Un enfant qui ne fêtera probablement pas ses dix ans, des millions de témoins (qui ont tout vu mais rien entendu) et un mystérieux meurtrier ; l’histoire de Soundcloud ressemblerait presque à l’affaire du petit Gregory. Pile dix ans après sa création, et alors que la fin semble proche, tentons de comprendre comment un eldorado musical indépendant s’est métamorphosé en enfer de la cupidité.

Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. On pourrait écrire la même chose de celui qui ne veut rien entendre. A relire les interviews de Alex Ljung et Eric Wahlforss, fondateurs de Soundcloud, c’est flagrant : ils n’ont rien vu venir. Ni le succès qui leur a souri pendant cette courte période (2011-2015) où musiciens sans le sou et actionnaires leur mangeaient dans la main, ni après, quand tout commença à s’effondrer. Mais avant d’arriver à la scène du meurtre, un bref récapitulatif des faits.

Chapitre 1 : la fonte des glaces

Les nouvelles technologies connaissent l’histoire par cœur : l’enfer est pavé de bonnes inventions. Celle de Ljung et Wahlforss est toute bête ; elle est née sur les cendres du mort-né Myspace : proposer aux musiciens non signés de faire écouter gratuitement leurs musiques à des internautes qui n’ont jamais été aussi nombreux. Après des débuts DIY, les deux associés émigrent rapidement dans le temple du cool, à Berlin, et gagnent tous les mois des parts de marché, pardon, des auditeurs. En 2010, la plateforme fête son million d’utilisateurs ; deux ans plus tard, ils sont dix fois plus. Ljung et Wahlforss, eux, codent frénétiquement; un peu comme si Steve Jobs et Skrillex avaient baisé toute la nuit pour créer un mutant.

Pair programming!

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Pourtant au départ, Soundcloud, c’est une putain de bonne idée. En s’affichant comme un beau chevalier blanc défenseur du modèle « freemium », le site et appli propose à tous les sans-dents, pardon, les musiciens indépendants, de se faire écouter sur une plateforme aux couleurs chaleureuses qui promet de bronzer pour pas cher, puisque tout est gratuit. Ou presque. Eh oui, c’est ça le freemium : après avoir goûté, il faut payer, notamment pour avoir accès à plus d’espace de stockage, plus d’options, plus de statistiques, plus de plus, pour résumer. Nonobstant ce premier paradoxe – nous y reviendrons – Soundcloud parvient à s’imposer face à Facebook et Twitter comme réseau social de musiciens qui, pour certains, sauront tirer profit de la gratuité d’écoute (sic) pour faire fortune (re-sic). Ils ne sont, cela dit, pas nombreux. Personne n’a jamais sorti un album sur Soundcloud Records.

« Nous nous sommes dit qu’il manquait vraiment quelque chose sur internet pour que les compositeurs puissent partager leurs créateurs » (Eric Wahlforss au Nouvel Obs, en 2012)

Le premier coup de semonce, il arrive finalement en début d’année 2017. Le médecin du petit Soundcloud sort de la salle d’opération et l’affirme : les résultats ne sont pas bons. 51,2 millions d’euros de pertes nettes sur 2015, soit presque deux fois plus qu’en 2014. Quelques mois plus tôt, les deux fondateurs ont eu une idée de génie : un siècle après Spotify et Deezer, lancer une offre de streaming payante baptisée Soundcloud GO, à 9,99 € / mois, venant ainsi compléter des offres plus « classiques » telles que la version pro (6€ / mois) et pro illimitée (9€ / mois), permettant toutes à Soundcloud de devenir une espèce de super paradigme inversé : devenir le premier site à faire payer le musicien pour diffuser sa musique gratuitement (ou quasi). Les Historiens se pencheront sans doute un jour sur ce cas d’école. Et ils rigoleront bien.

En attendant, nous sommes en juillet 2017 et Soundcloud, après s’être pris une grosse veste comme toutes les PME indie rêvant de devenir le nouveau Google, annonce avoir licencié 40 % de ses effectifs. Soit 173 salariés qui pourront toujours se consoler en écoutant une preview du dernier titre de David Guetta(pens) sur ce Soundcloud qui ne danse plus beaucoup.

Chapitre 2 : Il faut sauver le soldat Sound Claude

On appellera la guerre des 50 jours. Après avoir viré sans sourciller presque la moitié de ses effectifs, les deux fondateurs auraient annoncé en privé, selon le site Techcrunch, que la plateforme n’avait plus que 50 jours de liquidités devant elle. Dès lors, c’est l’hécatombe : Rinse annonce avoir perdu l’intégralité des podcasts chargés sur la plateforme jaune et orange, un collectif de programmeurs se forme pour sauvegarder l’intégralité de la database du site (soit 135 millions de morceaux) sur le site tiers archive.org et Chance the Rapper, tel un messie digital, annonce soudain « s’occuper personnellement du cas Soundcloud » pour éviter son débranchement. Quand on y pense, c’est presque biblique. Manquerait plus que la montée des eaux et une arche de Noé où l’on aurait foutu un couple de chaque famille musicale (sauf les flûtistes bien entendu) et ce serait limite le Nouveau Testament. Sauf que dans le cas qui nous occupe, tout le monde a menti.

Chapitre 3 : « Beaucoup de bruit pour rien »

C’est tout de même terrible de citer Shakespeare pour contre-attaquer quand on est co-fondateur d’une plateforme quasi illégale. Remarquez, Alex Ljung peut y aller franco ; on ne met que rarement en doute la parole d’un mourant. Le 17 juillet, après dix jours d’attaques dirigées contre sa société en faillite, il déclare : « actuellement y’a pas mal de bruits qui circulent sur Soundcloud, mais je peux vous garantir que ce ne sont que des bruits ». Autrement dit, des fake news. Après tout, pourquoi pas. Ca n’enlève rien au fait que sur les 175 millions d’utilisateurs mensuels annoncés par la plateforme, seuls 70 millions seraient selon l’enquête de Techcrunch actifs (le reste représentant des comptes dormants). Et ça ne minimise pas non plus la moitié des effectifs licenciés, ni le vol sans honte des musiciens qui, depuis près de 6 ans, nourrissent la bête sans en obtenir aucun bénéfice autre qu’un compteur d’écoutes. Dans le même temps, Soundcloud générait en 2016 plus de 57 millions de dollars de recettes, pas assez pour être rentable, mais suffisamment, sur le papier, pour rémunérer tous les artistes indie à casquettes retournées qui depuis le départ font exister le vortex en y uploadant gratos leurs morceaux.

Comble du comble, et comme Napster et tant d’autres avant eux, Soundcloud a fini par se mettre au propre juridiquement parlant avec certaines majors, comme Sony en 2016, qui aurait accepté de fournir son catalogue en échange de… quoi ? De l’argent ? Non, tellement vingtième siècle. En échange d’une part dans… la société. Autrement dit : un troc entre morceaux dispos en streaming et actions dans une boite fantôme où, déjà, les places se libèrent. Bienvenue dans la nouvelle nouvelle économie ; ce monde où les gentils peuvent devenir de gros affreux en moins de dix ans. Et comme le rappelle Techcrunch, « Soundcloud doit payer un énorme pourcentage de ses revenus aux Majors, à cause du format GO+ qui permet d’écouter des titres officiels sur la plateforme […] mais à l’inverse, seule une part minime des musiciens indépendants est éligible à la monétisation de sa musique (souscription et pub) ». Moralité : pour défendre ses propres intérêts, Soundcloud recentrerait actuellement sa politique sur les contenus gratuits, non pas par respect pour ceux qui l’ont vu naitre, mais pour ne surtout pas avoir à rémunérer. Je rentrerais chez vous pour baiser votre femme avant de partir avec toute la discothèque que ça ne pourrait pas être moins pire.

« Avec un million de nouveaux inscrits chaque mois, nous ne sommes plus un site underground. » (Eric Wahlforss)

L’arnaque du siècle

Soundcloud a-t-il appauvri les musiciens du 21ième siècle, déjà pauvres par définition ? Bien sûr que non. A-t-il enrichi tous ceux qui ne savent même pas lire une partition ? On peut le penser. D’ailleurs, c’est bien le problème majeur, finalement, celui qui au delà de l’échec industriel inévitable – aucune société de la nouvelle économie ne parvient à trouver un modèle stable – pose un cas de conscience quasi moral. Et comme souvent, le mal se trouve à la racine.

« Nous étions tous les deux dans le monde de la musique. Alexander travaillait dans la création de sons pour le cinéma, et moi j’étais producteur et passionné de musique électronique depuis l’adolescence ». Ca, c’est Eric Wahlforss, cofondateur et directeur technique de SoundCloud, en 2012, s’adressant à un journaliste du Nouvel Obs. En creusant sans forcer (2 clics), on apprend que ce même Eric a surtout fait ses débuts en tant que chef de projet dans le secteur des technologies, qu’il bosse dans le web depuis 1995 et qu’il a été « interaction designer » pour Gate5 (racheté par Nokia en 2007, année de la création de Soundcloud). Du côté de son compère Alexander Ljung, ce n’est guère plus musical : s’il a été sound designer et producteur de musique de films (mais lesquels ?), il dispose également de diplômes en technologie, marketing et économie. Evidemment, tout comme on ne reprochera pas aux boulangers de vendre du pain, il sera difficile de reprocher à des businessmen de faire du business, certes. Nettement plus intriguant, cet appât pour le gain quand pourtant toute l’histoire de la pop-music tend à prouver qu’une réussite indie devient très rarement un succès mainstream. Systématiquement, c’est la perte des plumes (les sacrifices) ou le goudron (la honte) qui attend celui qui veut transformer le van miteux des débuts en tourbus à la U2.

Alex Ljung Eric Wahlforss

L’arnaque, celle qui vient titiller la morale, commence ici : avoir tenté d’escroquer des musiciens sans argent pour tenter de rendre viable un modèle qui, foncièrement, ne saurait l’être. La fin justifiant les moyens, l’éthique change alors de couleur par un beau dégradé, invisible à l’œil nu. Sauver les meubles, sauver les salariés, grossir pour éviter de mourir (puisque dans la nouvelle économie la croissance nulle n’existe pas) et tant pis si, pour cela, il faut larguer du lest ; à commencer par la musique elle-même.

Comme avec un bon disque qu’on repasserait, revenons encore en arrière. En 2012, la plateforme perd alors 20 millions de dollars par an, contre 12 millions de recettes, soit un manque à gagner de 8 millions rien que pour être à l’équilibre. Ca n’empêche pas Souncloud, deux ans plus tard, d’être valorisé près de 700 millions de dollars (soit le prix de cinq îles privées quand même). C’est précisément là que tout dérape : voilà que Twitter se porte acquéreur de la plateforme, qui refuse l’offre [1]. Pas assez cher mon fils : Soundcloud exige 1 milliard de dollars (soit l’équivalent de 325 Lamborghini, 8 Airbus A380 ou encore 37 348 lingots d’or). Tout cela pour même pas 173 salariés qui pilotent une musique pas vraiment commercialisée, pas vraiment légale, qui, tous les jours, enfreint les règles les plus élémentaires du droit d’auteur. Estimer son prix à 1 milliard, c’est la fable de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf ; c’est aussi l’oubli des fondamentaux, et c’est enfin la preuve que pseudo gratuité et musique ne font, in fine, pas meilleure ménage que Katy Perry et cordes vocales. Quand les devices dévissent…

Qui a tué le petit Soundcloud ?

Tout le monde, en fait, se fout un peu de la réponse. Pour la simple et bonne raison que la musique étant par définition invisible, elle saura toujours se faufiler à travers les plus grandes obscurités. Elle a commencé d’ailleurs, et des services comme Mixcloud, dédié aux mixtapes de DJ notamment, sont déjà des solutions viables pour qui voudrait uploader sans limite ses créations, et sans avoir à payer pour cela.

Mais pour clôturer le dossier, et que l’usine à gaz ferme ou pas cette année, l’énigme était pourtant aussi simple qu’une partie de Cluedo. Soundcloud a été tué non par un mais par deux meurtriers. C’était dans le salon, avec un casque, et les coupables n’étaient autre que ses fondateurs et le grand public. Les premiers pour avoir tenté de transformer un rêve utopique en cauchemar arithmétique, les seconds pour avoir refusé de payer ce bien culturel qu’ils considèrent plus que jamais gratuit, car acheter, en 2017 et encore plus à l’avenir, c’est vulgaire. On le sait, la démarchandisation de la musique est une impasse, et Soundcloud un exemple de plus rêvé par des mongoloïdes à lunettes carrées qui pensaient jouer du cheval de Troie comme on aurait joué du banjo. Demain, Alex Ljung et Eric Wahlforss se seront certainement reconvertis dans une énième startup pro-finance, et vous, moi, nous continuerons de consommer la musique sans même plus penser au code-barres qu’on ne voit plus depuis que tout est intangible. Bienvenue dans ce nouveau jeu en zones grises, où tout le monde est victime et bourreau selon qu’il cherche à vendre ou consommer. Jadis, il paraît que c’était à cela qu’on reconnaissait les dealers.

[1] Lui-même au bord de la faillite, Twitter investira quand même 70 millions de dollars dans la plateforme en 2016.

14 commentaires

  1. la cuve a morves est pleine, je peux t’en apporter et te la coller sous les aisselles, ça prendra pas longtemps, juste apres ta geolocalisation, (un bon bidet, ne saurait te faire plaisir?)

  2. attention vacanciers en empruntant le train ter: 866041 bordo_____pays basque frontera, les contrôleurs vous bousculent, vous crachent dessus, vous menottent, vous tripotent, vous giflent, & vous trainent derriere le wagon comme la guitare de Christian Marclay, alors attention!

  3. Le début de votre article est choquant. Votre parabole est plus que vaseuse, il y a des choses qu’on ne peut pas comparer. Mettez-vous à la place de la famille Villemin. Changez rapidement ce chapeau, vous vous grandirez.

  4. Soundcloud ça aurait perduré si yavait pas Bandcamp. Plus sobre,les albums y sont en entier,ils mettent des majuscules dans les noms des titres,et on a pas tous ces commentaires « so insane this track »,etc Trop foulli le Soundcloud. Trop dessinné à l’arrache
    Faites des bibliothèques remplies de K7,ça reste Et de la musique matérielle ET pas cher,et ça aguiche les passantes. Ya des platines k7 tout à fait aussi mignonnes que la K7 en elle même.
    Yamaha kx e100 par exemple.

      1. Avec un lecteur K7 mieux qu’avec l’ordi branché sur soundcloud, je confirme. La Yamaha on dirait une platine CD Cyrus. non?
        lol
        ça les fait sourire le côté rétro,et c’est plus sexy à ouvrir qu’un vinyle crade de poussière.
        Et pas de fin pasque t’as l’autoreturn.
        plus l’avance rapide.
        le noir leur rappelle le chocolat,c’est tout ce que ça leur fait.
        Et si alors t’as pas une tablette en stock, elle ressentent la frustration.
        Puis avec la K7,elles ont 16 ans à nouveau.
        t’es ouf ya pas photo.
        des vinyles, sans déconner.

  5. Salut et merci pour cet article fouillé et consistant qui m’a montré Soundcloud sous des abords que je ne soupçonnais même ps en tant qu’utilisateur vraiment très régulier. Au-delà de la semi-arnaque du prix (9€ par mois pour un abonnement qui permet d’avoir accès aux statistiques de fréquentation par exemple), j’y ai trouvé beaucoup d’avantages pour développer l’écoute et la visibilité de nos morceaux. On est un groupe indépendant, on ne vit pas de la musique mais Soundcloud en lien avec Facebook nous a assuré un vrai tremplin gratuit pour faire découvrir facilement nos productions, avoir des retours, se retrouver diffuser sur des radios en Grèce, en Belgique, en Amérique du Sud, développer un réseau qui nous a permis d’écouler pas mal via … Bandcamp, comme quoi tout est question d’utilisation. 21 700 écoutes en 3ans, qui dit mieux via un autre support et sans faire autre chose que de la connection avec d’autres groupes ou ceux qui aiment découvrir ? Parce que c’est aussi ça Soundcloud, un moyen incroyable de découverte de groupes dont on entendra jamais parler ailleurs et de la qualité il y en a dans les coins.
    Idem quand on démarche, les liens d’écoute c’est Soundcloud qu’on envoie. Bref je pourrais en citer encore des avantages, j’espère que le site tiendra face à l’argent … sinon ben il n’y a que la musique qui restera.

  6. Ouais bon après on dira ce qu’on veut mais soundcloud quand on souhaite proposer, en toute humulité, ses créations beh ça reste super. Toujours ce pognon qui ruine tout, fais chier …

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