Qui n’a jamais pu passer le cap de la poignée de morceaux d’un disque à cause d’une voix qui provoque chez lui une irruption cutanée ? De Robert Plant à Morrissey ou Eddie Vedder, la jurisprudence est fournie. La tentative désespérée qui suit va essayer de comprendre ce mystérieux phénomène.

Il doit exister un mot en allemand pour décrire le terrible ressenti à l’écoute de sa propre voix. Le malaise assez profond qui vous envahit au moment d’entendre par exemple l’enregistrement du répondeur de son mobile. « On l’a tous vécu au moins une fois » comme ça se dirait sur Twitter. « Tout le corps humain présent sous la voix » affinerait plutôt Paul Valery pour définir à quel point cette mélodie propre à chacun revêt de l’importance pour soi-même et pour les autres. Une dimension qui se retrouve forcément en musique tant cet organe en est un élément d’abord principal puis central depuis des siècles. Ce sera le grand questionnement de cette démonstration abstruse sur l’appréciation totalement personnelle de la sonorité des cordes vocales de tel ou tel artiste.

Un son de guitare, de claviers ou surtout de batterie (véritable carbone 14 pour estimer la date d’enregistrement d’un titre) qui ne vous conviennent pas peuvent facilement s’oublier devant la force de la composition. C’est déjà moins le cas avec une production trop datée. Ca ne l’est plus du tout avec une voix qui vous plonge dans un profond malaise. Cette idée m’est revenue au moment d’écouter sans grande conviction le dernier disque des Danois d’Iceage « Seek Shelter ». Un nom inspiré de Joy Division, Peter Kember à la production pour un post-punk pas vraiment original mais efficace : a priori tout pour passer un moment agréable sans être inoubliable. Mais comme à chaque tentative avec cette formation déjà ancienne, la voix du dénommé Elias Bender Rønnenfelt bloque tout. C’est assez inexplicable, la copie scolaire de Bobby Gillespie mis à part, il est impossible d’aller au-delà du premier morceau. Si ce ne sera pas une perte immense, ce n’est non plus pas un hasard comme avec une multitude d’autres noms réputés que j’ai essayé d’aimer à grand coup d’écoutes forcées. Si la voix d’un artiste a tendance à générer chez moi de la crispation, je ne pourrais jamais passer outre pour en apprécier les qualités musicales. Il n’y a finalement ici aucune forme de jugement artistique, c’est purement mécanique et subjectif.

En discutant du sujet avec des amis, il apparait vite que le phénomène touche tout le monde. Pour cette raison, certains n’arrivent pas à écouter des monuments comme David Bowie, les Doors, Radiohead ou les Smiths (un cas qui revient souvent), d’autres se passent de Scott Walker, Talk Talk ou Roxy Music pour les mêmes motifs. A chacun sa marotte, je n’ai par exemple jamais pu prendre la mesure de Led Zeppelin à cause des roucoulements de Robert Plant. C’est un peu la même chose avec les Cocteau Twins chez qui les envolées de Liz Fraser m’empêchent de profiter à leur juste valeur des arrangements brillants de Robin Guthrie. Autant dire que tout ce cheptel prestigieux va susciter de vives réactions quand, a contrario, les mêmes vous disent – et je le partage – que Julian Casablancas, Lou Reed ou Hope Sandoval pourraient même lire le bottin qu’ils arriveraient à le rendre intéressant.

Comment considérer les vibratos éprouvants d’Eddie Vedder de Pearl Jam sans replonger en 1991 et ses chemises à carreaux ?

Il conviendrait donc de tenter d’expliquer de telles aversions. Le premier critère qui pourrait entrer en ligne de compte serait le style musical et par conséquent l’époque à laquelle la musique a été enregistrée. J’ai ainsi beaucoup de mal avec tout ce qui peut toucher à la new wave. Pour en citer un, il m’apparait ainsi très difficile d’écouter The Associates tant la façon de chanter de Billy Mckenzie est attachée à une période et à un style. Trop d’effets, trop de lyrisme, pas assez d’authenticité. Dans le même genre, comment considérer les vibratos éprouvants d’Eddie Vedder de Pearl Jam sans replonger en 1991 et ses chemises à carreaux ? Les exemples peuvent être nombreux et toucher tous les courants musicaux où certains gimmicks affectent la voix, que ce soit dans le punk, le metal, le folk ou le rap même si tout le monde s’accorde pour dire que Kanye West ne sait pas rapper. Le cas du rap est d’ailleurs intéressant dans un secteur où beaucoup privilégient les rappeurs dits techniques comme Nas alors que j’ai toujours préféré le flow cool de Phife Dwag ou MF Doom voire le côté implacable d’un RZA pourtant pas réputé pour être un grand MC.

Mais il ne s’agit pas tant là de la voix que d’un certain maniérisme lié intrinsèquement à un genre qui va plaire ou pas selon les goûts, mais aussi et surtout bien vieillir ou pas. L’âge de l’auditeur doit aussi y jouer. Ayant été marqué par la britpop à l’adolescence, les manies de Liam Gallagher ou de Damon Albarn ne me choquent pas du tout. Et avec l’éternel cycle des revivals, tout le monde aime par exemple aujourd’hui le soft rock ou le prog’ qui étaient totalement bannis il y a quinzaine d’années.

The Guide to Getting into Mariah Carey, Pop Original

Il faudrait peut-être alors se tourner vers la nature même de la voix. Je n’ai ainsi jamais pu apprécier tout ce qui est chanteuses « à voix » qui se rattachent souvent à de la variété (Whitney Houston, Mariah Carey et cie). Le côté nasillard se révèle aussi particulièrement irritant même si un Dan Treacy des Television Personalities parvient à surfer sur la limite de l’acceptable. C’est le cas encore pour le grain rocailleux qui fait que Bruce Springsteen me gonfle profondément. Et si le lyrisme d’Amen Dunes me convient, celui de Bono m’épuise, sans juger pour autant des qualités artistiques de chacun. Ca touche ici à l’intime et c’est absolument inexplicable. Chacun aura sa propre texture et sa propre liste. Et rien n’empêche d’aimer le ton grave du genre Lee Hazlewood, Leonard Cohen ou Serge Gainsbourg et être totalement ébloui par les aigus de Carl Wilson des Beach Boys; rare groupe qui en donne pour tous les goûts avec le chant plutôt « médium » de Brian Wilson ou celui plus rauque du troisième frère, Dennis. Ce qui compte finalement, c’est probablement l’émotion suscitée par une voix, ce qui est là encore totalement indéfinissable. Certaines comme celle de Marvin Gaye et Robert Wyatt ou Beth Gibbons et Nina Simone confinent au divin pour certains en actionnant des leviers totalement personnels, ce que d’autres ne supporteront absolument pas. Et la technique n’entre pas du tout en ligne de compte. L’important serait ce que l’artiste met de lui-même dans sa façon de chanter que ce soit la détresse d’Alex Chilton et Townes Van Zandt ou toute l’honnêteté de Daniel Johnston dans les cassettes enregistrées dans son garage.

C’est en somme la magie absolue de la musique qui fait qu’il y aura probablement autant d’avis que de lecteurs différents. Cet article n’intéressera d’ailleurs absolument pas les fans exclusifs de free jazz, d’IDM ou de gabber hardcore.

17 commentaires

  1. Mais carrément Manu, ça touche tout le monde. Moi c’est tout le métal années 80 (iron Maiden etc…) et le punk hardcore que je digère pas à cause des voix/chants . Mais rétrospectivement il y a aussi des trucs que j’aimais a l’époque et que je n’arrive plus du tout à réécouter aujourd’hui sans honte, c’est tout le rap français début 90s. Le style déclamatoire à la Assassin c’est devenu d’un ridicule, on dirait un sketch des inconnus.

  2. « Ca touche ici à l’intime et c’est absolument inexplicable ».
    Cet argument aurait servi aussi pour faire un article sur les voix qui vous touche et vous transporte, c’est qui me rend circonspect sur la pertinence de votre article.
    Mais peut être qu’il est plus facile d’argumenter sur la détestation que sur l’approbation qui c’est ?

  3. La voix de iggy pop sur Search and destroy c’est pas la même que celle sur Gimme danger non ? T’aimes bien les deux sinon ?
    Est ce qu’on aime un timbre ou une façon de chanter ? Et le chant lyrique ce serai pas une grosse magouille pour envoyer du lourd quand on a un timbre de merde à la base ? C’est le bordel quand même ces histoires de voix.

  4. Rien que pour les voix en français, je dirais déjà :

    Métal Urbain
    Trust
    OTH
    TTC
    La Souris Deglinguée
    Les Ogres de Barback
    Sergent Garcia
    Assassin
    Bunker 84
    Et une bonne moitié des productions Born Bad.

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