La légende raconte que le mythique label Shandar, fondé au début des années 70 et à l’origine des premiers albums de Philip Glass, Dashiell Hedayat, Sun Ra ou encore Terry Riley, mit la clef sous la porte après l’inondation d’une cave où était entreposée le stock des disques reliques. Si l’info est en partie fausse (voir pour cela notre papier sur cet Ovni discal), elle aura indirectement donné naissance à la maison Transversales. Quarante ans après la mort de Shandar, Jonathan Fitoussi et Sébastien Rosat prolongent à leur façon l’amour de la musique instrumentale grâce à des rééditions prodigieuses qui, une fois encore, rendent hommage à la parenthèse harmonique que furent les années 70.

Sans fanfares ni trompettes, sans trop le crier sur tous les toits, les deux peuvent se regarder dans le blanc des yeux sans trop rougir. En moins de cinq ans, les musiciens Jonathan Fitoussi et Sébastien Rosat ont fondé un catalogue composé de pierre dorées : ici des lives réédités de Glass ou Pharoah Sanders, là des bandes originales de François de Roubaix ou Philippe Sarde, sans même parler de ces disques originaux pas publiés au moment où ils furent écrits, comme le magnifique « Nuits Blanches au Studio 116 » d’Ariel Kalma, et dont la beauté a ceci d’original qu’elle donne l’impression d’embarquer sur l’autoroute du sublime sans même avoir à prendre un ticket au péage. Le récit quasi historique d’une autre époque, d’une insouciance instrumentale ou comme Christophe aimait à le chanter, du retour aux paradis perdus. 

Cinq ans après ses débuts, le label Transversales peut faire un premier bilan : 25 sorties, et un quasi sans faute avec dans le line-up une sorte de grand écart esthétique entre Bernard Parmegiani et Ennio Morricone, Archie Shepp et Bruno Nicolai. Autant de noms inconnus des auditeurs de Virgin Radio, mais qui ne doivent pas effrayer le novice; ils tiennent là un billet pas cher vers la béatitude.

Pour les deux fondateurs Fitoussi et Rosat, on ne pourra clairement pas évoquer la chance du débutant, d’autant plus que leur rencontre est loin d’être dû au hasard. Avant de devenir les patrons d’un label qui ne génère pas des millions d’euros mais fait des milliers d’heureux (plusieurs tirages sont sold-out), les deux ont fait leurs armes chez Pan European, le premier au sein du groupe psyché One Switch To Collision; le second chez l’éphémère projet corpo-punk Service. Mais ceux qui savent lire une partition le savent : le rock n’a qu’un temps (ou quatre, pour être précis). A l’horizon, peut-être, une musique plus noble, moins sujette à la péremption; ce qu’on appelle pompeusement la musique d’avant-garde, et chérie par les deux sur ce qui s’inscrit dans la droite lignée des disques Actuel ou Shandar, à qui d’ailleurs les deux quadras font un clin d’oeil direct : Transversales, c’est d’abord le nom de l’émission de France Musique produite par un certain Daniel Caux dans les années 90 et qui avant ça était aussi le directeur artistique de la maison fondée en 1970 par Chantal d’Arcy. Fin de la parenthèse, retour au présent.

« C’est notre première interview filmée » confient les deux discrets assis sur un tas de notes inexploitées. Pas de bol pour eux : cette même interview se fera avec deux micros HF en grève – d’où la médiocrité du son sur la vidéo à regarder ci-dessus –  mais pas de quoi nous éloigner de cette histoire atypique qui, on l’espère, fera date quand il sera question du droit d’inventaire discographique des années 2020. Et comme les hasards n’existent pas dans l’improvisation, cette même interview a été réalisée au QG de Transversales, chez un caviste intelligemment nommée Rock Bottles, autant en hommage à Robert Wyatt qu’à celles et ceux qui ont de la bouteille (et où l’on retrouve d’ailleurs au comptoir Oliver, chanteur d’un autre ancien groupe de chez Pan European, Kill For Total Peace). Les disques de ce label là sont évidemment des grands crus qui ne montent pas à la tête, et l’on aimerait presque que la confection de cet artisanat musical soit enseigné dans les manuels scolaires, pour les générations futures.

Le futur, il en est également question dans cette vidéo puisque Jonathan Fitoussi, après un excellent album avec JB Dunckel de Air (« Mirages », 2019), vient d’écrire un troisième album hautement recommandé avec Clemens Hourrière (ex Turzi, encore la galaxie Pan European !). Ca s’appelle « Möbius ». Et plutôt que de se lancer dans une chronique pantagruélique de cette musique dénuée de mots, on qualifiera l’objet de mode d’emploi pour la relaxation en zone trouble. Une espèce de grande parenthèse immersive, à l’abri d’un boucan contre lequel ces puristes luttent à leur façon et avec les moyens à disposition : dix doigts.

https://transversales.bandcamp.com/

Et pour revoir notre interview de la grande Jacqueline Caux, ex compagne de Daniel, c’est juste en dessous.

3 commentaires

Répondre à enrikque de l'agno Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages