N'avez-vous jamais souhaité aller en taule ? Ne vous êtes-vous jamais formulé ce voeu d'une quelconque manière, au plus profond de vous-même ? Pour moi ce lieu a toujours é

N’avez-vous jamais souhaité aller en taule ? Ne vous êtes-vous jamais formulé ce voeu d’une quelconque manière, au plus profond de vous-même ? Pour moi ce lieu a toujours été symbole de libération – de l’obligation de trouver un taf, de la tentation de fuir l’écriture pour sortir, boire, fumer, tenter de pécho’. Dans ce cachot que je fantasme comme une Eglise, un non-lieu, je pourrais enfin m’épouser en me consacrant à l’utopie de rangement total et de nouveau départ qui, je crois, taraude tout écrivain. Quelques mois plus tôt cette occasion m’était donnée.

20 mars 2009. « Rhinopharyngite ». Cinq jours d’arrêt. Quand j’ai entendu ça, une clameur s’est faite en moi. J’aurais gagné au loto que je n’aurais pas été plus heureux. Thanks doc ! Tout ce temps que j’allais enfin avoir pour écrire, comme absent au monde. « Sylvain ? Non, peut pas, rhinomachinchose. » O rhino, mon amour, grâce à toi tous ces textes que j’allais pouvoir finir ! Je voyais déjà les pages se noircir, mon ego m’ériger en génie. A nous deux chère inspiration, à nous deux cher ordi ! J’omettais juste une chose : on est moins génial transformé en légume. Ne tenant littéralement pas la forme – the body rule the mind, the mind the body – j’avais beau faire le siège de mon PC, rien ne marchait. Un moignon devant le clavier. En même temps j’essayais d’écrire sur Bach, quelle idée. Plus j’échouais plus je me sentais nul plus j’avais besoin de réussir plus j’échouais plus je me sentais nul plus j’avais besoin de réussir… « Mon Dieu, me suis-je dit, je demande peu de chose, juste un texte qui me fasse me sentir quelqu’un de bien et de valable sur cette terre, juste un, ce soir, l’étincelle, que je me couche avec la sensation d’être un nabab et pas une sous-merde. Desperate houseman. »

2h00. Je me suis obstiné à me faire encore quelques lignes mais je voyais clair dans mon jeu : à un moins d’un miracle, je n’y arriverais pas. Pas même une nuit blanche ne me permettrait d’atteindre l’autre rive. J’étais déjà perdu. Ces dernières secondes, tout comme mes allers-retours bureau-frigo, la fréquence de mes clics envoyer/recevoir avait considérablement augmenté. Que faire ? Je ne pouvais décemment pas me coucher comme ça, me dire « Tant pis, je verrais ça demain ». A ce stade, même rouillée, la machine était lancée, la bête avide, le sommeil hors de portée, il n’y avait pas d’alternative. D’issue valable. Enfin si, une : profiter de ce temps de malade pour disparaître enfin dans le visionnage des 28 épisodes de la série Twin Peaks, son univers, son manteau sublime. Voir enfin ce chef d’œuvre fera même de ces quelques jours off un moment phare de mon existence. Mais je n’y penserai que demain. Alors quoi : pause YouPorn ? Sniffer des kilomètres de pixels en quête de la scène sexe ultime ? Comme si je planais au-dessus de ma chambre, je me voyais déjà faire, souris en main, moi dans l’autre : ça m’aurait achevé. Etre ce drogué, cet arrière-trainspotteur – sniff ma vie – c’est tout ce que je voulais fuir. Ce n’était pas MOI ! Je l’ai dit aux filles : « O vamps innombrables du net – MILF, teen, ebony, asiat – oui vous, sirènes modernes, big boobs and nice ass, chimères vous ne m’aurez pas. Je ne vous laisserai pas briser mon désir de paternité pour quelques minutes de Matrix et de fake you. Pas encore, pas cette fois. » Je ne devais pas me disperser. Prendre cher pour renaître à la vie, prendre cher pour renaître à la vie… Mais plus je me sentais vide plus mon corps s’est mis en tête de substituts pour que je taille la zone. Oublier, rien que 10 secondes, cette merde de flesh and bones.

« Falling »

J’aurais tué pour le frisson d’un Coca, le goudron d’une roulée, le moelleux d’un bout de pain. Mais j’avais déjà craqué, il ne me restait plus rien, et à cette heure tardive, au moins 3h00, pas moyen de refaire le plein. La nuit s’étendait comme une longue route sans escale. Un mur infranchissable. C’était la vraie prison pour le coup, celle de l’esprit. Je me suis tourné vers mes piles de disques. Aucun ne semblait capable de me venir en aide. A quoi bon en avoir tant si aucun n’a ce pouvoir ? A quoi bon la botte de foin s’il n’y a pas l’aiguille ? J’ai secoué ma boîte mails comme si un signe de l’au-delà, coincé je ne sais où, devait me parvenir. Comme si, forcément, puisque le medium existe, quelqu’un devait penser à moi au à 4h00 du mat et me le dire… « Mon Dieu, me suis-je dit, délivre-moi du ma(i)l ! Que quelque chose vienne me secouer les entrailles, modifier la structure moléculaire de ma pauvre carcasse ! » J’étais vraiment au fond. Alors, comme ça me prend parfois, d’un coup j’ai chanté un de mes couplets préférés de Radiohead, à savoir ces quelques minutes de la fin de « Let Down », plage 5 d’Ok Computer, où Thom Yorke s’emballe, démultipliant sa voix de castra pop dépressif, jurant qu’il est tellement conscient et affecté de tout ce merdier qui l’entoure qu’un jour, c’est pas possible autrement, des ailes vont lui pousser. Enfin je ne sais plus bien. Il se peut que j’ai plutôt chanté « Life Is a Pigsty » de Morrissey, le joyau de son avant dernier disque, Ringleader of the Tormentors. Même message, même moment où la voix s’envole. Quoiqu’il en soit quand j’ai repris mes esprits j’étais toujours au point de départ. « Still Ill ». Just a rat in a cage.

Dans le lecteur, le CD était fini. Dans ce cas-là, comme toujours dans ces nocturnes moments d’écriture, en quête de l’humeur adéquate, j’avais mis quelque chose de vague, naissant, bénissant les dieux que ce genre de musique existe. Je crois que c’était Love in the Time of Science d’Emiliana Torrini. Je l’avais écouté jusqu’au bout mais alors que d’habitude je n’ai rien à lui reprocher, là, très tôt, quelque chose avait cloché. L’islandaise n’avait pas fait l’affaire. Pas du tout. Pas vraiment. Au moment de changer j’ai donc longuement réfléchi. Très vite j’ai opté pour Mustango de Murat, son album d’avant le déclin, l’un de ses meilleurs. J’écoutais « Jim / Murmurant / A cheval… » Comme à chaque fois, j’étais heureux. Le morceau déployait son air de romance, de grands espaces et d’incurable solitude. Ça me portait. Je pensais à PJ qui allait venir, plage 3. « Polly Jean » sur son « galure rouge sang », longues lèvres rouges, cheveux au vent. Comme elle me faisait moi aussi rêver, je l’imaginais sans mal. Comme cela m’arrive parfois, je pensais même au couple que Nick Cave et elle avaient formé. Je voyais ça comme une histoire de cinéma, forcément déchirante. Nul doute que j’aurais aussi écrit sur elle si j’avais été musicien. Ne comptais-je pas un jour écrire un bel article sur elle ? « Quand même, me suis-je dit, c’est dingue que ses disques et elle aient à ce point fusionné que des auteurs l’envisagent comme un pur personnage et prolonge son aura. » Murat n’est en effet pas le seul à l’avoir faite muse. Sur son nouvel album, Cyprine, bootlegant habilement « Henry Lee » et « Initials B.B. », le toulousain SvenSson a fait de même. En tirant « Initials P.J. ».

5h00. Les mots de ce far-west d’Auvergne claquaient comme des énigmes, éloge de la chair, preuve que l’envers des choses existe. « Mantille », « misaine », « galure » dispersaient méandres, faisaient de l’être un autre, une fuite, un film comme, lorsque une clope nous fume. Oui, une issue existait, ici. Epris de voyage et d’amour, j’aurais dû la trouver, écrire comme jamais, mais perclus par la beauté de ces textes, aquaplannings et érotisme champêtre, je voyais le mien se noyer. Un vrai bordel de phrases hirsutes, à l’image de ma psyché. Quand tout à coup tout m’est apparu, fulgurant : au diable Bashung, ce que je voulais c’est parler de La Féline. From Her To Eternity. « Falling ».

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