11 titres, 11 températures, le temps d’un album sous le pseudo Whatever The Weather, Loraine James oublie les dancefloors et s’offre une pige comme miss météo pour conter le climat des côtes anglaises de l’ambient et de l’électronica.

Un artiste doit-il forcément se cantonner au style musical qui l’a fait connaître ou peut-il à son aise se balader au sein du labyrinthe des sous-genres musicaux ? Si Bowie a fait figure de pionnier en passant sans sourciller du glam à la soul ou l’art rock, la pratique s’est largement ouverte depuis. Gainsbourg a bien fait un disque de reggae, Neil Young d’électro et Daho de jungle; provoquant ainsi des réactions de moins en moins vives au fil des années avec l’avènement de la musique électronique et l’explosion totale des barrières liée aux plateformes de streaming. Il n’y a qu’à jeter un œil sur les playlists des musiciens millenials sur spotify pour comprendre qu’ils n’en ont rien à secouer de switcher du shoegaze au soundcloud rap en deux clics. La question ne se pose donc plus désormais.

Souvent, c’est un genre émergent ou à la mode qui amène les musiciens à s’en emparer, ce qui est le cas de l’ambient ces dernières années. De par sa nature même, ce courant est forcément moins difficile à maîtriser techniquement que le free jazz. Il est surtout ici question d’atmosphère comme le codifiait l’un de ses inventeurs Brian Eno dans le livret de l’originel « Music For Airports » : « La musique ambient doit être capable de s’accommoder à différents niveaux d’écoutes sans que l’un ne prenne le pas sur l’autre, cela doit être aussi facilement ignorable qu’intéressant ». Particulièrement représenté par des artistes féminines  (Sarah Davachi, Kali Malone, Kaitlyn Aurelia Smith, Malibu en France), ce revival reste toutefois un marché de niche. Il faudra peut-être commencer à s’en inquiéter quand Louane annoncera son projet ambient.

La jeune et très florissante scène électronique anglaise ne pouvait pas passer à côté du phénomène. La Londonienne Loraine James, fleuron du label Hyperdub, s’est fait connaitre avec une musique orientée club et beats flirtant avec les intrications parfois agaçantes de l’hyperpop. Elle n’a donc eu aucun mal à basculer sur un disque ambient pour lequel elle a préféré prendre l’avatar Whatever The Weather et le sortir chez l’historique label américain Ghostly. Une façon de montrer qu’il s’agissait quand même là d’un album différent du reste de sa discographie. Issu à la fois des chutes de son dernier LP « Reflection » et d’esquisses qu’elle gardait depuis des années, il ne se cantonne pas qu’à l’ambient, allant piocher dans l’IDM, le hip hop ou la drum’n’bass. Et il s’agit là d’une vraie réussite au fil de ces 11 morceaux nommés chacun par une température allant de 0 à 36 degrés. Entre les deux majestueux et assez similaires 25°C et 36°C en ouverture et en conclusion, remplis de nappes et de textures atmosphériques, James joue brillamment avec le thermomètre en gardant toujours une forme d’apesanteur assez loin de la complexité de ses productions habituelles.

Si l’UK garage n’est jamais loin, mêlé à une forme d’IDM à la Autechre dans une version ultra « smooth » et féminine (0°C, 4°C à la voix hantée), l’Anglaise excelle aussi dans les claviers. Les notes de piano de 14°C  renvoient ici à Suzanne Ciani avec cette vibe un peu marine que l’ont retrouve parfois chez les Cocteau Twins. Ce passage dans le disque aux claviers aquatiques se poursuit encore sur 10°C qui pourrait illustrer à merveille un niveau sous l’eau de Super Mario et l’aussi bref que brillant 6°C rappelant les trésors cachés de l’ambient japonais avec une ritournelle de notes qu’elle explique jouer depuis ses 13 ans.
L’Anglaise ne renie pas pour autant ses origines club avec le single 17°C qui transpire la drum’n’bass soyeuse et les sonorités futuristes de son compatriote Actress. Une formule qu’elle accentue encore sur 30°C, un des plus beaux moments du disque, quand sa voix s’élève au milieu des bleeps et rythmes saccadés.

Ca me fait d’ailleurs penser qu’il est important de parler du traitement par la jeunesse anglaise de ce joyau de leur patrimoine qu’est la jungle. Là aussi, les femmes se font remarquer avec, entre autres, la nouvelle papesse du genre Sherelle dont le mix à la Fabric sorti il y a quelques mois a dû réveiller les genoux plein d’arthrose des vieux junglist. Dans un registre plus pop, la très jeune Nia Archives a publié il y a peu un EP épatant de d’n’b chantée « Forbidden Feelingz ». Elle y remet au goût du jour cette étonnante formule du milieu des années 90 associant déferlements de caisses claires et doux chants féminins qu’Everything But The Girl avait notamment expérimenté avec succès. Le travail de ces deux héritières de Kemistry & Storm ou de Nicolette est à souligner, même s’il doit y en avoir des dizaines d’autres à ferrailler sur Soundcloud, YouTube ou ailleurs.

Fin de cette digression maladroite pour tenter de conclure ce papier et revenir à Loraine James qui prouve avec Whatever The Weather qu’elle ne se laissera certainement pas enfermer dans un genre. Si elle présente ici sa face la plus apaisée, elle le fait avec une sincérité qui montre bien qu’il ne s’agit pas là d’une simple excursion dans un courant à la mode. Elle est aussi, une fois de plus, l’exemple d’une nouvelle génération dont l’éclectisme n’a de cesse d’épater. Ce qui est plutôt rassurant au moment où deux Pink Floyd publient un titre horrible en soutien à l’Ukraine.

Whatever The Weather // S/T // Ghostly 

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