Comme NKM, on l’appelle par ses initiales. EDH est le projet solitaire d’Emmanuelle de Héricourt, qui avec sa basse et ses machines sort une nouvelle fois vainqueur de la primaire de l’adroite. A l’occasion de la sortie de « SOS Spring », son nouvel album, on a parlé yaourt, système pilaire, et état d’urgence, sans oublier d’évoquer Lentonia, le label qu’elle co-dirige.

Disciple de Jah Wobble de PiL plutôt que de Jaco Pastorius, EDH fait la part belle à la 4-cordes et aux machines. Sa musique est souvent froide, à la fois intimiste et dansante, à la manière d’E.S.G. dont elle revendique l’ascendance. Et sa prédilection pour les sonorités synthétiques se confirme pour son nouvel album, « S.O.S Spring », qui s’agrémente çà et là d’une touche subtile de second degré, et explore le versant solaire, limite apollonien, de sa personnalité musicale.

Emmanuelle de Héricourt (à la ville donc) consacre par ailleurs une bonne partie de son temps au label Lentonia, qu’elle gère avec Elise Pierre, et qui à chaque publication pose la question préférée de Patrick Juvet : « Où sont les femmes ? ». Au sein d’un espace (musical, notamment) dominé par les hommes, et dans lequel les femmes restent très largement sous-représentés, le label choisit en effet de mettre à l’honneur des productions quasi-exclusivement féminines. Une façon de créer un refuge, ou plutôt une sorte de zone à défendre par et pour des musiciennes invisibilisées. Tout cela pour dire que j’ai donc rencontré EDH pour parler de ses projets, personnels et collectifs.

J’ai lu dans plusieurs interviews à propos des précédents albums qu’il n’y avait pas forcément de sens à chercher dans tes textes. Qu’il s’agissait plutôt de rencontres de syllabes, de sonorités…

EDH : De façon plus prosaïque, ça s’appelle du yaourt ! Mais du yaourt soigné. Et dans certains morceaux il y a même parfois des vrais mots et un véritable sens !C’est selon. Mes chansons ne se résument pas à un texte. C’est pas vraiment quelque chose de sensé. Mais c’est pas complètement insensé non plus, on y retrouve certaines de mes obsessions. Je chante en anglais parce que c’est la langue de mes premiers émois musicaux. Je comprenais rien à ce que j’écoutais et du coup j’adorais le fait de pouvoir investir les paroles de ma propre imagination, projeter un maximum de fantasmes. Dans « S.O.S. Spring », il y a quand même du sens. Si tu regardes les paroles, traduites en français dans le livret du CD, ça ressemble à une sorte de poésie adolescente. Des trucs un peu flippés, très dark. Par contre, les prods sont moins sombres que celles de « Lava Club ».

D’où le titre solaire de ce disque, « S.O.S. Spring »?

EDH : Oui, en quelque sorte. « S.O.S. Spring » renvoie à la période un peu chaotique qu’on traverse, pleine de choses sombres. C’est un appel à l’avènement d’une ère plus positive.

Comment tu définirais la singularité de ton nouvel album par rapport aux précédents ? 

EDH : J’ai commencé la composition il y a quasiment trois ans dans un état d’esprit différent, et donc les compositions sont assez différentes. Ici il y a davantage de second degré. Le disque est très marqué par l’actualité de notre époque, et tout ce qu’on peut traverser. Le second degré c’est la réponse vitale à toutes ces choses dures et graves auxquelles on est confrontés au quotidien. C’est ma façon de digérer l’information, et d’échapper à l’horreur totale, avec un certain recul.

« Une chanson qui parle des femmes tondues à la Libération. »

C’est vrai que depuis trois ans, on cumule les trucs pas drôles. J’ai repensé en écoutant le disque à la soirée du 13 novembre 2016 où on s’est tous les deux retrouvés calfeutrés dans la salle de L’International, à Paris, en attendant « que ça passe ».

EDH : C’est quelque chose qui m’a rappelé le 11 septembre, puisque j’étais à New York au moment où il ne fallait pas. Un événement qui m’avait terrassé, comme pas mal de monde. Les morceaux en parlent pas concrètement, mais l’ambiance générale porte la trace de ces évènements. Pas forcément des attentats directement, mais d’un climat plus généralement délétère. L’ambiance mondiale est surtendue, hyper crispante, de la Turquie à la Russie, sans même parler de Trump ou de l’état d’urgence ici en France. Tout ça est très lourd. Le silence sur la question écologique dans les récents débats pose aussi question.

EDH SOS SPRING_artwork

Pourtant la pochette, avec ces corps de pin-up de séries B, fait plutôt signe du côté de l’insouciance, du monoï et des caïpirinhas. Du coup je me suis demandé quelle était la signification de ce premier titre, Shame or Shaved. C’est un titre contre l’épilation féminine ?

EDH : Alors ça aurait pu être ça, mais en fait c’est beaucoup plus lourd. Je parle des femmes tondues à la Libération pour avoir eu une relation avec des Allemands, ce qu’on appelé la « collaboration horizontale ».

Ah oui, pas vraiment l’ambiance du numéro estival de Cosmopolitain… Épuration/épilation, j’étais pas loin. A quelques lettres près.

EDH : C’est aussi une histoire de poils.

Par conscience professionnelle, j’ai googlé les titres que je comprenais pas. Bon, ça pas été très concluant pour Shame or Shaved… mais j’ai pas non plus compris le titre du morceau Polygale, une petite fleur des montagnes qui donne son titre à un morceau à l’ambiance presque apocalyptique. Pourquoi cet emprunt à la botanique ?

EDH : C’est vrai que c’est un peu curieux parce que le morceau a un propos très noir, l’idée c’est qu’on fonce tous un peu dans le mur, pour le dire vite. Et le titre effectivement, c’est le nom d’une petite fleur des montagnes. Absolument aucun rapport avec la chanson, donc. C’est en me promenant à la montagne que j’ai trouvé le titre.

Ton album sort sur ton propre label, Lentonia Records, que tu gères avec Elise Pierre. Tu peux nous en dire deux mots ?

EDH : Lentonia c’est une planète fictive, la planète de la lenteur. C’est Elise qui a fondé le label, et je l’ai rejointe très rapidement, ça fait maintenant 8 ans.

Pour promouvoir principalement les musiques électroniques faites par des femmes.

EDH : C’est ça. On produit essentiellement des femmes, même si il y a quelques projets mixtes.

« Lentonia n’a absolument rien contre les hommes, a priori. »

À ce sujet, je lis régulièrement des reproches contre les soirées queer, que certains imaginent ultra-communautaires et remplies d’amazones en furie qui veulent émasculer l’humanité. Toi qui joues souvent dans ce type de soirées (Shemale Trouble, la Queer Station organisée par Polychrome l’an dernier…), quel regard tu portes sur ces évènements ?

EDH : Pour moi ces soirées sont justement les plus ouvertes, par rapport à des soirées exclusivement lesbienne ou pédé, où effectivement on peut interdire l’entrée à un certain public, parfois juste pour assurer la protection des participants, pour créer un cercle protégé. J’adore les soirées ParkingStone par exemple, ou celles du collectif Polychrome. J’avais d’ailleurs joué pour la première fois les morceaux de « SOS Spring » pour un de leurs évènements à La Station l’an dernier, la Queer Station.

A propos de non-mixité, le choix délibéré de publier quasi-exclusivement des artistes féminines, est-ce que ça va dans ce sens d’un espace préservé des hommes, un espace singulier appartenant d’abord aux femmes ? Dans une interview, un journaliste te demandait si il y avait quand même quelques figures masculines au sein du label, avant de te les faire lister…

EDH : Parfois, certaines personnes trouvent ça rassurant qu’il y ait des hommes, que ce soit pas une démarche totalement excluante. Mais même auprès des femmes, on a parfois du mal à faire accepter cette idée.

Il s’agit plus de promouvoir des femmes invisibilisées, que d’exclure les hommes, autrement dit ?

EDH : Complètement. Lentonia n’a absolument rien contre les hommes, a priori. Ils sont simplement surreprésentés, en musique comme ailleurs. Mais sur cette question, avec Lentonia, on se demande toujours si on présente les choses de la bonne manière. Ce qui est certain, c’est que les questions de genre et de minorités nous intéressent particulièrement.

Pour finir, un mot sur les projets à venir du côté du label ?

EDH : Alors on attend avec impatience le prochain album de Kim Ki O, un duo de Turquie. On avait signé leur premier album en 2013, et on a suivi les évènements en Turquie avec elles, à partir des manifestations autour du parc Gezi et de la place Taskim, jusqu’aux frasques récentes d’Erdogan. Leur prochain album sortira à la rentrée. Et sinon on va bientôt sortir disque d’Elmapi [le projet solo d’Elise Pierre, co-fondatrice du label, NdA] qu’on attend depuis deux ans, et dont la production traîne un peu. Et on est en pourparlers pour de nouvelles signatures. Je peux pas trop en dire plus.

EDH // S.O.S. Spring // Lentonia Records

Vinyles pressés à 10 exemplaires seulement, au prix christique de 33 euros. Disponible également en version CD et digitale sur https://lentoniarecords.bandcamp.com/

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