Ian Curtis vient d’enlever ses chaussettes, il est presque minuit du matin. Les yeux globulaires et le pied vertigineux, la joie un peu divisée, il remonte le réveil, tic tac tic tac jusqu’à sept heures du matin. Penser à choisir la sonnerie. Demain, ce sera Kill For, un album plutôt crépusculaire.
Amon Düüll rentre du sport, Klaus n’était pas très en forme ce matin, au Kraut-Tennis. Faut dire que frapper les balles métronomiques par quantités, Jean-Marc, ca lui a toujours fait peur. Ce soir, peut-être rentrera-t-il l’air un peu bougon, suffisamment énervé pour cogner son chien, au son de Residance. Un bon album décidément, du genre qui couvre les cris par le jeu des six cordes, répétées autant de fois qu’il en faut pour transformer l’accord en vibration, le chien en pâté et les murs en confettis. Ian, le voisin d’à coté, vient de rater sa veine. En piqûre comme en musique, tout est question de précision.
Demain, 6H55, un autre jour. Partir au travail, en armée solidaire, escalader la Défense comme d’autres l’Annapurna, revêtir la tenue réglementaire, se laver les dents trois fois : Captain America. Volume 320dB dans le casque, penser à dévisager les gens du métro, imaginer leur souffrance avec deux fils dénudés dans le rectum. Demain tout changer, tout se promettre. Aujourd’hui encore, faire semblant. Comme hier. Captain Amérique se chargera du reste, parce que Captain Amérique est dieu, qu’il porte des Converse et connaît les mantras mal rasés. Transformer les chemises Vichy en guenilles indiennes, prendre un ticket de métro pour Kuala Lumpur.
Frapper encore, de manière convulsive, cogner les murs, fracasser la balle comme si c’était la dernière ; Klaus transpire sur Elevator Love comme d’autres dans les femmes électriques. Le poignet tremble, le kaléidoscope s’affole, violer un chien dans l’ascenseur en comptant jusqu’à huit. Penser à apprendre par cœur la page 138 de l’annuaire, section parapharmacie. Croire en dieu, arrêter les drogues. Tuer, mais pour quoi faire ? un meilleur travail, une complémentaire santé, une femme robot ou… Sunshine, quatrième piste des Kill For Total Peace, parisiens sur le matricule des anges, sans identités réelles, la langue fantasmée et trois coups de trique sur les mélodies.
Tomber pour la France, mourir pour ses idées, s’estropier les extrémités pour sortir un riff ; tout cela, Kill For Total Peace le traduit en émotions confuses sur un premier disque qui inverse les pendules, retarde les réveils, donne des accalmies (Fuck Dreams) et des orages là où tant d’autres invoquent les dieux. Le nord est-il un salut, ces rockeurs évangéliseront-ils la majorité silencieuse des rockeurs en sourdines, Kill For restera-t-il un disque en forme de space-brique multicolore ? Plus près de toi saigneur, loin des artifices, il est des plaisirs qu’on peine à refuser. Et tant qu’à ne pas avoir d’avenir, autant consommer les présents.
Kill For Total Peace // Kill For // Pan European