Comme l'assène avec bonhommie Booba dans son titre RAS, « Dans ce milieu tu n'es qu'une figurine, tu me serres la main tu crois déjà au featuring ». Reconnaissons au bonhomme l'art de la synthèse. En une punchline, il ouvre un débat : le feat, nouvel eldorado ou poudre aux yeux ?

Le featuring (ou feat pour les initiés) désigne généralement la participation d’un artiste sur un titre d’un autre artiste. Peu importe la manière dont cette participation se traduit (couplet, refrain), l’idée c’est d’être deux. Minimum. Parce que c’est bien connu, plus on est de fous, plus on vend. Et moins on est efficace, pourrait-on peut-être se demander ? Pour des palettes de featuring sortis chaque année, combien de réellement efficaces et pertinents ? Comme d’hab’, on pourra toujours crier à l’enculage de mouches et souligner le fait que pertinence et objectivité ne riment pas. Mais quand même, après avoir subi de plein fouet le dernier Booba & Christine and the queens, difficile de ne pas se retrouver interner en HP à force de hurler « plus jamais ça » en se tapant la tête contre les murs de son studio une pièce.

Le featuring ne date pas d’hier. Sauf qu’avant on appelait ça un duo ou un morceau avec une guest star, pas vrai ? On aurait envie de vous dire oui, mais là aussi, ce serait sûrement trop simple. Bien sûr que son apparition n’est pas récente. La première fois, c’était même en juillet 54. Quelques mois avant que l’abbé pierre ne se pèle les glaouis pour aider les pauvres, The Four Aces sortait Three coins in the fountain featuring Al Alberts. Quelques années plus tard, les collaborations se font encore et toujours à la cool et tout le monde se fout de la fameuse « reconnaissance » qui gangrène désormais une partie du monde moderne. Normal, aucun média n’existe plus que pour véhiculer ces feat. de manière massive. Aussi quand Bertrand Burgalat joue avec Laibach sans être crédité ou qu’Eric « God » Clapton subit le même sort bien qu’ayant contribué avec son instrument de torture au rayonnement international du While my Guitar gently weeps des Beatles, aucun des intéressés ne s’en offusque vraiment. Peut-être parce que les ventes de disque sont encore conséquentes (ok, chez Laibach, ça se discute, chez les Beatles un peu moins) et que l’amitié, c’est sacré ? Mouais…

Dans les années 90, le feat est surtout utilisé chez les DJ’s. A ce moment là : featuring = remix. Ere de la french touch oblige, le remix est devenu un passage obligé et le Graal potentiel en cas de carton mondial. Sur un EP, il n’est pas rare de décliner un même morceau dans 4 ou 5 versions remixées. A y repenser, une seule question se pose : comment a-t-on pu acheter ces bouses garanties merdiques à 60 % et hétérogènes à 100 % ? L’idée était simple, mélanger d’un côté des remixeurs célèbres ou sur le point de le devenir (Moby, Daft Punk, Air) histoire de favoriser l’accompagnement médiatique de tout le toutim et de booster les chiffres de vente, et de l’autre côté des remixeurs encore obscurs voire totalement inconnus du grand public (Ritchie Hatwin, Aphex Twin, Mouse on Mars, Flying saucer attack, etc…) pour gagner en crédibilité auprès des connaisseurs et des spécialistes. En espérant ensuite que ce double effet Kiss Cool permette bien sûr au final de vendre des EP par palette de 500. Bref, un modèle qui fonctionnait plutôt bien à l’ère pré-internet et qui a pris un peu de plomb dans l’aile depuis qu’on peut à peu près tous remixer ce qu’on veut sur Garageband, ou Word 97 pour les plus talentueux.

Pour un rappeur assez connu qui possède souvent son propre label, le feat est aussi le moyen le plus sûr et le plus économiquement efficace pour assurer la promotion de ses poulains du label en tête de gondole. Une idée de slogan ? « Vous rappez, vous économisez ». Rien de nouveau puisque Timbaland le faisait déjà en 2007 avec The way I are, par exemple, pour promouvoir le rappeur D.O.E (son poulain) ou encore Keri Hilson (sa pouliche), qu’on a tous oublié. Un exemple parmi beaucoup d’autres. Et une vraie stratégie d’entreprise qui permet de limiter les coûts de promo sans avoir recours à un audit interne très poussé sur la weed.

Le feat est donc peu à peu devenu une nouvelle norme. Mais certainement pas la solution aux problèmes de surcharge pondérale. Il est tellement sensé booster les ventes qu’en 2010, une Norah Jones en perte de vitesse intitule son album de duos « Featuring ». Au menu : Q-Tip, Talib Kweli, Outkast ou encore Herbie Hancock. Niveau ventes et charts, pas un grand succès sur l’échelle « Jones » mais perdue pour perdue, fallait bien tenter quelque chose. De plus en plus utilisé dans le rap mais aussi dans les musiques électroniques (Les deux récents volumes « Electronica : time machine » de Jean-Michel Jarre par exemple), le feat semble surtout devenu l’argument commercial majeur censé avantager chaque participant. A tel point qu’un artiste peut être mentionné sur la pochette dans un pays où il est apprécié, et complètement zappé dans un autre où il est moins ou pas connu. Histoire de toucher plusieurs marchés potentiels bien sûr.

Le feat serait donc devenu un win-win de rêve où l’artiste le moins connu profite de la notoriété du premier pour gagner en visibilité médiatique et en nombre de clics. Pendant que l’autre (le plus connu, donc) choperait un peu de crédibilité en autorisant un être pur et si possible underground à apporter sa personal touch, voire sa putain de signature vocale. Faute de chiffres, on passera rapidement sur les négociations entre labels pour la répartition des royalties entre les protagonistes et sur les cérémonies de signature des contrats, mais on imagine facilement que ces affaires doivent parfois donner lieu à quelques échanges relevant de la science-fiction. Du bizz, du beaf, du caramel…Mais les morceaux dans tout ça ?

Ce win-win de la mort oublie un petit détail : l’auditeur lambda qui commence à comprendre que le feat à gogo n’est jamais devenu que l’équivalent moderne du fameux « album de reprises » du rocker à bout de souffle (normal pour quelqu’un qui manque d’inspiration) des années 90. Le pire étant peut-être le fameux feat entre rappeurs français et américains. Même si le flow est top des deux côtés, même si le beat est lourd et que la prod’ assure, cette association de malfaiteurs a à peu près autant de chances de fonctionner qu’une sauce gribiche sur un Big Mac. Sans parler de l’indicible duo de Snoop Dog avec Jamel pour Mission Cléopâtre. Qui se souvient avec émotion des feat. entre Iam et le Wu Tang Clan, Nas et NTM, Eminem et Rohff, ou encore KRS One et Rockin’squat ? Rien de honteux, mais surtout rien de mémorable. Même si les rappeurs de la génération suivante continuent sur cette lancée poussive (Booba avec Rick Ross, 2 Chainz ou Akon, Kaaris avec Future ou encore Lacrim avec French Montana), le résultat figure très rarement au panthéon de leur discographie à cause d’un résultat souvent plombé par le côté « petit frenchie trop heureux de faire un feat avec une de ses idoles des states ». Ben pourquoi continuer alors si ça marche pas ? Pour les rencontres, bro’, parce que c’est beau. Et aussi peut-être parce que ça permet de passer le titre sur le fameux quota « chansons française » à la radio, non ? Du bizz, toujours du bizz…

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