Le chroniqueur musical est une vache comme les autres. La vitesse le bouscule. L’image d'Epinal du bovin épanoui ruminant son herbe fraiche en regardant passer les trains Corail de province est aussi éculée que celle du chroniqueur infusant un album sur sa platine vinyle armé d’une plume, d’une feuille blanche et d’inspiration. Le TGV qui sillonne la France en croix à plus de 300 km/h a ulcéré les charolaises et les Limousines au même titre que le haut débit a noyé les rocks critics.

Et donc, on ne rumine plus un article, on ne laisse plus décanter la musique avant de se jeter sur son clavier pour plaquer des superlatifs hâtifs de peur de louper le coche. Être le premier à dénicher un talent à de l’importance pour nous. Devenir l’antichambre du succès. Vivre la gloire par procuration. Petites victoires pathétiques, certes mais qui nous animent tous secrètement.
2012 est donc morte, vive 2013. Tel un fox terrier à l’affût, le port altier et le regard perçant, les chroniqueurs de tout poil scrutent l’horizon la truffe émoustillée par l’agenda de sortie des grosses cylindrées, les rumeurs de reformation et l’infime espoir de trouver la perle rare. On a déjà oublié les disques reçus avant la fin du monde. Pas meilleur que les autres, je ne peux pas me résoudre à enterrer cette année 2012 sans évoquer cinq groupes qui sont restés injustement dans l’anonymat. Je ne vous parle pas de musique de niche accessible à quelques initiés mais bien de groupes qui auraient pu et/ou dû avoir une résonance auprès du grand public. Leur seul tort ? Etre sorti sur un label trop confidentiel ne pas avoir eu d’attaché de presse à leur service, ou avoir été happé par une actualité bien trop grande pour eux (l’euro, les présidentielles, Mohammed Merah, le chassé-croisé des vacances, les Rolling Stones ou les fêtes de fin d’année). Nous passerons donc en revue la pop flamboyante de Mrs. Magician, le stadium’s rock des Thee Attacks, le R’n’B de The Cowbell, le psychédélisme poétique des Setting Sons et la folk bricolée de Vernon Sélavy.

17 avril 2012 : sortie du « Strange Heaven » de Mrs Magicians sur Swami records

Motif de l’anonymat : Ty Segall ne joue pas dans ce groupe californien et l’album est sorti sur un label cérébralement mort depuis 4 ans.

Ils sont passés comme une étoile filante dans le ciel encombré par de multiples sorties. Seul quelques-uns ont entendu la magie surf/pop que délivre ce trio de la Côte Ouest Américaine. Le premier tour de force de Mrs. Magicians est d’être à l’origine de la résurrection du label Swami Records fondé par John Reis (leader des Rocket from the Crypt) et qui révéla le génialissime et irrévérencieux songwriter punk qu’est Dan Sartain (aujourd’hui chez One Little Indian le label de Björk). Après plusieurs années de léthargie, le label renaît de ses cendres pour Mrs. Magicians et John Reis en personne s’investit dans la production de ce premier album.
Un signe. Ou une marque de confiance ? Peu importe, le résultat est au-delà de toute attente. « Strange Heaven » s’émancipe sans difficulté du son made in Californie qui déferle sur nos ondes par vagues successives. Pas de lo-fi, pas de psychédélisme seventies. Juste une pop bien léchée et efficace. Le sens de la mélodie des Mrs Magician est tout simplement bluffant. Nightlife, There is no god ou Dead 80’ sont imparables et s’imposent à l’auditeur de manière absolue. Je mets au défi quiconque après trois écoutes de ne pas avoir envie de fredonner (voire de hurler) les refrains entêtants, simple et parfaitement ficelé de ces chansons. La production est propre avec quelques arrangements (clochettes) jamais trop présent. Si Mrs Magicians était signé chez EMI, ils nous auraient été vendu comme les dignes successeurs des Weezer (dans leurs meilleures années, « Pinkerton ») et sans aucun doute auraient enflammé les scènes de tous nos festivals de la rentrée.

15 septembre 2012 : sortie du « Dirty Sheets » de Thee Attacks sur Crunchy Frog Records

Motif de l’anonymat: Ce groupe est danois et ne s’appelle pas The Hives. Leur album est sorti en septembre, pleine période de rentrée musicale aussi indigeste et assommante que la rentrée littéraire.

Ce qui est pénible avec les Danois, c’est qu’ils sont blonds, beaux avec des physiques de bûcherons et qu’ils ont l’œil aussi amical qu’un saint-bernard. Ils ont tout pour eux, même le rock’n’roll. On le sait, les pays scandinaves sont riches en groupes hi-energy, une caractéristique magnifiée par les Hellacopters, Gluecifer, Mensen et autres Hives. Depuis peu , ce haut lieu du riff incendiaire a troqué le cuir pour les chemises à fleurs et verse dans le rock psychédélique quasi progressif avec Baby Woodrose, Dolly Rocker Movement ou les Setting Son. Au milieu de tout ça reste les groupes très fidèles au rock’n’roll garage, dansant et très influencé par le rythme and blues, Thee Attacks fait partie de cette catégorie et partage l’affiche avec les indécrottables Powersolo. Thee Attacks confirme et devrait rapidement traverser l’Atlantique pour botter le cul des Hives. On les avait quitté il y a deux ans sur un premier album « Mister attack to you » qui posait les bases d’un rock très classique mais diablement efficace. Discrètement « Dirty Sheets » convainc les septiques et séduit les ignorants. Passons sur la pochette hideuse d’un mauvais goût rare et attardons-nous sur les onze titres que nous livre le quatuor ;  Thee Attacks impose un son très groovy, à la limite du rock FM, l’ensemble soutenu par le bel organe vocal de Jimmy Attack. Entre rock et blues, ce disque est celui que les Black Keys auraient dû commettre après « Brother », plutôt que de s’encanailler avec MTV.

8 octobre 2012 : sortie de « Beat Stampede » de The Cowbell sur Damaged Goods Records.

Motif de l’anonymat: aucun, ils ont tout. Ils sont anglais et c’est un duo de la trempe des White Stripes.

Ce duo londonien est un véritable coup de cœur de l’équipe de rock à la casbah. Lorsque l’album arrive sur nos platines, c’est presque sans enthousiasme que nous posons le diamant sur la galette noir pétrole. L’habitude d’entendre des groupes qui se ressemblent de plus en plus et des couleurs de labels qui nous plaisent de moins en moins. Le vinyle tourne une fois et les conversations se poursuivent comme si de rien n’était, puis à la seconde écoute le silence se fait, le refrain de Never satisfied happe notre attention. S’enchaînent ensuite les titres déhanchés Scratch my back ou Oh girl. En deux passages The Cowbell a réussi à captiver notre attention, la troisième écoute sera attentive quasi religieuse et ensuite l’album va tourner pendant un bon bout de temps. Reprenons donc par le commencement, The Cowbell est un duo mixte londonien composé de Jack Sandham à la guitare/chant et Wenedsday Lyle à la batterie/choeur et chant. Après de multiples singles 45T, voilà le premier LP qui ressemble plus à un best of qu’à un album. Cowbell mêle avec un groove rare le rock’n’roll, le blues et la soul music, certains vont même jusqu’à citer la Motown ou la Stax dans leurs influences les plus directes. L’album s’ouvre sur un brûlot blues-rock endiablé Tallulah dans lequel la slide guitare fiévreuse de Sandham fait mouche et se poursuit sur leur dernier 45t datant de 2011, Hanging by a tread. Il n’y a pas de petits titres sur « Best stampede » ce qui est un véritable tour de force mais qui s’explique aussi facilement par le fait qu’il est composé de plusieurs singles parus lors de ces trois dernières années.

8 octobre 2012 : sortie du « Before i eat my fear and ears » de The Setting Son sur Bad Afro Records

Motif de l’anonymat : Désintérêt, son leader n’a aucune intention de vendre sa musique.

Sebastian T.W. Kristiansen est de Copenhague. Il considère la musique comme un art parmi tant d’autres. Peintre, poète et leader du groupe The Setting Son, Sebastian T. W. Kristiansen ne travaille pas beaucoup la promo, les concerts et autres plans médiatiques pour faire connaître sa musique. Je ne sais même pas si les Setting Sons ont déjà fait des dates hors de leurs frontières. Dommage pour vous tant ce groupe a été précurseur, il y a 3 ans avec leur second LP « Spring of hate» du revival psychédélique que nous vivons en ce moment. Pour la petite histoire, Sebastian T.W. Kristiansen a un jour envoyé une cassette de ses chansons qu’il enregistrait dans sa piaule d’étudiant en art à Lorenzo Woodrose, leader des Baby Woodrose et membre du label Bad Afro Records. Sans groupe, Sebastian T.W. Kristiansen avait enregistré plus de 50 titres. Son premier EP sort donc avec un backing band de fortune mais de grande classe puisque Lorenzo Woodrose jouait la guitare. The Setting Son a enchainé deux albums avec une formation en perpétuel mouvement.

« Before i eat my eyes & ears » est une pierre de plus à l’œuvre de Sebastián T. Winther (il a abandonné son précédent nom, sans aucune raison apparente). On y retrouve les ingrédients qui faisaient la particularité du groupe lors des albums précédents. Une voix haut perchée, des claviers minimalistes, des clochettes qui tintinnabulent à la limite du kitsch et des mélodies légères pour des textes souvent profonds et sombres. À cela s’ajoute une basse qui donne plus d’ampleur au son et des cœurs qui accentue le côté acidulé des Setting Son. Sebastian T. Winther est un artiste et signe même la pochette très contemporaine de l’album.

11 octobre 2012 : sortie du « Stressed Desert Blues » de Vernon Sélavy sur Shit Music for Shit People / Azbin Records.

Motif de l’anonymat: Le respect. L’élève ne doit jamais dépasser le maître.

Une escapade musicale prometteuse pour Vincenzo Marando (Movie Star Junkies) avec Vernon Sélavy. Quitter les sonorités torturées et littéraires de son groupe originel pour d’autres univers n’est pas une chose simple tant cette musique semble venir des tripes. Un premier single très lo fi, The way it Goes, est sorti en mars dernier a posé les bases d’une folk crasseuse et écorchée. Heureusement, six mois plus tard, l’album « Stressed Desert Blues » a un son beaucoup plus accessible. Pas de saturation sur les guitares et une voix quasi claire. L’album s’ouvre sur When we two parted qui me rappelle fortement la sublime reprise de Sway par Tav Falco (honteusement reprise par Diam’s – «laisse-moi kiffer la vibe avec mon mec, avec mon mec…») avec son rythme binaire, saccadé et sensuel voire sexuel. Le son (en particulier celui des guitares solo) de Tav Falco hante ce disque sur la quasi-totalité des titres. Plus qu’un rock lent plein de luxure, les guitares acoustiques et les ambiances westerns de titres tel que Ballad of the empty hands ou Shoes of the dead place Vernon Sélavy comme un superbe artiste de folk bricolée et habitée à l’image d’un Delaney Davidson ou dans une moindre mesure d’un Tom Waits. S’il vous plaît, ne passez pas à coté de cet artiste.

http://casbah-records.com/

 

5 commentaires

  1. super.

    juste une idée comme ça, par rapport à l’intro. je me disais, c’est quand même paradoxal de voir qu’aujourd’hui, alors qu’on dispose d’un réel avantage par rapport aux 70’s grâce à internet, et la possibilité qu’il nous ait donné d’écouter un album des semaines, voir des mois avant sa sortie, de ne pas être capable de prendre le temps de réfléchir avant d’écrire une petite chronique d’album. pourquoi ça ne fonctionne plus ?

  2. A part ça l’illustration est celle d’un article sur Greg Egan paru dans Chronic’art il y a trois ans.

    JE DIS ÇA COMME ÇA, HEIN.

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