Le bonhomme que j'ai rencontré monte plus de groupes que vous n'aurez jamais de guitares, et quand il parle de chacun d'eux, il a les yeux qui brillent. Rencontre avec Zorro Du Cul, un imposteur complètement schizo si sincère qu'il se fout des lauriers s'il peut vous faire taper du pied...

zorroIl s’appelle Xavier Laurant mais tout Bordeaux le connaît sous le blaze de Zorro Du Cul. Cape noire, bottes noires, chapeau blanc, masque de loup, noir évidemment. Et la moustache. Pas de fouet, mais un mégaphone annonce l’arrivée aux platines du justicier masqué qui mixe toute la gamme du rock le plus groovy avec une fière couleur noire-américaine. Du banjo pince-oreille à l’électro pince-fesse, tout est bon sous le mot d’ordre : « Dancefloor de puta madre. » On commande une pinte et avant que la mousse ait touché le rebord on se prend à remuer du cul en réalisant qu’on découvre des trucs alors qu’on pensait être en terrain connu.

All right then, la culture de DJ Zorroducul, plus longue que ce bon vieux Mississippi vous conduit immanquablement aux pissotières. Sur le chemin du retour vous entendez un flow de fuzz, un stud de reverb, un canyon de basse… Du drone ? Suis-je déjà ivre ? Non, c’est Zorro Du Cul qui a versé un truc dans votre verre : un (gros) doigt d’audace. On repart en rigolant et l’histoire pourrait s’arrêter là si l’on ne revoyait pas le moustachu le lendemain. Autre bar, autre ambiance. Sapé cuir et clou, sans masque, notre über-héros joue solo un shoegaze migraineux, drone groové avec une seule guitare, deux amplis et un parquet de pédales. Une vision : un Lemmy sous acide du temps d’Hawkwind mais qui aurait quand même composé The chase is better than the catch ! Verdict sans trembler : meilleur concert vécu depuis 18 mois.

À l’issue, une longue conversation avec le concerné où je me rends compte que mes Clarks ont déjà croisé la route de ce saltimbanque à deux reprises lors un concert country-punk sous la bannière de « Stop II » et lors d’une perf de rap de rue déconnant à plein tube(s) nommé Gendarmery.

Qu’un musicos se tape des DJ set pour cachetonner ou empiler son intermittence, on a déjà vu. Tourner avec 4-5 groupes en même temps pour rentabiliser la route et noyer le black dans la compta, aussi. Mais être le compositeur/chanteur de tout à la fois, ça commence à ressembler à du situationnisme. Ou à la fixette ? Le temps de digérer tout ça, j’ai sonné le rusé renard pour lui demander au bout de combien trop c’est trop.

On peut commencer la photo de famille par parler de Stop II. Tu viens de sortir un vinyle, tu peux le décrire  ? Moi j’aurais parlé de punk rockab bouseux….

Oui, on a enregistré cet été From Rust To Dust, un 10 » de 7 morceaux avec un beau clip et qui vient de sortir chez Barbarella Club Records et Beast Records. Stop II c’est un duo de country trash frelaté et de blues lo-fi sauvage et taché de cambouis. Avec Bess’, on partage guitares, washboard, kick drum et barbecues.

Et ça marche ?

Ça marche bien je dois dire, et auprès d’un large public, même les métalleux. Les puristes du country grincent des dents parce que c’est une musique simple et qu’on n’est pas des techniciens. En France il n’y a pas tant de groupes ni de labels, du coup on vise l’Europe – les Allemands en raffolent !

Grand écart par-dessus le Mississippi, on passe à Miss Arkansas 1993. Au-delà de ton histoire de concours de beauté et de travelo qui est dans la bio, d’où sort ce son shoegaze-kraut fiévreux ?

Le projet date. Quand j’habitais Grenoble, j’avais un duo avec Étienne Caire, un cinéaste des ateliers MTK, très orienté improvisation et qui trafique du 8mm et du 16mm avec des projecteurs. Je tricotais un truc hypnotique qui se rapproche de sa transe, avec pour objectif d’embarquer les gens. Un LSD naturel. J’ai toujours eu un gros penchant pour la folk et la country – qui se concrétise avec Stop II – mais je suis un grand fan d’Alan Vega et Suicide. Je suis parti là-dedans, à faire de la musique répétitive avec des nappes, des couches qui s’empilent, des morceaux plus longs avec un gros travail sur les effets de guitare. Ça s’appelait Chéri-chéri. Lorsque j’ai déménagé à Bordeaux, j’ai repris sans image, avec moins d’improvisations et plus d’envie de faire danser. L’an dernier, j’ai sorti un premier 7″ chez Bonobo Stomp.

Pourquoi avoir lancé un projet kraut/shoegaze en 2015 ? Après Zombie Zombie, Camera et même Jessica93, c’est la mode, non ?

C’est vrai qu’on est quelques-uns mais cela fait un moment que je suis sur ce projet. C’est à force de découvrir des groupes comme Circle, avec un son presque plus heavy metal que post-punk, que je suis tombé dans le répétitif. Il y a aussi le groupe Cave, de Chicago avec qui j’ai pu jouer. Ou les Néo-zélandais de Snapper, qui sont à la base de trucs comme Wooden Shjips ou Moon Duo. J’aime ces morceaux qui te donnent l’impression d’être sur une autoroute de nuit. Rajoute mon goût pour le dancefloor qui va parfaitement avec ces choses simples, binaires. Le basique, ça emmène toujours dans la danse.

Le dancefloor, c’est ton obsession ?

Jouer une seule note pendant 5 minutes, ça me fascine. Je cherche une montée et quand elle me semble aboutie je l’arrête. Si je vois qu’elle fait danser, alors je reste un peu, j’étire. Du fait que je suis seul, j’ai pas besoin de m’entendre avec quiconque. C’est mon côté DJ qui revient. Mais tout est live ! J’ai un ordi qui pousse en boucle des drums que j’ai composées, mais tout le reste dépend de réglages de deux amplis.

Quel éclectisme entre tous tes groupes :  il y a un monde entre Stop II et la Miss Arkansas !

J’assume complètement ! J’aime avoir plusieurs aventures. C’est typique de ma façon de faire : faire partir plusieurs chevaux et laisser certains aller plus vite que d’autres. Ceux qui ont pris du retard prennent soudain une avance… J’aime autant dissocier les choses que les rassembler à un moment donner.

J’ai cité les deux plus connus – ou mes préférés – mais tes autres projets, tu peux m’en parler ?

Gendarmery ! C’est un projet comédie/théâtre de rue, autour de deux gendarmes, le premier boys band à caractère préventif ! La musique est très présente mais là je lâche la guitare pour me servir dans un répertoire qui colle à l’esprit, car ça parle au public de la nuit mais au sens très large. Une musique de boite, entre R’n’B, variété… Il y a bien moyen de rigoler avec ces choses-là. Ça marche bien, on a renouvelé le binôme et on a de plus en plus de demandes pour intervenir dans des lycées, des foyers de jeunes… Des acteurs sérieux comme la Croix Rouge nous contactent pour avoir la touche décalage qui convainc.

À Angoulême, j’ai vu que vous aviez fait Satiradax aux côtés du président Salengo. C’est assez dingue.

Oui, c’est fait pour. Des refrains drôles, des pas de danses caricaturaux, du costume… On aimerait que cette sombre farce intéresse des gens qui font réellement de la prévention. Avoir une enveloppe du ministère de la santé. Sinon il y a quelques années j’avais déjà Soupe sound system :  un duo de rappeurs complètement loufoques. C’était plus axé sur le hip hop, le ragga et les cultures de cité. Chaque morceau durait une heure, on racontait notre vie, on intervenait sur tous les phénomènes de société, il y avait pas mal d’impro là-dedans. Le spectacle, c’était leur premier et dernier concert en même temps quoi. Sinon j’avais un duo nommé Mötöcross, avec mon collègue Kamel à la batterie où on avait déjà un peu ce son incisif de Miss Arkansas 1993. Avec un chant dingue. Ça a été assez remarqué en festivals.

Transition logique, parlons de ton image publique la plus reconnue à ce jour : le DJ Zorro Du Cul. Là, ta prestation ressort autant de l’animation que de la performance de mix.

Oui, j’aime bien faire passer plein de choses sous ce nom-là. C’est pas qu’un DJ, je ne me contente pas de passer des disques. J’aime prendre le micro, intervenir, faire une présentation… J’aime aussi faire des petits films [NDA : dont le fabuleux plus long moonwalk du monde réalisé entre la rédaction de Aaarg à Marseille et le Wunderbar à Bordeaux !], faire de la performance, écrire des choses, toute une culture que certains qualifieront de mauvais goût ; moi j’aime dire « sous-réalistes » plutôt.

Vivre de la musique est plus dur aujourd’hui et toi tu multiplies les projets quand même : c’est pour avoir plus de chance de bouffer ou parce que ton talent est pluriel ?

Plusieurs raisons. La première c’est que je suis super actif. J’ai besoin d’avoir plusieurs chevaux en même temps. C’est pas la rentabilité qui me motive en premier lieu mais si je ne fais pas ça, je ne vis pas. Et encore, Gendarmery, Stop II, Miss Arkansas… ce sont les projets qui ont abouti. Il y en a plein d’autres où tu te dis : « Ça va être trop compliqué à réaliser », ou pas viable économiquement…

On parle de combien de projets en même temps là ? Qui dépassent l’idée ou après une bière de trop.

Là je suis sur 7 ou 8 projets en même temps. Et c’est vrai que, surtout sur des formes réduites, solo ou duo, ça permet aussi de tourner pas mal. N’ayant pas d’autre job, je ne fais que ça. Comme il y a moins de subventions sur les festivals et que ceux-ci annulent ou réduisent la voilure, j’en vis plus ou moins bien. J’ai aussi eu un problème de santé qui m’a coûté mon intermittence. Mais je fais ça quoi qu’il arrive. Il faudrait que j’ai un couteau sous la gorge pour aller reprendre un job complémentaire mais j’irais jamais faire de la merde pour gagner de la thune.

La pression financière qui t’oblige à aller au charbon coûte que coûte, tu l’as bien connue. Comme ce n’est pas ce qui se déballe le plus dans la mythologie rock, tu veux bien décrire tes emmerdes ?

J’ai eu un sérieux problème cardiaque. J’ai failli y passer, du jour au lendemain. Je me suis retrouvé avec deux ans de traitement et la consigne d’arrêter mon activité. Ce que j’ai fait dans un premier temps, j’ai annulé des dates et du coup j’ai perdu mon intermittence. Puis je m’y suis remis. Pour rappel, il faut 43 dates sur 10 mois. Pour une intermittence correcte, il faut des cachets à 100€ net, donc à peu près se vendre à 190€. Rajoute les frais de déplacements et c’est loin d’être évident. Dans le rock je veux dire, car dans les arts de la rue les budgets sont pas les mêmes, les employeurs sont des structures publiques… C’est une autre raison pour continuer Gendarmery, qui est autant de l’ordre du spectacle vivant que de la musique.

Ton présent est surchargé, quel avenir pour tous ces projets ?

Stop II sort l’album et tourne. Pour Miss Arkansas 1993, je n’ai pas encore envie de passer à l’album, je vais faire un second 45 » d’abord. Peut-être bosser avec un batteur aussi. Gendarmery est très demandé…

Au lieu de papillonner entre les projets, un seul nom serait mieux vu non ? On est en France hein…

J’aimerais un jour faire un projet qui les rassemble tous. À l’image de Ween, groupe dont je suis fan, qui aborde tous les styles dans chaque album avec un détachement permanent. Ils frisent le format radio avant de se saborder en beauté. On retrouve ça chez CÂLIN aussi. Bon, après, tout ce bazar ne me dérange pas : j’aime la multiplicité. Et à chaque fois, c’est très sérieux pour moi. Il n’y a rien de plus sérieux que de faire le con. À quoi ça sert d’être pris au sérieux ? Quand on a choisi de s’appeler Zorro du cul, hein…

https://stopii.bandcamp.com
http://missarkansas1993.bandcamp.com
https://gendarmery.bandcamp.com
http://gendarmery.tk/

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