C’est l’histoire d’un produit qu’on t’a déjà revendu quinze fois depuis le début des trente glorieuses alors que fondamentalement rien n’a changé depuis la première version ; ça pourrait tout aussi bien être un frigidaire qu’un rasoir jetable ou de la lessive en poudre et pourtant non mon con, à chaque fois que tu passes devant tu continues d’y croire comme un lapin de six semaines. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Cher consommateur, le produit du jour se nomme Kim Ki O et tu peux l’acheter au rayon POP.

grounds artworkLa société de consommation est tout de même bien faite et ce qui vaut pour la madame Michu prête à niquer un samedi ensoleillé pour aller faire le plein de surgelés vaut également pour le mélomane qui préfère gaspiller ses euros durement gagnés dans un nouvel album dans l’espoir secret – pour ne pas dire un brin ridicule – qu’il pourra davantage changer sa vie que celui acheté la veille. Pour autant qu’on se rassure, le nombre de types désespérés prêt à passer les portes d’un disquaire se réduisant ces jours-ci comme peau de chagrin, on pourra bientôt tous aller chez Leclerc pour se ravitailler en plats Findus en écoutant Shaka Ponk en barquette. Ne riez pas, si comme moi vous êtes présentement assis(e) sur votre chaise de bureau à lire cette lente introduction à la musique de ces deux turques pas vraiment jolies – ça compte aussi l’emballage non ? – c’est que vous faites parti de cette poignée d’irréductibles réductibles qu’on enverra bientôt à l’abattoir ; un peu comme tout ces chevaux à qui on avait promis qu’un jour ils gambaderaient en dehors des sentiers battus.

Transition toute trouvée pour aborder le chapitre « perspectives et enjeux » de cette chronique consacrée à un groupe pas vraiment conçu comme un produit industriel. De prime abord, on ne comprend pas grand chose aux chansons de « Grounds », et pour cause, Ekin Sanaç and Berna Göl ont grandi aux frontières de l’Europe, dans un pays où la coldwave peut encore valoir, par jours de brume, un châtiment corporel ou un retour express, via une bonne paire de claques, à la cuisine. Après s’être perdues de vue, puis retrouvées, les Turquettes ont décidées de donner tort à Jacques Pradel en imaginant un premier disque – « Dans », 2010 – à un âge où les copines commençaient à prendre du poids, ennui ou grossesse oblige.

Comme on est déjà la moitié du film et que vous vous demandez encore dans quel sous-rayon doit être classé Kim Ki O, on commencera par dire que les deux amies d’enfance n’ont rien à voir, et c’est tant mieux, avec Karen O des Yeah Yeah Yeahs. Ni avec Kumisolo ou toute chanteuse minaudante dont le nom commencerait par la lettre qui compte 5 points au Scrabble. On poursuivra en vantant les louanges de la fiche produit, puisque si l’emballage évoqué tout à l’heure n’incite pas forcément à l’acte d’achat, l’intérieur est plus dansant qu’une boite de cassoulet cuisinée en écoutant du Alan Vega réchauffé. Néanmoins, on regrettera que le mode d’emploi soit incompréhensible puisque les meilleurs titres du disque s’intitulent Biz senle eşit değiliz ou encore Yanlιş yönde ve farklι türde. Pour la faire courte et pour vous éviter d’avoir à apprendre le Turc pour apprécier la pop vintage de Kim Ki O, on résumera l’enthousiasme du client satisfait à un simple « ça ressemble à du Jeremy Jay chanté par deux bonnes femmes ayant placé l’equalizer des claviers au même niveau que celui de leurs glottes ». Le même Jeremy Jay étant lui aussi une déclinaison post-moderne de groupes entendus mille fois au siècle dernier, n’en faudrait pas beaucoup plus pour avoir l’impression de s’être encore une fois fait couillonner. Mais après tout, chacun son destin. Celui du consommateur étant d’acheter toujours la même chose en toujours moins bien, faudrait voir à pas non plus faire la queue au SAV pour agiter les pancartes. Si vous voulez écouter de la synthpop d’époque, vous n’avez qu’à racheter l’intégrale d’Ultravox ou Gary Numan et jouer le truc en caleçon sur votre platine achetée en quatre fois sans frais. Arrêtez de m’emmerder.

Comme le fascicule promotionnel accompagnant ce produit de petite consommation ne s’avère pas très instructif – « esthétique post punk minimaliste et précise », j’ai l’impression d’avoir déjà lu ce truc mille fois – et les quelques papiers français sur le groupe pas davantage – « Délicats, noise et planants, leur morceaux ont un charme 90, quelque chose de Lali Puna et Stereolab » dixit les Inrocks, Mallarmé n’a qu’à bien se tenir – reste à trouver un bon argument pour vous inciter à acheter « Grounds ». Peut-être qu’il suffit de dire que c’est un bon disque composé par deux nanas qui ne chantent pas très justes sur des claviers rachetés chez Cash Converter. Et qu’accessoirement, s’il rase de moins près que le Gillette 5 lames PowerGlide™, le deuxième album de Kim Ki O lave plus blanc que la majorité des marques de lessive qu’on essaie en vain de nous refourguer, sans cadeau à l’intérieur.

Kim Ki O // Grounds // Lentonia (Module) Sortie le 25 février
http://www.kimkio.org/

6 commentaires

    1. c’est de ta faute ça! comparer des jeunes femmes à des sous produits de consommation, t’as vraiment rien inventé. Et ça fait 70 ans que ça dure. Bravo!!!

  1. Et quand est-ce qu’on arrête de s’emmerder ?
    Quand je vois que je m’emballe pour ce genre de groupe, elles ou Melody’s echo chamber, je me dis que j’ai revu mes exigences à la baisse, et c’est triste.

  2. revoir ses exigences à la baisse……et quelles exigences. Que de grandes pensées.
    La musique est une histoire de sensibilité. On écoute on vibre ou pas. Le reste n’a aucune importance.
    Tout ce que l’on peut entendre sur un groupe nous dévie de l’état pure de l’écoute et de l’abandon.

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