The Hard Quartet, composé de Stephen Malkmus (Pavement), de Matt Sweeney (Chavez), d’Emmett Kelly (The Cairo Gang) et de Jim White (The Dirty Three), sort un premier double-album éponyme un peu brouillon, mais qui brille grâce à quelques morceaux inspirés.
Début août, alors la moitié de la planète en vacances est en train de se faire arnaquer dans les millions d’attrape-touristes qui existent sur cette terre, une nouvelle est arrivée : un nouveau super-groupe s’est formé, et un premier single Earth Hater est disponible. Le nom de ce nouveau gang de malfrats ? The Hard Quartet. Okay, il y a qui dedans ? Stephen Malkmus — que l’on ne présente plus hein —, Matt Sweeney — Chavez, Superwolf et collaborateur d’Iggy Pop ou encore d’Adele —, Emmett Kelly — The Cairo Gang, The C.I.A avec Ty Segall — et Jim White — The Dirty Three, proche de Nick Cave ou encore Bill Callahan. Les mecs ont donc des bons CV, cela va sans dire. Ils se connaissent (presque) tous depuis les années 90 : Matt et Stephen se sont rencontrés en 1993 ; Stephen et Jim ont tourné ensemble en 1994 ; Jim et Emmet sont dans un groupe (The Double) et Emmet et Stephen se sont liés d’amitié autour… d’une ceinture du groupe Magma.
Celui qui a le plus de bouteille est Jim, le batteur australien âgé de 62 ans. Et c’est avec lui qu’on a rendez-vous. Il est à Manchester, nous à Paris. Mais la connexion est bonne, alors mister White raconte comment tout est né pour The Hard Quartet : « On se connaît depuis longtemps, mais pour faire court, c’est Matt qui est venu voir Stephen pour lui faire cette proposition. Et une fois qu’ils étaient d’accord, ils nous ont demandés à Emmet et moi en nous disant simplement : ‘‘vous voulez qu’on monte un groupe ensemble ?’’ » On est alors en 2020, au moment où Malkmus enregistre un album solo, « Traditional Techniques », avec notamment Matt Sweeney à ses côtés.
« C‘est un album de rock, dans le sens où ce que tu entends sur l’album est fidèle à nos sessions en studio »
Les quatre garçons bookent eux-mêmes et à leurs frais une première session en studio de cinq jours, à New York. Après 24 heures, ils commencent déjà à enregistrer les premières chansons. « On a branché les machines », répète plusieurs fois Jim. Le bâtiment où le nouveau groupe a posé ses instruments ferme, alors ils décident de se revoir dans quelques semaines, mais à Los Angeles, au studio Shangri-La de Rick Rubin situé à Malibu — petite précision : le barbu derrière les disques des Strokes, des Beastie Boys et d’Eminem n’est pas présent en studio avec eux.
Bref, confinés en studio, The Hard Quartet est prolifique. « Tout le monde a gardé en tête l’idée de travailler sur le moment. Stephen est doué pour varier et adapter sa manière de chanter — même sur un même morceau — ou pour improviser des paroles. On a tous une « créativité rapide » et un caractère espiègle, et ça nous a aidé à faire ce disque d’une manière décontractée », raconte Jim. Il l’assure : « c’est un album de rock, dans le sens où ce que tu entends sur l’album est fidèle à nos sessions en studio. Il y a très peu d’overdubs ou de synthétiseurs en plus, c’est un album de live. »
« The Hard Quartet » est double-album composé de 15 morceaux. C’est long, peut-être un peu trop. « On avait beaucoup de chansons à la fin des sessions et on s’est posé la question de savoir ce qu’on allait en faire. On a eu l’opportunité d’en mettre certaines de côté, mais on a finalement décidé de faire un double-album. Je pense que c’était une bonne chose de quasiment tout sortir. Mais bon, je ne sais pas si c’est la meilleure idée, je ne sais pas vraiment comment les gens consomment la musique de nos jours… »
Statistiquement et stratégiquement, ce n’est pas forcément la meilleure opération puisque les nouveaux usages de consommation de la musique montrent que les pourcentages d’auditeurs qui écoutent des albums en entier sont de plus en plus faibles. Selon un sondage britannique mené par Deezer, 15% des moins de 25 ans disent même n’avoir jamais écouté un seul album en entier. Alors un double-album, autant se tirer une balle dans le pied avec un fusil semi-automatique — même si l’auditeur lambda du groupe sera plus proche de la retraite que du début de sa carrière professionnelle, on vous l’accorde.
Mais Jim, Stephen, Matt et Emmet y croient. Ils peuvent aussi se reposer sur certaines bases : ils ont de l’expérience, ils ne sont pas des inconnus et ils maîtrisent quand même deux trois trucs quand il s’agit de rock’n’ roll. Jim White : « Quand tu décides de créer un nouveau groupe, il n’y a aucune garantie que ça peut marcher. Et si ça n’avait pas fonctionné, on n’aurait rien dit à personne. Le fait qu’on ait enregistré ce premier album, c’est une garantie de qualité. » Ça, c’est l’expérience qui parle, mes enfants.
Avec le tampon Jim White sur l’album, gage donc de qualité, on a écouté l’album. Et l’Australien n’a pas menti : il s’agit d’un album rock, du moins dans ses influences et ses ramifications puisque The Hard Quartet explore plusieurs genres allant du psyché à la folk en passant par le proto-punk. Par exemple Rio’s Song possède une vibe à la Big Star, Our Hometown Boy a des airs du My Sweet Lord de George Harrison et Action For Military Boys fait penser à certains moments au Velvet Underground. Mais à aucun moment le groupe se prend les pieds dans le tapis en forçant trop d’un côté ou de l’autre. Les inspirations sont présentes, mais pas omniprésentes. Elles sont distillées ici et là, avec sobriété.
Force est de constater que les meilleurs moments de l’album sont ceux où Stephen Malkmus prend le micro — Emmet, Matt et Stephen se partagent le chant sur ce disque. Et même si les spectres de Pavement et des Jicks sont fatalement présents (écoutez Renegade, Heel Highway, Gripping the Riptide, etc.), certains titres sortent du lot et offrent une réelle vision de groupe. Il y a Earth Hater, Hey ou Six Deaf Rats qui, avec Rio’s Song, font partie des vraies réussites de l’album. Des moments où une émulsion sonique se créée, comme si la simple présence de ces quatre mecs ensemble en train de jammer suffisait à mettre automatiquement en route une machine à riffs.
En sortant un double-album, une autre évidence saute rapidement aux yeux : tout n’est pas réussi sur ce disque. Killed by Death sonne plat, It Suits You est plombant et Jacked Existence ainsi que North of the Border, en voulant recréer l’atmosphère du « Tonight the Night » de Neil Young, peinent à convaincre. En résumé, il y a du très bon, du bon et du moyen sur ce premier album, la faute peut-être à un excès de zèle sur la tracklist, et à quelques morceaux plus brouillons dans leurs structures. Comme disait André Gide, « choisir, c’est renoncer ». Visiblement, The Hard Quartet n’a pas eu envie d’abandonner.
The Hard Quartet // « The Hard Quartet » // Sortie le 4 octobre sur Matador.