Enième victime d'une situation ubuesque, je me trouve dans le Pôle Emploi de Valence à attendre un hypothétique rendez-vous qui je le sais, ne portera pas ses fruits. Une odeur d'agrume est diffusée dans le hall d’attente. Cette fragrance est sensée calmer les nerfs à vif de la lie de l'humanité selon Copé, cette légion d'assistés, de feignants et de vampires assoiffés par les revenus de ceux qui travaillent. Cette odeur acidulée m'agresse les sens et me file la nausée. C'est aux cotés d'un homme sans âge en parka bleu flic et vêtu d'un jogging noir que j'attends mon tour. J'ai de la chance, j'ai réussi à attraper une chaise, il n'y en a que trois. Les autres restent debout et tournent tels des squales affamés.

Au milieu de tout ça, nous avons le devoir intellectuel de ne pas lâcher, de résister et de ne pas se laisser casser ou engloutir par la médiocrité ambiante. Les rockeurs en Italie font le même constat. Ce sont les Wildmen qui nous ont confié que  »sortir d’Italie était pour eux une véritable bouffée d’air frais ». Faire du rock en Italie c’est mourir pauvre, mais fier. Refuser de faire de la pop italienne est un pari que tentent Matteo et Giacomo, respectivement batteur/chanteur et guitariste des Wildmen. Pas forcément par goût de la résistance mais parce qu’ils ne peuvent rien faire d’autre.

75973_538820702813048_1050334295_nQuand j’ai rencontré les Wildmen, je pensais avoir affaire à un groupe de rock garage assez traditionnel. Les deux pieds ancrés dans la mode sixties, un look au cordeau et une désinvolture adolescente. Petite surprise en voyant débarquer deux mecs souriants mais crevés, sapés comme des gitans (cuir élimé pour l’un et veste en peau de chamois retournée avec intérieur en laine de mouton pour l’autre). Les Wildmen font de la musique, pas du spectacle. Les fringues ont été trouvées dans une friperie faute de thunes et cette date était la dernière d’une tournée européenne de 20 jours sans « day off ». Sympathiques mais pas déjantés, les Wildmen se prêtent au jeu de l’interview avant de lâcher leurs dernières forces dans un show sauvage, mené tambour battant et préfigurant de la teneur d’un premier album à venir sur le label italien Shit Music for Shit People Records,  après quelques titres disséminés ça et là sur des 45t confidentiels. L’album n’a d’ailleurs pas de nom mais pourrait se nommer « Introducing the Wildmen ». Mettons de coté la pochette vert fluo, éblouissante mais un peu bâclée à mon goût. Première surprise, c’est Matteo, le batteur, qui chante. Melvil Poupaud m’avait dégouté des batteurs chanteurs avec son groupe Mud dans les années 90. Seconde surprise, Matteo assure avec brio le chant et tape comme un sourd. Les Wildmen ne font effectivement pas dans le revival sixties, leur musique est beaucoup trop violente pour se limiter à cette case. Certains titres vont même jusqu’à flirter avec le punk hardcore, tel que Black Holes; Malgré une urgence bien présente, le duo trouve le moyen de nous donner envie de danser avec Crazy ou 20 000, aux rythmiques imparables.

L’album des Wildmen frappe fort. Ils veulent se casser le plus souvent possible d’Italie et ce LP reste leur seule carte de visite. Ils l’ont soigné et les tubes Haters Gonna Hate et Born After Midnight leur laissent de l’espoir. Demain peut-être chanteront-ils en italien avec un beat électro merdique dans le dos. Pour l’instant ils sont jeunes, ne sont pas encore fatigués et pensent pouvoir détruire les murs dressés sur leur chemin.

Au fait, j’attends toujours. L’odeur d’agrume se mêle aux odeurs corporelles âcres et au patchouli de mémère. Les gens s’impatientent, s’énervent et ne comprennent pas ce qu’ils foutent ici.

Pourriez-vous nous présenter les Wildmen ?

Matteo : Je suis le chanteur et batteur du groupe. Nous sommes deux et avec moi, c’est Giacomo.

Giacomo : Ouais, salut, moi c’est Giacomo. Je suis le guitariste des Wildmen et la seconde voix, quand ça me dit. Nous venons de Rome en Italie et c’est notre première tournée européenne. Vingt jours à travers l’Europe, d’est en ouest.

Matteo : Ca a été une tournée éprouvante mais c’est quasiment terminé. Ca a été sans relâche et nous sommes plutôt crevés maintenant.

Comment s’est passée votre tournée ?

Giacomo : A l’est, en Pologne et Hongrie, ça a été vraiment fort pour nous.

Matteo : Très chaleureux. On a eu de bons retours. Je pense que les gens s’intéressent plus aux concerts qu’en Italie. Quand on joue chez nous, c’est plus froid. Les gens vont peut-être en parler sur Facebook, ou un truc du genre mais jamais ils ne vont venir nous trouver à la fin du concert pour nous remercier, nous demander un t-shirt, partager une bière ou simplement faire la fête.

Giacomo : A Budapest, les gens sont fous. Après le concert, ils nous ont invités à faire la fête. On ne pouvait pas, car on partait pour Varsovie dans la nuit.

« Le rock est mort en Italie ! »

Dans votre biographie, on peut lire que vous vous êtes formés à l’occasion d’une baston sur un concert. Vous pourriez nous raconter cette anecdote?

Matteo : Ouais, on est du genre agressif, on se bat même sur scène. On a failli se battre, il y a deux jours parce qu’on était énervés, mais bon c’est comme ça. Ca doit être dans nos gênes italiens.

Giacomo : C’était une sacrée bagarre contre, je sais pas moi, deux mille personnes. On s’est fait péter les os. C’était formidable, toute la presse italienne a repris l’info…

Matteo : Nooon, c’est des conneries ! On est sympa.

Giacomo : On ne savait pas quoi mettre sur la biographie….

Matteo : Nos vies sont bien plus ennuyeuses en réalité.

Pour vous, qu’est-ce qu’un Wildmen ?

Giacomo : Ah, qu’est ce qu’un sauvage ; Je pense que c’est…d’abord lié à notre jeunesse. En 2012, le punk et tout le bazar c’est fini ! Alors on essaie de s’éclater à notre manière en allant jouer ailleurs, en rencontrant des filles, la drogue et tout ce qui suit.

Matteo : Ouais, on essaie de tirer le meilleur parti de la vie parce qu’on ne se fait pas assez d’argent pour vivre de notre musique. Du coup, on fait notre possible pour prendre notre pied.

Giacomo : Tu sais, les Wildmen ce n’est vraiment pas pour le fric, ça ne remplit pas notre portefeuille. C’est une bonne expérience, on voyage, on a vu l’Europe en vingt jours. On a rencontré des tas de gens et ce n’est que le début.

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Vous évoluez dans un style garage sixties, pourquoi ce choix ?

Matteo : En fait, je ne crois pas que notre style soit sixties. On s’en fout de cette mode. On n’aime pas ce type de rock où tout le monde se sape pareil avec les mêmes coupes de cheveux, genre Fuzztones, c’est bourré de trucs comme ça. Super cliché.

Giacomo : C’est classique, sans innovation.

Matteo : On écoute tellement de trucs différents. Alors pour un prochain morceau on pourrait très bien inclure de l’électronique par exemple ! On expérimente un peu mais en gardant le cap du rock’n’roll. Faut que ça trace tout droit.

Votre formation peut-elle évoluer dans le temps ?

Matteo : On pourrait rêver d’avoir un grand groupe comme les Stones dans les années 70 avec des cuivres et tout. Mais on ne connait pas les gens avec qui on pourrait le faire. On aurait besoin de personnes qui voient les choses comme nous. Alors si on se dégote un bon bassiste, on verra.

Depuis quelques années, il y a pas mal de groupes de garage italiens qui font parler d’eux. Que se passe-t-il ?

Giacomo : Ouais, ça bouge pas mal. Il y a les Movie Star Junkies qui tournent beaucoup et qui sont connus en France. Ils vont prendre de l’ampleur. Dans ma ville à Rome ça bouge, il y a plus de concerts, et de gens qui prennent les guitares.

Matteo : Je pense que les gens en ont marre car beaucoup de lieux rock ferment à cause de la crise. Alors ils se mettent à jouer parce qu’ils ne savent pas quoi faire d’autre le soir. Ils vont dans des salles de répet’ et jouent des morceaux ensemble pour le plaisir.

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En France, il existe un statut spécifique pour les artistes. Comment cela se passe en Italie ?

Matteo : En Italie, c’est l’inverse. C’est quasiment impossible de vivre de la musique et c’est encore plus dur pour les rockeurs. Si tu veux t’en sortir tu dois faire de la pop et la chanter en italien. Comme beaucoup de salles ferment en Italie, pour trouver des concerts c’est de pire en pire. Ici, il n’y en a que pour l’électro et la pop italienne. Le rock est mort en Italie !

Tu veux dire qu’en Italie un groupe de rock n’a aucune visibilité médiatique ? Il existe bien des bastions de résistance et de culture alternative.

Matteo : C’est peut être possible d’exister mais avec une bonne grosse agence de presse car en Italie, il y a un fonctionnement mafieux, y compris à petite échelle, et si tu ne connais pas les bonnes personnes et ne cires pas les bonnes pompes, tu ne feras pas grand chose.

Giacomo : Et ça sert à rien d’envoyer ton kit promo aux magazines en disant « Hey ! Nous sommes les Wildmen. » Plus ton agent est important le mieux c’est pour toi. Heureusement, nous avons quelques bons fanzines en Italie.

Avez-vous essayé de chanter en Italien ?

Giacomo : Non jamais. On y a pensé mais on a décidé de ne pas tenter l’expérience.

Matteo : La principale raison, c’est que c’est trop compliqué de chanter en italien. Puis pour moi c’est difficile d’écrire de bonnes paroles dans cette langue.

Giacomo : Quand on veut que ça sonne bien, il suffit de dire beaucoup de conneries !

Matteo : En fait je crois qu’on n’est pas de bons paroliers.

Wildmen // Wildmen // Shit Music for Shit People Records
http://wildmenband.tumblr.com/

Traduction : E.Corrado

4 commentaires

  1. Vus à la Méca dernièrement, c’était juste dingue! Y’a vraiment de bonnes références dans le rock garage italien malgré un contexte assez défavorable comme évoqué

  2. Vus à la Méca dernièrement, c’était juste dingue! Y’a vraiment de bonnes références dans le rock garage italien malgré un contexte assez défavorable.

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