Australie : deux personnes au kilomètre carré, ça en fait de la place pour faire de la musique. Sauf qu’à part les kangourous, personne n’habite à la « campagne ». Le pays compte parmi les plus urbanisés du monde, et c’est bel et bien dans les chambres et garages de Sydney et Melbourne que les groupes se créent. Et parfois aussi à Canberra. Une ville moyenne, considérée comme paumée par les Australiens eux-mêmes, et d’où viennent justement les TV Colours. Canberra a beau être la capitale du pays, ce n’est que la huitième ville en terme de population et à en croire mes interlocuteurs, il n’y a pas grand chose à faire. « Les choses ne bougent pas trop dans cette ville. Les gens ont presque tous le même boulot : sur 400 000 habitants tu as 160 000 fonctionnaires ! Leur seul but, c’est d’arriver à la fin de la journée. »
Peu de bars et peu de jeunes en dessous de 30 ans : il fuient tous à Sydney et Melbourne. C’est aussi le cas de Robin Mukerjee aka Bobby Kill, artisan solo de TV Colours sur l’album : il s’emmerdait sec à Canberra, et partit pour Melbourne. Il s’emmerda sévère à Melbourne, et fila à Sydney. Il s’y faisait chier, et voilà Bobby Kill qui revient à Canberra, pour finir son album après 6 ans de recherches, et engager un groupe pour le live !
L’un des seuls avantages à Canberra, c’est que les groupes peuvent répéter où ils veulent, quand ils veulent, et jusqu’à pas d’heure, dans les grandes maisons qu’ils louent peu cher. Aucun problème de voisinage, notamment dans les quartiers qui craignent : les TV Colours répètent dans la maison de Carey, le guitariste, entre une baraque cramée et une bicoque abandonnée. Le pied.
Ici à Paris, les australiens se sont d’emblée heurtés aux difficultés que l’on connait bien. Pas même moyen d’improviser un concert sur la terrasse d’un appartement à Bir-Hakeim : les voisins ont fini par jeter une bouteille sur le groupe, excédés par le son de la boîte à rythmes. Forcément, choisir le quartier de la Tour Eiffel pour balancer du punk bruitiste n’était peut-être pas le meilleur choix. Et pourtant, ce jour-là, les touristes perchés en haut de la Grande Dame ont assisté au spectacle avorté d’un des seuls groupes internationaux de Canberra, une ville peu citée dans les dictionnaires du rock.
Pas prophète en son pays
« A Canberra, on n’a qu’un groupe mondialement célèbre : The Church. Et encore, ils sont sans doute nés en Angleterre et ont déménagé en Australie, comme la plupart des musiciens australiens.« . S’il nous arrive en France de rassembler les succès francophones sous le drapeau tricolore (Grauzone et Stephan Eicher, c’est la Suisse, Kas Product est un duo franco-américain, Lio est Belge de naissance, Luis Mariano était espagnol, Jacques Brel venait du plat pays, etc…), les groupes australiens, c’est un sujet honteux qu’évitent avec soin les chauvins d’Océanie ! Leur majorité est formée de musiciens anglais ayant émigré en Australie (The Easybeats, The Bee Gees, AC/DC, et donc The Church), voire d’Américains (le leader de Radio Birdman, Deniz Tek a grandi au Michigan). Et les vrais Australiens, eux, ont fini par quitter le bled (Nick Cave, Rowland S. Howard, The Birthday Party, Crime & the City Solution, SPK, The Go-Betweens, The Scientists…). Certains ont même fait mieux, comme Dead Can Dance, anglais par Brendan Perry, et australien par Lisa Gerrard, qui se sont se rapidement installés à Londres. On citera tout de même les excellents The Saints, les New Christs, ou les Hard-Ons qui sont restés fidèles à leur pays de naissance. Et dans les « vrais australiens », on trouve aussi INXS, Midnight Oil ou Silverchair… No comment !
A leur décharge, avouons que la démographie de ce pays est étonnante : entre 1945 et 1980, plus de deux millions d’Européens (pour la plupart britanniques) ont émigré en Australie dans le cadre d’une politique publique initiée par le gouvernement. Il s’agissait pour le pays de « se peupler ou périr », après le risque d’invasion japonaise de la Seconde Guerre mondiale. Les candidats à l’émigration au pays des kangourous ne devaient débourser que 10£ pour faire le voyage en avion. On les surnomme alors les « Ten Pound Poms ».
Une histoire collective très jeune et sans fondements culturels forts, à la recherche de son identité propre, coincée entre la couronne anglaise et la machine américaine : une tendance que l’on retrouve aussi dans la jeune génération, avec sa complaisance dans la nostalgie d’un passé qu’ils viennent tout juste de vivre, et qui m’étonne encore.
Nostalgie adolescente
A 20 ans, Bobby Kill rencontre le trio qui l’accompagne aujourd’hui sur scène. Eux se connaissent depuis l’âge de 6 ans et font partie d’une multitude de groupes (Assassins 88, Neighbourhood, Danger Beach, The Fighting League) qu’ils ont signés sur leur propre label – Dream Damage – dans la plus pure et simple tradition DIY, faute de mieux autour d’eux. Ils ont traîné leurs baskets dans les mêmes écoles de Canberra. Bobby Kill aussi, mais sans jamais les croiser. Premières bitures, premières fêtes, premiers groupes, et premières sensations d’ennui dans une ville trop fade pour eux : « En Australie, après 30 ans, tu es censé te poser et ta vie est terminée. En France, on a l’impression que tu peux faire ce que tu veux à n’importe quel âge, comme avoir 35 ans et sortir avec une fille de 20 ans, continuer à sortir, à créer. (…) En Australie, tout le monde est hyper obsédé par l’âge : si tu as 30 ans et que tu n’es pas marié, avec une maison et des gamins, ta vie est considérée comme foutue. Et malheureusement, ça crée de nombreux cas de mal-être, comme la haine de soi et de son groupe d’appartenance…« .
Alors eux « s’habillent exactement de la même façon que quand [ils] étaient gosses« . Et Bobby Kill de chanter la vie d’un teenager à Canberra, la difficulté de monter un groupe, et le contraste entre années adolescentes et début de l’âge adulte. Une façon de critiquer les cadres formateurs de leur pays et d’emmerder leurs anciens camarades à la vie bien rangée, aujourd’hui à l’abri de toute surprise. Mais c’est aussi la manifestation d’une forme assez précise – et australienne – de la saudade portugaise (une nostalgie aux effets positifs, sur le mode d’une vive mélancolie teintée d’un espoir sincère) : « la nostalgie n’est pas forcément connotée négativement en Anglais, du moins en Australie. Il s’agit pour nous de romancer notre jeunesse, de repenser aux différentes choses qui nous ont construits, et de nous assurer de ne pas oublier les choses importantes, celles qui valent le coup, et qui sont fondatrices et constitutives de nos personnalités. Une fois dans un groupe, la plupart des gens oublient ça, et jouent un rôle d’adulte qui n’est pas le leur. »
Notre « school of rock »
Eux n’ont pas honte d’avouer leur parcours musical, plutôt lambda, et qui devrait démystifier la vision qui consiste à croire qu’un musicien talentueux n’a écouté que de bonnes choses au cours de sa vie : « on a eu une phase The Strokes, The White Stripes, The Vines… et à l’âge de 16 ans, on a découvert Nirvana, Smashing Pumpkins, Greenday. Certains ont aussi écouté du gangsta rap… Les premiers groupes qui nous ont vraiment obsédés sont AC/DC, Metallica, Kiss, Motley Crüe, Motörhead… En fait n’importe quel groupe avec des guitares, de la disto, et des bons gros riffs faisait l’affaire. C’était notre School of Rock ! »
Une fois quittée la School of Rock, les futurs membres de TV Colours se sont heureusement essayés à écrire leur propre histoire du genre, espérant marquer les archives de Canberra. Ils feront mieux, puisqu’ils marqueront à jamais les archives de la presse française : quand je leur montre le numéro 1 de Gonzaï Magazine, ouvert à la page du « gang » (Born Bad, Teenage Menopause, Inch’Allah Records, XVIII Records), leurs yeux s’écarquillent. « Oh, c’est Emile [ndr : Inch’Allah Records] ! Et Sebastian [ndr : Sébastien – XVIII Records qui a sorti l’album de TV Colours]. » Etonnés et excités de toucher du doigt leur existence en dehors de leur pays, ils sont comme des gamins qui rencontrent pour la première fois leurs correspondants étrangers. « En fait, j’étais tellement loin de la France, que je n’ai pas vraiment compris ce qui s’est passé avec cette signature sur XVIII Records« , raconte Bobby Kill. « Et c’est seulement à mon arrivée à l’aéroport que j’ai réalisé que ce mec, Sébastien, avait sorti mon disque sans même m’avoir rencontré ! »
Un tunnel sous l’océan Indien
Ici en France, certains activistes s’évertueraient donc à creuser à l’aide d’un médiator un tunnel sous la Méditerranée et l’Océan Indien pour y faire passer des wagons entiers de musique australienne. « Antoine Zéro (XVIII Records) est obsédé par l’Australie » explique Carey. « Il y passe beaucoup de temps, et c’est sans doute le meilleur messager de la musique australienne du moment, un vrai pipeline. Sans lui, on ne serait sans doute pas connus en France. On s’est aussi rendus compte que Sébastien [ndr : Feeling Of Love] connaissait très bien la scène de Sydney. Et aujourd’hui à Paris on a même trouvé un rayon « musique australienne » dans les bacs de Pop Culture Shop [ndr : boutique de disques et de comics dans le XIème arrondissement]. »
Pas de fierté patriotique ici chez les TV Colours, mais le sentiment de faire partie d’un brassage culturel et musical à l’échelle mondiale, notamment au sein de la scène punk (paresseusement étiquetée garage par certains médias ou pros à la culture limitée) : « on apprécie mutuellement la musique des uns et des autres, et on s’en moque de savoir s’ils sont français, américains, ou belges…« , confie Carey. « En réalité, puisque la plupart des Australiens ont des origines européennes (anglaises, grecques, italiennes), on se sent plus proches de votre culture ici en Europe et en France, que de la culture américaine. C’est plus simple de s’intégrer, et les gens connaissent plus de choses sur notre pays que les Américains… Il y a une curiosité mutuelle ». Une curiosité assez forte pour transformer leur première tournée européenne en un voyage de repérage pour déménager sur le Vieux Continent ? « Au fond, on aimerait bien quitter l’Australie, ne serait-ce que pour un temps, mais c’est très compliqué parce que la vie est très facile chez nous : le boulot est bien payé, la vie est confortable. Et puis on est loin de tout. Mais au fond, oui, on aimerait bien habiter ailleurs : en Californie, ou même à Paris ! La bouffe est incroyable ici : on pourrait nous faire gober un truc hyper basique, on serait au paradis. »
Les coeurs à vif
Et la série préférée des australiens ? Celle qui collerait le mieux à la musique de TV Colours ? La réponse, sans aucune hésitation et à l’unanimité : Heartbreak High [ndr : le titre en V.O. de Hartley coeurs à vif], une série qu’ils regardaient tous quand ils étaient ados. Un teen drama australien. Soit précisément ce que représente l’album Purple Skies, Toxic River. Et Bobby Kill de conclure : « Moi je suis Drazic !« . Soit le bad boy de la bande, tous muscles dehors : l’opposé même de Robin, ce post-ado réfléchi et exigeant avec lui-même. Un vrai artiste australien, que l’Australie ferait mieux de garder en son sein, et avec lui les potes de Dream Damage.
http://tvcolours.bandcamp.com/
En concert à Paris le 29 octobre au Salon 2 (m° Oberkampf)
9 commentaires
Citer 4 groupes rock Australiens sans citer AC/DC, ça c’est Gonzaï!
Haha exactement c’que j’allais dire Fred…
Et les Saints !
Fred Whitaskar : tu pourrais lire l’article avant de commenter, non ?
Fred Withastar : critiquer un article sans le lire, ça c’est pas Gonzaï !
C’était pas du tout une critique, mais le 1er groupe rock australien qui me serait venu à l’esprit aurait été AC/DC, Gonzaï va au delà comme à son habitude.
On cite quand même AC/DC, mais au milieu de The Easybeats, The Bee Gees, The Church, Radio Birdman, Nick Cave, Rowland S. Howard, The Birthday Party, Crime & the City Solution, SPK, The Go-Betweens, The Scientists, Dead Can Dance, The Saints, New Christs, Hard-Ons, INXS, Midnight Oil, Silverchair, The Vines.
Kylie Minogue ?
Non, Dannii Minogue