructation sonique qui s’infiltrent par tous les pores avec des chansons démoniaques qui parfois regardent vers le très bas (Night Crawler, idéal pour un enterrement à Las Vegas) et à d’autres vers les sommets (la chanson d’ouverture I come from the mountain, plus messianique tu meurs). Inutile, pourtant, de connaître par cœur la discographie de chaque groupe présent sur la compile Nuggets de Lenny Kaye et bref, d’être un nazi du Garage rock, pour apprécier « Floating Coffin » à sa juste mesure. Plus pop que ne pourrait le laisser penser leurs dégaines de garçons mal dégrossis, plus malins que les clichés puristes, plus modernes que nombre de leurs fans aussi, les Thee Oh Sees puisent aujourd’hui dans un bocal bien plus grand que le seul Garage bruitiste construit à coups de pédales et de méthode fuzz pour les nuls. Ce qui était déjà apparent sur « Putrifiers II » l’est ici encore davantage ; le groupe donne l’impression d’avoir croisé les harmonies vocales des Beach Boys avec le code barre encore collé dessus. Déconcertant jusqu’à l’extrême, comme ce long riff monosyllabique à la Lou Reed sur Toe Cutter/Thumb Buster, ou encore cette envolée de fin de parcours avec Minotaur, morceau épique qui invoque l’esprit de Thurston Moore plaqué sur des violons chantant l’hallali. S’agit-il encore de rock ? Avons-nous rêvé ? Et si finalement la vie n’était qu’une pénible épreuve qu’on supporterait tant bien que mal avec des disques de cet acabit ? En conclusion de « Floating Coffin », et alors que le groupe vient à peine de reposer ses instruments en sueur, on entendra encore pendant près de 30 secondes le bruit de l’électricité résonner sur ce disque cinglant. Thee Oh Sees, ou le génie deux doigts dans la prise. Le courant passe, les chiens aboient.

Thee Oh Sees // Floating Coffin // Castle Face
http://www.theeohsees.com/

En concert le 26 mai à Villette Sonique, le 20 juillet au 104

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