Absente des radars depuis dix ans, la vénérée formation franco-anglaise donne aujourd’hui le top départ d’une campagne de rééditions de ses meilleurs albums qui seront publiés à intervalles réguliers tout au long de 2019. Ce n’est pas tout : Stereolab se reforme et va tourner au Royaume-Uni, en Amérique du Nord et un peu en Europe (trois dates sont pour l’heure annoncées en France : Bordeaux et Paris début juin, puis St-Malo en août pour La Route du Rock)… Champagne ! Et Discorama de rigueur, pour fêter le retour de l’un des étendards « indie » les plus excitants des années 90.

A l’écoute de « Transient Random-Noise… » et « Mars Audiac Quintet », sortis vendredi dernier dans leur nouvelle version remastérisée, on peut déjà le dire clairement : Tim Gane ne s’est pas lancé dans la réédition des meilleurs albums de Stereolab simplement pour faire joli – ou pour le dire autrement, assurer ses arrières puisqu’il vient de relancer son groupe.

Résultat de recherche d'images pour "« Transient Random-Noise… » et « Mars Audiac Quintet »"Ces deux albums (respectivement les deuxième et troisième) sonnent ici formidablement, se révèlent dans toute leur puissance, et laissent augurer du meilleur pour les suivants qui bénéficieront du même traitement : ceux dits de la « période Elektra » (1993 – 2004), puisque Stereolab était au faîte de sa créativité lorsqu’il était sous contrat avec la major américaine. Oui, vingt-cinq après leur sortie, ces deux albums n’ont pas pris une ride et brillent comme un sou neuf… Comment aurait-il pu en être autrement ? Tel un artisan, Tim Gane a toujours pris un soin maniaque à peaufiner ses disques : leur son, leur esthétique, leur parti-pris farouchement enraciné dans l’underground. En cette année 2019, entre mai, août et novembre, on aura donc droit à de nouvelles éditions « augmentées » au format vinyle et CD (certaines en édition limitée sont déjà sold-out) dont il a supervisé lui-même le mastering… C’est bien sûr le principal attrait de l’entreprise : faire sonner comme jamais ces disques fantastiques (ne pas s’attendre à grand-chose du côté des bonus, en l’occurrence quelques démos ou versions alternatives, tout ou presque ayant déjà été sorti par le passé)… Bien. Mais tout cela est factuel.

Pourquoi s’intéresser à Stereolab en 2019 ?

Une première réponse s’impose : parce qu’on ne s’y est pas assez intéressé à l’époque. Sinon, le groupe aurait vendu plus de disques, et aurait pu connaître un tout autre destin : celui de la reconnaissance publique à plus grande échelle… Alors oui, Stereolab était « underground » de part en part, et ceci explique cela. Seulement, non, Stereolab ne faisait pas de la musique à destination des seuls initiés : il était foutrement accessible. Bien plus qu’on ne le pense en tous cas, par-delà ses multiples influences intello ou arty… D’ailleurs, les textes de Laetitia Sadier (diversement appréciés selon la sensibilité de chacun) ne disent que cela : voici un groupe qui s’adresse à tous pour tâcher de faire changer les choses avec poésie, il est progressiste par tous les pores. Ensuite, Stereolab est un marqueur des nineties en ce sens où cette décennie a été particulièrement propice au crossover : dans la pop, le rock ou les musiques électroniques, mille choses ont été entreprises. Musicalement, après la grande débâcle des années 80 (la fin d’une époque en somme), on entrait dans une forme de post-modernité : tout avait déjà été fait ? OK : ne restait plus alors qu’à trouver des chemins de traverse entre les genres, créer des passerelles, oser des croisements parfois contre-nature… Stereolab a fait ça avec une élégance inouïe, même s’il n’est pas le seul à avoir participé du grand décloisonnement. Enfin, et on le mesure naturellement aujourd’hui, Stereolab est devenu… définitivement culte. Il l’était déjà un peu à l’époque, mais c’était trop tôt pour le dire : le temps est passé, les tendances aussi, mille autre groupes sont apparus… et le voici qui réapparait comme un phénix, une génération plus tard. C’est toujours la même histoire… Nous avons désormais fait le tour (que ce fût long !) des années 80, jusqu’à racler les fonds de tiroirs des groupes les plus obscurs ou les plus minables. Jusque-là, était généralement considéré comme « culte » ce qui appartenait aux années 60, 70, 80. Stereolab ? En route pour les années 90.

« Peng ! » (1992)

1990 : Stereolab se forme autour de Tim Gane (guitares, claviers) et Laetitia Sadier (claviers, guitare, chant). Les deux se sont rencontrés quelques mois plus tôt à Paris, lors d’un concert du musicien anglais avec son groupe d’alors – McCarthy. La Française, sous le charme et c’était réciproque tant ces deux-là avaient des choses à se dire, l’a ensuite suivi à Londres, puis a fait ses gammes sur le troisième album de McCarthy. Le dernier : il fallait désormais penser à eux, et créer un projet qui validerait leur union sur un plan artistique… Ils commencent alors par sortir deux EPs en totale autoproduction (voir case suivante), au format vinyle et en édition limitée vendue par correspondance – Tim Gane envisageant le « Do It Yourself » comme une profession de foi (qu’il entretiendra tout du long de sa carrière, en marge des contrats signés avec diverses maisons de disques pour donner une visibilité plus importante à sa créature). Le premier label à céder aux charmes de Stereolab est l’indépendant Too Pure, qui vient tout juste de signer PJ Harvey. L’Angleterre ne jure alors que par la scène « indie », quel que soit le bout par lequel on la prenne : pop ligne claire, shoegazing, baggy sound… et c’est un peu de tout cela que l’on entend sur ce premier album. Le groupe se cherche encore, il se fond dans ce qui occupe l’attention du moment, et tout ce qui va faire de lui une anomalie dans le paysage musical pop est ici en germes : un penchant avéré pour le drone, les synthétiseurs vintage, les variations rythmiques… sans oublier la voix diaphane de Laetitia Sadier, altière, comme détachée de son environnement sonore – un contrepoint parfait. Tout est là ou presque, oui, mais tout est encore mal dégrossi (ce sont de fait les titres les plus doux qui se distinguent : Super Falling Star en ouverture, K-stars ou cet Enivrez-vous adapté d’un poème de Baudelaire…). « Peng ! » n’est pour autant pas un disque banal : c’est juste que, a posteriori et au regard de ce qui va suivre, il est encore un peu « jeune »… Qu’il ne soit pas réédité aujourd’hui (vraisemblablement pour des questions de droits) n’est donc pas catastrophique.

« Switched On Stereolab » (1992)

Dès ses débuts, Stereolab est un groupe ultra productif – et ce sera le cas sur ses dix premières années d’activité : un album ou une compilation d’inédits par an en moyenne, ça enchaîne… Ce premier volume de la série de compilations « Switched On », initiée quelques mois seulement après la sortie de « Peng ! », réunit les tout premiers faits d’armes de la formation franco-anglaise : deux EPs et un single. Soit dix chansons au total et donc trois fois rien, d’autant que ces morceaux pâtissent forcément des conditions rudimentaires dans lesquelles ils ont été enregistrés… Au-delà de leur dimension historique, ces débuts un peu noyés dans le son de leur époque ne sont donc pas inoubliables, mais l’essentiel n’est pas là puisque la série « Switched On » accouchera plus tard de deux autres volumes nettement plus intéressants : « Refried Ectoplasm » (1995) et le double « Aluminium Tunes » (1998). Ceux-ci, compilant peu ou prou tout ce que Stereolab ne publie pas sur ses albums (b-sides, raretés, split-singles…), correspondent en effet à ses « grandes années » et témoignent de sa fulgurante avancée stylistique : un premier virage très marqué par le rock « motorik » allemand, puis un deuxième qui s’oriente vers des expérimentations beaucoup plus variées, oreilles ouvertes aux quatre vents (soit un certain âge d’or).

On trouve par exemple sur « Refried Ectoplasm » les treize minutes ultra-kraut de Animal or Vegetable (co-réalisé avec Nurse With Wound), ou sur « Aluminium Tunes » un medley reprenant One Note Samba et Surfboard (merveilles signées Antonio Carlos Jobim, preuve s’il en est du bon goût de ces gens-là). Ces deux dernières compilations sont donc absolument indispensables… et par bonheur, Stereolab a récemment réédité l’intégralité des trois volumes de cette série (remastérisée) en un seul petit coffret. Sorti via leur propre structure (Duophonic « Ultra High Frequency Disks »), celui-ci est de surcroît très abordable : allez-y les yeux fermés.

« Transient Random-Noise Bursts With Announcements » (1993)

Ici commence donc la campagne de réédition 2019 : pile au moment où Stereolab signe à l’international avec la major américaine Elektra (en Angleterre, Stereolab continuera de sortir ses albums sur son label Duophonic). Celle-ci, alertée quelques mois plus tôt par un mini-album au titre évocateur (« The Groop Played Space Age Batchelor Pad Music ») qui voyait pour la première fois les Anglais s’intéresser à la « Library Music » des 60’s, flashe sur leurs sonorités rétro-futuristes. Elle s’engage donc sur ce deuxième long-format, qui marque non seulement le vrai départ du groupe (enfin stabilisé avec l’arrivée de Mary Hansen aux chœurs et d’Andy Ramsay à la batterie), mais aussi l’éclosion d’un parti-pris artistique très affirmé, à l’image des titres qui seront désormais donnés aux albums (un truc d’esthètes, du genre à vous donner envie d’acheter le disque sans même l’avoir écouté). Que donne ce disque ? Est-ce de la « cocktail music » au goût du jour indie ? Que nenni, et l’on imagine la gueule des mecs d’Elektra lorsqu’ils ont découvert ça : un bloc de bruit très homogène, que seules les mélodies sortant de la paire vocale Sadier/Hansen viennent tempérer. Un manifeste esthétique, en tous points conforme à son titre, comme une rencontre entre le son abrasif du Velvet de « White Light / White Heat » et l’imaginaire sensible et désuet de Françoise Hardy à la même époque (1968)…

Résultat de recherche d'images pour "1993 stereolab"Le son est sale, assez proche de ce que le groupe donne alors à entendre en concert (où il met l’accent sur les guitares). Evidemment, ce sont les influences « motorik » du groupe qui éclatent ici dans toute leur raideur, mais comment oublier que la paternité de cette mécanique binaire, généralement attribuée à des mecs comme Jaki Liebezeit (Can) ou Klaus Dinger (Neu!), revient en fait à Moe Tucker ? On sait que ces deux batteurs, pourtant peu diserts lorsqu’il s’agissait de pointer leurs influences, étaient dingues du Velvet et de sa pulsation métronomique. Sans même parler des orgues, dont l’utilisation rappelle ici le séminal What Goes On des New-Yorkais… Tout cela ne sort pas de nulle part. Quitte à faire un parallèle, Jenny Ondioline (18 minutes au compteur) serait leur Sister Ray à eux, et bizarrement, c’est ce morceau qui, « édité » dans une version de quatre minutes (…), sera choisi comme premier single pour ouvrir les portes des charts anglais à Stereolab… Plutôt radical, non ?

« Mars Audiac Quintet » (1994)

Désormais fort d’une réputation grandissante dans le circuit underground, Stereolab reconduit pour son troisième album le même line-up que sur le précédent : un quintette enrichi par la présence de Sean O’Hagan (qui a temporairement délaissé son jeune projet, The High Llamas). Si sa présence ne se faisait guère entendre sur « Transient Random-Noise… », elle va laisser ici une empreinte plus profonde quant à la palette d’instruments utilisée (du marimba, quelques arrangements de cuivre, une attirance partagée pour les claviers Vox et Farfisa). Mais si Tim Gane et Laetitia Sadier sauront toujours s’enrichir du talent des contributeurs qu’ils croiseront, ils restent seuls maîtres à bord en termes de composition. « Mars Audiac Quintet » va donc être envisagé comme un album plus pop, il va arrondir les angles, et c’est la première chose qui saute à l’oreille quand on le réécoute : le son est compact, soigné, produit avec une équipe de techniciens qui s’est étoffée. Les trois premiers titres donnent le ton : un rock toujours aussi « motorik » mais joué sur un tempo plus lent, à vitesse de croisière, et illuminé par les mélopées en chassé-croisé, uniques en leur genre, de Laetitia Sadier et Mary Hansen…

 

Il est « Autobahn » à mort.

C’est ici que Stereolab se « trouve » enfin : en parvenant à l’équilibre parfait entre ses influences underground et un sens de l’accroche immédiate. C’est bête à dire, mais « Mars Audiac Quintet » est typiquement le genre de disque fait pour être écouté en roulant sur des autoroutes sans fin, de préférence la nuit… Il est « Autobahn » à mort. Allemand jusqu’au bout des ongles, mais avec une pointe d’excentricité anglaise (ou serait-ce un charme so frenchy ?) qui fait toute la différence, et le fait remonter à la surface dans la lumière des néons qui défilent. A intervalles constants, le tempo monte d’un cran lorsqu’il s’agit d’attaquer une côte (Nihilist Assault Group, Outer Accelerator), puis se stabilise à nouveau. Besoin d’une petite pause sur une aire ? Tout aussi régulièrement, de délicates plages nimbées de Moog donnent une respiration bienvenue (Des Etoiles Electroniques, The Stars Our Destination, New Orthophony), quitte à vous plonger dans un état second. Et l’on ne s’arrête jamais de rouler… « Mars Audiac Quintet » contient suffisamment de grandes chansons pour enterrer l’intégrale de chacun de ses concurrents – qui de toute façon n’existent pas. C’est le premier classique de Stereolab. Et, accessoirement, le premier d’une longue série…

« Emperor Tomato Ketchup » (1996)

Les succès (très relatifs à grande échelle mais significatifs en termes de ventes pour un groupe indie) de « Mars Audiac Quintet » et de la compilation « Refried Ectoplasm » (sortie l’année suivante) ont donné à Stereolab une certaine assurance : le voici prêt à opérer sa nouvelle mue. Si le milieu des années 90 est marqué en Angleterre par l’apogée de la britpop (courant rétrograde par nature), c’est en revanche une période extrêmement féconde outre-Atlantique au sein de la scène « alternative ». Cette année-là, en 1996, Beck sort « Odelay », The Olivia Tremor Control émerge avec le fantastique « Dusk At Cubist Castle », Tortoise enterre ses homologues avec « Millions Now Living Will Never Die »… Des disques bourrés d’inventivité, qui suffisent a posteriori à synthétiser le contenu du quatrième album de Stereolab : du groove élastique et des collages (Beck), des miniatures pop surréalistes à souhait (The Olivia Tremor Control), du krautrock revisité à l’heure du digital (Tortoise)… le tout concentré en à peine moins d’une heure. Tortoise, justement : Tim Gane a bien compris qu’il partageait plus d’une chose avec les hérauts du « post-rock », et a donc proposé à John McEntire de venir jouer sur son disque… et de le co-produire.

Résultat de recherche d'images pour " Emperor Tomato Ketchup stereolab"Après Sean O’Hagan (parti officiellement du groupe mais jamais très loin lorsqu’il s’agit de diriger une section de cuivres ou jouer un peu de vibraphone), McEntire apporte sa propre panoplie (beaucoup d’électronique et de percussions) et emmène le groupe terminer le travail dans un studio de Chicago. Cette alliance de rêve va accoucher d’un disque très ancré dans l’air du temps, mais sans rien renier de l’ADN du groupe anglais : son « post-kraut » respire plus que jamais, à l’image des huit minutes introductives de Metronomic Underground, chaloupé en diable… et aussitôt suivi par cette merveille pop qu’est Cybele’s Reverie (premier single), assurément l’une de ses plus belles chansons. Dès lors, c’est la cour des miracles à chaque morceau : Percolator a un parfum 60’s de musique de film à espions, Spark Plug s’invite en pattes d’éléphant sur la piste, Olv 26 pulse au rythme d’un voyage dans le cosmos, The Noise Of Carpet évoque des Breeders en plein coït, etc, etc… Partout ailleurs, les rythmiques « motorik » se taillent la part du lion, mais avec toujours plus de variations et de trouvailles sonores… « Emperor Tomato Ketchup » sera très bien reçu par la critique et le public, y compris aux USA. C’est mérité : il est accessible, référencé, génial.

« Dots And Loops » (1997)

A ce moment précis de son histoire, Stereolab est à un tournant : il est désormais considéré comme un « groupe à suivre », ses ventes vont crescendo et, surtout, il vient de mettre les pieds dans le monde des « musiciens de studio » – à l’image de John McEntire, qui va une nouvelle fois co-produire ce disque. Après tout, c’est assez logique : Tim Gane a toujours été fasciné par les techniques d’enregistrement novatrices des années 60 et 70, quant tout était alors en friche… Alors pourquoi ne pas suivre ce chemin en bénéficiant de la technologie ? Avec le recul, « Emperor Tomato Ketchup » a agi comme un disque de transition vers une nouvelle orientation : moins portée sur les guitares et davantage sur l’électronique, délaissant l’énergie des débuts pour aller vers plus de musicalité… Dès lors, plus rien ne sera comme avant. Pour certains, ce tournant est préjudiciable au groupe, pour d’autres, c’est une réussite car celui-ci prend la décision franche de ne pas se répéter. Stereolab va donc faire les choses en grand : il va non seulement enregistrer les deux tiers de cet album à Chicago, mais aussi finaliser le reste à… Düsseldorf, en compagnie des producteurs allemands de Mouse On Mars.

Résultat de recherche d'images pour "Dots And Loops stereolab"Tout fait sens : ces derniers sont affiliés à la scène post-rock via son versant électronique, et l’on baigne plus que jamais en plein territoire kraut… Pourtant, « Dots And Loops » est au final un disque léger comme une brise, presque « exotique ». A l’inverse de son prédécesseur, il est homogène, jusque dans la prise de son, fignolée à l’extrême… Lisse ? Non : raffiné. On y perçoit l’amour de Stereolab pour la musique d’illustration sonore concoctée dans les 60’s, les premières expériences avec la « hi-fi », les grands compositeurs de musiques de film… Une certaine esthétique rétro, mais revisitée à l’aune du numérique. Le premier single, Miss Modular, chanté une fois encore en français, irradie de cet hédonisme en Technicolor cher à l’écurie Tricatel… Ailleurs, la patte de Sean O’Hagan (qui signe encore une fois de délicats arrangements) installe quelques ballades sous les tropiques exactement. Et puis il y a les 18 minutes de Refractions in the Plastic Pulse, symphonie rétro-futuriste en plusieurs temps et son fameux mantra : « Ce qui est n’est pas clos / Du point de vue le plus essentiel / Ce qui EST est ouvert, est à être. » Pour rappel, on est chez des Situs, là… « Dots And Loops » ? C’est fantasmer Les Demoiselles quittant Rochefort en plein trip d’acide.

« Cobra And Phases Group Play Voltage In The Milky Night » (1999)

Je ne sais pas vous, mais moi j’ai une envie folle d’écouter cet album. Il me rappelle ce pote de lycée qui est un jour venu à ma rencontre, alors que j’étais seul dans mon coin avec mon casque sur les oreilles, pour me poser avec un large sourire plein de dents LA question : « T’écoutes quoi ? ». Je ne sais plus trop ce que j’ai répondu, mais je me souviens très bien lui avoir demandé la même chose une multitude de fois par la suite… Ce mec, et toutes ses réponses de dingue, ont changé ma vie. Si l’action s’était déroulée en 1999, je lui aurais sans doute balancé avec la même malice : « Moi, j’écoute Cobra And Phases Group Play Voltage In The Milky Night. » Pan ! Comment ça sonne, comment ça résonne… Voilà. Il n’y a ici, à la limite, plus rien à écrire. Si tu aimes la musique, fais-le entendre. Ceci a toujours été le mot d’ordre de Stereolab, qui par sa musique (formidablement référencée mais toujours en prise avec son époque), son esthétique (des pochettes jusqu’aux titres de chansons) et son féroce attachement à l’underground (ici on joue collectif) a toujours donné envie, joué le rôle de passeur vers des choses qui ne sont pas forcément à la portée du premier venu… Or c’est précisément alors qu’il continuait à avancer sans se retourner que les premières critiques lui sont tombées dessus : à la sortie de ce sixième album, certains lui reprochèrent, pour faire court, de persister à s’aventurer dans des territoires de plus en plus abscons aux yeux du plus grand nombre (quelques polyrythmies venues du jazz, la musique répétitive de Steve Reich par endroits, John McEntire qui récidive en amenant avec lui Jim O’Rourke de Gastr Del Sol… Diable ! Mais dans quelle bulle vivent ces gens-là !).


Si l’on ne saura jamais quel a été exactement l’impact de la critique à cet endroit, toujours est-il que c’est à ce moment-là que les ventes commencent à décliner. Pourtant, « Cobra And Phases Group… » ne fait qu’entériner le virage pris avec « Dots And Loops » (qui s’était bien vendu) : c’est un disque aux tonalités rétro mais extrêmement moderne, fort de chansons aussi hallucinantes que superbement écrites (Italian Shoes Continuum, The Spiracles, Caleidoscopic Gaze, l’imparable single The Free Design), serti de quelques accents morriconniens… bref : un autre sommet – certes un peu plus dense et exigeant. Vous n’aimez pas le vibraphone, Burt Bacharach, les guitares qui font « wah-wah », les effets sonores qui moussent et font des bulles ? Désolé, à ce stade, on ne peut plus rien pour vous.

« Sound-Dust » (2001)

Formulons une autre hypothèse : la lassitude. Cette chose qui est naturellement propre à un auditoire, dès lors qu’il pense avoir fait le tour de son joujou alors que tout avance autour de lui, ailleurs, sous d’autres formes. Au moment où Stereolab passe le cap de l’an 2000, il a déjà derrière lui dix ans de services : c’est une antiquité. Du côté de la pop avec un grand P, Radiohead vient de se réinventer là où personne ne l’attendait (« Kid A »), Grandaddy se révèle très tôt avec un chef-d’œuvre (« The Sophtware Slump »), un vent frais venu de la Gaule commence à souffler fort sur la planète… Dans ce contexte, le groupe franco-anglais devient secondaire : next ! Après tout, pourquoi pas ? Qui se souvient aujourd’hui de « Sound-Dust » ? Pas grand-monde. Et pourtant… Bien décidé à aller de l’avant, Tim Gane poursuit contre toute attente sa collaboration avec John McEntire et Jim O’Rourke. Toutefois, il a pris acte des critiques adressées à l’encontre de « Cobra And Phases Group… » et décide de se recentrer sur l’écriture… plutôt que sur ses inclinaisons pour l’avant-garde. Pour le dire autrement : jusque-là et à leur contact, Stereolab s’était aventuré à arpenter les terres à peine défrichées par les deux Américains (dans leurs projets respectifs)… Or cette fois-ci, ce sont ces derniers qui donnent le sentiment de se fondre dans l’esthétique unique du groupe, et leurs talents de musiciens aguerris vont servir ce septième album comme jamais. Tout un arsenal d’instruments est déployé sur « Sound-Dust » : piano, clavecin, orgues Wurlitzer, Rhodes, percussions de tout types, cuivres…

« Sound-Dust » évoque à la fois les Zombies, Serge Gainsbourg, Love, The Kinks, les Tropicalistes brésiliens…

A priori, tout cela pourrait aboutir à un ensemble indigeste. Il n’en est rien. Situé dans un espace-temps qui lorgne toujours du côté de la fin des 60’s sans que l’on puisse deviner cette satanée musique a été enregistrée (Pluton ? Neptune ? Chicago en fait – mais on s’en carre), « Sound-Dust » évoque à la fois les Zombies, Serge Gainsbourg, Love, The Kinks, les Tropicalistes brésiliens… Toute une époque en fait, un savoir-faire d’antan, quand l’écriture passait en priorité avant que les arrangements, ourlés avec une délicatesse inouïe, ne viennent en magnifier la substance. Nombre de chansons fantastiques (Spacemoth, Captain Easychord, The Black Arts, Double Rocker, Suggestion Diabolique) sont ici agencées en deux parties : ça part, ça vole (déjà haut) et soudain, une rupture, un changement d’accords, et c’est téléportation directe vers des cieux plus cléments… A l’époque, donc, ces messieurs-dames faisaient ça depuis dix ans. Et beaucoup sont passés à côté. Mais si vous avez bien compté, on en est à cinq « classiques » d’affilée… Putain, cinq !

« Margerine Eclipse » (2004)

Dernier à être inclus dans cette campagne de rééditions 2019, « Margerine Eclipse » est un album que l’on peut appréhender de deux manières. La première, la plus frontale, est évidemment la plus difficile. Entre la sortie de ce disque et celle de son prédécesseur, deux ans et demi se sont écoulés : une éternité pour Stereolab… Cette éternité, ou plutôt ces instants d’éternité qui en découlent, sont lestés de l’absence d’une seule et même étoile – Mary Hansen, disparue accidentellement fin 2002. Mary Hansen qui avait amplement contribué à la « signature » sonore du groupe, mais au-delà de la dimension artistique, Mary Hansen qui faisait partie du groupe depuis presque toujours. D’une perte au sein d’une famille, que celle-ci soit liée par le sang ou par les actes, que celle-ci soit harmonieuse ou dysfonctionnelle, on ne se remet jamais vraiment. Dans le cas présent, il a donc fallu digérer, puis prendre une décision, se remettre au boulot. Avec une aile en moins. « Margerine Eclipse », qui porte bien son nom et rend hommage, est un très bon disque. Mais clairement, il lui manque un truc et c’est la moindre des choses… La deuxième manière d’appréhender ce disque, c’est de faire fi de tout cela et même du reste : la séparation sur un plan personnel du couple Gane/Sadier (un peu plus tôt en 2002), la mise sur pied au même moment d’un studio d’enregistrement propre au groupe (Instant O) à Bordeaux, les enregistrements à suivre en « Dual Mono » (une coquetterie sans grande incidence)…

Résultat de recherche d'images pour "2004 stereolab"A l’époque de sa sortie en 2004, Tim Gane confiait avoir voulu faire de « Margerine Eclipse » un disque ouvertement pop, plus direct, comme un retour aux premiers pas de Stereolab en même temps qu’il en serait une synthèse. Et c’est effectivement ce que donne à entendre ce huitième album, qui navigue en terrains connus sur des formats plus courts que d’ordinaire – il est sans doute leur plus accessible. Quelques guitares franches du collier repointent le bout de leur nez (Margerine Rock, Bop Scotch), certaines chansons sortent du lot (Cosmic Country Noir, Margerine Melodie, les deux minutes finales de Dear Marge) et donc oui, le fantôme de Mary Hansen plane toujours… Plus qu’un hommage, « Margerine Eclipse » est une porte d’entrée idéale dans le monde merveilleux de Stereolab. A partir de là, celui-ci devra se satisfaire de remonter le temps, faire durer encore un peu… mais ailleurs : faute de chiffres à la hauteur, la maison Elektra remercie le groupe, puis mets la clef sous la porte.

« Oscillons From The Anti-Sun » (2005)
« Fab Four Suture » (2006)

Désormais amputé de la puissance de frappe d’une major, Stereolab renoue, pour ce qui est de la distribution de ses disques à l’international, avec le label qui l’avait signé à ses débuts : Too Pure. Ce sera temporaire : d’autres labels indépendants (4AD, Drag City, Warp) prendront le relais après la sortie des deux compilations dont il est ici question… Ceci pour dire une chose : quels que furent les deals signés pour se voir distribuer décemment, Stereolab aura toujours gardé un contrôle artistique total sur sa production – se protégeant intelligemment via sa propre structure, Duophonic. En témoigne le coffret « Oscillons From The Anti-Sun », publié hors de ses terres par Too Pure… alors qu’il rassemble l’essentiel de huit EPs (et quelques inédits) sortis originellement sur Elektra.

Ainsi qu’on l’annonçait en préambule de ce papier, les « années Elektra » correspondent à l’âge d’or du groupe : ces huit EPs – de « Jenny Ondioline » (1993) à « Captain Easychord » (2001) – regorgent donc de pépites dont la qualité s’avère bien supérieure à ce qui sera enregistré par la suite… Ce coffret rassemble sur trois CD (et un DVD assez chiche de clips ou passages télé) une large partie de ce matériau : sans en faire le détail, forcément fastidieux, rien ici ou presque n’est à jeter (on parle quand même de faces B…) et forme même un tout très cohérent (malgré un tracklisting agencé de manière non chronologique, ce qui montre bien la singularité du groupe au-delà de ses diverses périodes). En clair : « Oscillons From The Anti-Sun » est un objet indispensable, d’autant qu’il ne fait presque pas doublon avec celui consacré à la série « Switched On » (évoqué plus haut). Un must… Alors forcément, la compilation qui suit un an plus tard – « Fab Four Suture » – ne pèse pas bien lourd à côté : elle réunit six singles (soit douze chansons) sortis originellement en édition limitée entre 2005 et 2006… période qui voyait donc le groupe commencer à faire du surplace. Néanmoins et à la réécoute, elle reste étonnamment attachante avec ses accents très swinging sixties : ça groove, ça plane, c’est wizz… avec Lava Lamp et mini-jupes à tous les étages.

« Chemical Chords » (2008)
« Not Music » (2010)

Vous êtes encore là ? Sérieusement ? Bravo, je vous tire mon chapeau. Il est sans fin ce papier. Même pour moi, ça commence à devenir long. C’est qu’on arrive au bout d’une discographie, là, et par définition… Alors allons droit au but. Stereolab sort son dernier « véritable » album (enfin conçu en tant que tel) en 2008 : il l’enregistre entre son studio bordelais et Londres, sans contributeur notoire (si ce n’est le fidèle Sean O’Hagan) ni instrumentarium délirant (mais avec une bonne dose de cuivres et cordes additionnels). « Chemical Chords » est au final plutôt bon, de facture égale à « Margerine Eclipse » mais en nettement plus joyeux et sautillant (le temps a fait son œuvre). Que dire de plus ? C’est du Stereolab au bout de quinze ans : toujours fringant, mais moins, et surtout sans surprises… Le groupe va alors tourner un peu partout dans le monde pour le défendre, vaquer à d’autres projets parallèles, puis annoncer quelques mois plus tard une pause qui durera, on le sait aujourd’hui, dix ans…

« Not Music », présenté comme un nouvel album, ne sera en fait qu’une collection de titres enregistrés lors des sessions de « Chemical Chords » et non retenus à l’époque. Il contient deux remixes (dont l’un, signé par le maître de l’analogique The Emperor Machine, vaut le détour) et s’avère donc logiquement moins bon, ce qui n’est pas rédhibitoire puisque personne (si ce n’est peut-être Broadcast) n’a jamais pu s’aligner ensuite sur cette trajectoire hors-normes. Ainsi s’achève donc (pour l’heure ?) l’histoire… Que nous enseigne-t-elle au final ? Ceci : dans les années 90, un groupe a montré qu’il était encore possible de faire avancer la pop dans son acceptation la plus large, de transcender ses influences pour parvenir à quelque chose de personnel et instantanément identifiable. Il l’a fait dans l’ombre, n’a certes pas vendu beaucoup de disques, a essuyé les coups durs, s’est manifestement arrêté au bon moment. Il a fait les choses comme on devrait toujours les faire : avec audace et sincérité. Qu’il se reforme aujourd’hui, réédite ses meilleurs disques et tourne à nouveau pour récolter, peut-être, enfin, la reconnaissance qu’il mérite à grande échelle est une chose juste. Vous êtes encore là, donc ? Eux aussi. Alors écoutez, réécoutez, redécouvrez… « The Groop », alias Stereolab.

https://stereolab.ochre.store/

  • Disponibles : « Transient Random-Noise… » et « Mars Audiac Quintet » (Duophonic/Warp)
  • Stereolab sera en concert à Villette Sonique le 9 juin.
  • A suivre en août : « Emperor Tomato Ketchup », « Dots And Loops », « Cobra And Phases Group Play Voltage In The Milky Night »
  • A suivre en novembre : « Sound-Dust », « Margerine Eclipse »

10 commentaires

  1. Grooop incertain pris de panique peur du pogo, bronze pas, collectionne (tim) trop, accent pas trop çà,

  2. ___________________________________________SOUS GROOOOP_____________________________________________________

  3. trop clean a côté de MBV- j’ai vu jesus / Mary chain a la batterie le pitre de bobby qui se prend un epelle par un copain dans un park un dimanche aprem in Brighton, on n’est aller a une soirée warp sous les arcades,

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