Au printemps dernier, un collègue écrivait sur Gonzaï que David Bowie devait mourir . Avec la sortie de « Blackstar » le 8 janvier dernier, notre extraterrestre de 69 ans a pourtant prouvé qu’il était bien vivant. Qu’il bandait bien plus fort qu’en 87 où, le jour de ses 40 ans, il publiait l’ignoble « Never Let Me Down ». Ca ne va pas nous empêcher de le réhabiliter.

« En ce qui me concerne, c’est même l’un des meilleurs albums que j’ai pu faire. Et il s’est très bien vendu alors je l’aime bien. » (David Bowie, 1988)

Les faits : On l’a vu avec les Stones et Dylan, les eighties ne sont pas une période tendre pour les vieilles idoles. Donc ouais, singulier ou pas, Bowie n’y échappera pas et se paye en 87 une bonne petite crise de la quarantaine. La décennie avait pourtant bien débuté, commercialement parlant. « Let’s Dance » (1983) est un succès planétaire et la tournée « Serious Moonlight » s’avère très lucrative. Les excès vestimentaires à la mode et les clips outranciers sont une aubaine pour notre cher excentrique, toujours prêt à changer de peau pour survivre. Son public s’élargit, son compte en banque aussi et tant pis si la critique ne suit pas. Tant pis si « Tonight » (1984) sera mal reçu. Si une formule ne marche pas, Bowie en prépare une autre.

Pour trouver l’inspiration, le voilà qui se paye des vacances en Suisse en compagnie du multi-instrumentiste Erdal Kizilçay – également collaborateur de Dutronc – et du fidèle copain Iggy Pop – venant lui-même de pondre le navet « Blah Blah Blah ». Sur les premières démos, Bowie retrouve le plaisir de jouer claviers, synthés et guitares et espère retrouver la magie de « Scary Monsters » (1980). Il lui faudra trois mois pour pondre un semblant d’album, sans se soucier de sa cohérence. Peter Frampton est à nouveau invité en studio, Le but recherché – ou l’excuse trouvé ensuite – c’est l’éclectisme, un best of de tous les styles qu’il affectionne. C’est ainsi qu’on se retrouve avec une reprise d’Iggy Pop, le même Peter et un Mickey Rourke en train de rapper. C’est ainsi qu’à sa sortie, le 27 avril 87, « Never Let Me Down » est descendu par la critique.

Le plaidoyer : Mesdames et messieurs du jury, il faut d’abord se poser une question essentielle : sur quels critères juger une œuvre du caméléon Bowie ? Ses plus fidèles vous diront que chacune de ses propositions est unique et à le mérite d’explorer de nouveaux territoires. Des auditeurs plus objectifs vous diront que, bien qu’inégale, sa discographie est parsemée de fulgurances. Avec « Never Let Me Down », ce sont des principes plus difficiles à appliquer, Bowie avouant lui-même y avoir fait du recyclage et la production datée rendant difficile l’extraction d’un véritable trésor caché. Et, je vous l’accorde monsieur le Juge, il s’agit là du seul véritable crime de l’album : ne pas réinventer l’eau chaude et être sorti en 1987. Si l’on en fait abstraction, si l’on revoit ses attentes à la baisse, je ne vois pas pourquoi on passerait un mauvais moment. Si vous le voulez bien, je peux même vous prouver qu’on peut en passer de très bons.

« Parfois, les critiques ont la mauvaise habitude de mépriser le dernier album d’une star vieillissante. Avec celui-ci, ils ont eu raison. » (Un client Amazon mécontent)

Si, comme moi, vous êtes curieux, rien de tel qu’un joyeux bordel. Rien de tel que de fouiller un peu le caca pour y trouver de l’or. Si un « Ziggy Stardust » (1972) ou un « Low » (1977) n’ont plus rien à prouver, si vous avez fait le tour d’un « Hunky Dory » (1971) ou d’un « Lodger » (1979), rien de tel qu’un petit « Never Let Me Down » pour mieux saisir les imperfections et le charme d’un Bowie plus humain qu’il n’a parfois voulu nous laisser croire. Ici, pas de grand concept, de visions ou d’incarnation à la Aladdin Sane. Juste une collection bordélique de chansons sans continuité, où l’on passe du coq – le r’n’b de Shining Star – à l’âne – le rock FM New York’s Love. Où la variété trompe l’ennui, où les bonnes intentions font pardonner les mauvaises exécutions.

Si la production est forcément datée – synthés et boîte à rythmes à outrances sont symptomatiques de l’époque – les arrangements sont suffisamment riches pour nous faire voyager en dehors des maudites eighties. Il y a de la sitar, de l’harmonica, des cuivres et des sonorités funky et R’n’B aux relents plus nostalgiques que ringards. Je ne suis pas payé assez cher pour défendre Glass Spider, chanson embarrassante qui donnera son nom à la tournée extravaganza qui suivra. Mais j’affirmerai sans crainte que l’intro Day-In Day-Out, malgré ses lyrics gentiment mièvres, est foutrement efficace.

« Un album horrible. Un échec artistique. J’aurais jamais dû rentrer en studio pour enregistrer ça. Quand je l’écoute aujourd’hui, je me demande même si c’est bien moi que j’entends » (David Bowie, 1995)

Quand Bowie nous explique qu’il s’agit du nadir de sa carrière, n’allez pas en croire un mot. Le type est bourré de contradictions et on ne peut pas chanter quelque chose d’aussi personnelle que la chanson-titre ou aussi mélancolique que Zeroes sans être un minimum impliqué. Sans avoir, ne serait-ce que l’espace d’un apéro avec Iggy Pop, cru en la réussite de l’entreprise. Et ce n’est pas parce qu’une expérimentation rate qu’elle manque d’intérêt. Pas beaucoup d’artistes aussi populaires n’auraient tenté des choses aussi improbables que le single Time Will Crawl, parodie de Michael Jackson décomplexée et dansante ? Sans parler de son clip où, à 1’02, on voit clairement le type essuyer la coke qui lui pend des narines… Bowie s’amuse ! Bowie ne se prend pas au sérieux ! N’est-ce pas rafraîchissant ?

Bien plus frais qu’un duo avec Tina Turner sur le bien moins recommandable « Tonight » que l’un des nombreux hard-rock dispensables de la période Tin Machine (1988-92). Ok, il faut se coltiner un rap de Mickey Rourke. C’est un petit prix à payer pour se déhancher et passer du bon temps en compagnie d’un Bowie en roue libre, sans complexes.

Le verdict : Après la tournée de 87, Bowie ne rejouera plus jamais une chanson de l’album sur scène. Elles seront quasiment absentes des best of. Toujours aussi méprisées et par lui et par ses fans. Bien qu’il s’agisse de l’une de ses meilleures ventes, « Never Let Me Down » sera réédité à la va-vite et injustement oublié. Il a redonné à Bowie le goût des guitares pour le meilleur – « Black Tie White Noise » (1993) – et le moins meilleur – « Tin Machine II » (1991).

Alors mesdames et messieurs du jury, avant de vous ruer sur « Blackstar », redonnez une chance à un album qui ne vous laissera tomber que si vous ne lui faîtes pas confiance.

3 commentaires

  1. J’aime bien « Time will crawl », « Beat of your drum », « Never let me down » (la chanson), « Glass spider » (hé oui !).
    Mais je conchie allègrement des « choses » comme « Day in day out », « Zeroes », « Bang bang », et le pire, pour moi : « 87 and cry ».
    Album bien mauvais, mais quand même moins mauvais que le précédent (« Tonight »).

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