Maintenant que Christophe et Bashung jouent au flipper au paradis, quel corps encore chaud pour faire rouler les mots correctement, en français dans le texte ? Certains diront Hubert-Felix Thiefaine (moui), d’autres Arno (il est excusé par le médecin) ; peu répondront Rodolphe Burger, oublié qu’il est dans sa vallée du grand est. A 62 ans, il vient de publier un nouvel album, un peu d’ici, un peu d’ailleurs. Bienvenue dans les « Environs ».
Plusieurs fois depuis le mois de mars, nous nous sommes ratés. Et c’en est presque devenu comique. Tout a débuté au mois de mars dernier. Confiné comme tout le monde dans son QG de Sainte-Marie-aux-Mines, où il a enregistré « Environs », Rodolphe Burger me donne un premier rendez-vous téléphonique, puis me plante.
La deuxième, début avril, c’est pour moi. A ce stade, je n’ai écouté qu’une toute petite partie de « Environs », sans parvenir à vraiment décrocher de la reprise du Mushroom de CAN, absolument parfaite. A ce moment là, la France est entièrement placardée chez elle, masquée comme un seul homme ; l’entretien téléphonique pour parler de ce neuvième album solo – en comptant l’album de reprises du Velvet, en 2011 – attendra.
Trois mois sont passés et « Environs », dont la sortie a été décalée au 26 juin, a peu à peu bien mérité son nom. Les environs, c’est autant le flou qui entoure la carrière de Burger depuis 30 ans que la notion de paysages locaux – les seuls qu’en temps de confinement nous avons tous pu redécouvrir. Je pourrais encore en tartiner des tonnes sur cette notion de proximité, mais le fait est que la discographie de Rodolphe Burger parle pour elle-même. Contrairement à d’autres, tentés par des exils foireux à Los Angeles, Memphis ou Londres, lui s’est replié sans jamais battre en retraite. Dans le grand est, loin de la capitale, il a forgé des disques qu’on redécouvre souvent à rebours, notamment le dernier en date, « Good », avec cette voix forgée dans la tôle. Certains trouveront ça bavard comparé à du Lou Reed, d’autres parleront de blues sidérurgique. Vous êtes grands, hein, faites votre opinion.
Tout cela nous amène à une troisième tentative d’interview, quelques jours avant la sortie du nouvel album. Un Zoom est branché, quelques questions prêtes. Burger, affairé par la sortie bousculé de « Environs », m’accueille sur son iPhone, me dit qu’il se souvient très bien de notre première rencontre en 2008 : « Tu m’avais dit que ‘’faire des interviews avec des artistes français, non merci, mais que tu voulais bien faire une exception pour moi’’, aha ! ». Je n’ai évidemment aucun souvenir d’avoir sorti cette connerie là. Je me rappelle en revanche de notre deuxième rencontre en 2013, pour une soirée Carte blanche à Christophe au MK2 de Paris où, déjà, il s’était souvenu de moi en me racontant cette même anecdote. La capacité du bonhomme à ne rien oublier est assez phénoménale. Bon voilà, nous sommes enfin tous deux prêts pour l’interview ; Burger s’assoie dans la rue, devant son label. Mais là encore, Houston, on a un problème.
« Je file chez moi y’aura moins de bruit, je te rappelle dans 5 minutes ». J’attendrai, environ 15 minutes, en vain. Burger has left the building. Me laissant avec toutes les interrogations fiévreuses que j’avais en tête. Et quand je dis fiévreuses, c’est parce que je pense en avoir. En attendant désespérément que Burger me rappelle, j’ai pris ma température 3 fois, nerveusement, en prenant soin de m’éloigner de la webcam parce que quand même, hein, question de standing. Le thermomètre affiche environ 37,5°.
Un nouveau round, qu’on espère final, est calé au lendemain de la sortie de « Environs ». La méchante crève a empiré, cette fois, c’est moi qui cale au démarrage.
Les lois du cosmos, dis-je, comme pour conjurer cette espèce de malédiction qui nous empêche de réaliser cette putain d’interview. En fait, je vais vous dire, tout cela m’arrange bien : ça m’évite de demander frontalement à Rodolphe ce que ça fait d’être l’un des derniers grands noms de la chanson-rock française. J’ai eu beau chercher, pendant tous ces mois cloisonnés, rien n’est venu : ils sont tous partis. Le dernier en date, Christophe, clôture cruellement et avec beauté « Environs » avec une reprise de Kat Onoma (La chambre). L’histoire raconte que le mix final de la reprise lui aurait été envoyé la veille de son hospitalisation dans une chambre d’un tout autre genre. Allez savoir, c’est peut-être même la dernière chanson qu’il ait entendu. C’est triste à pleurer. Comme le disait Jean-Michel Jarre dans une interview funèbre, l’idée que ce géant soit mort tout seul dans un hôpital de Brest, c’est bien en dessous du départ qu’il aurait mérité.
Quant à Burger, la place du dernier des Mohicans, je me doute bien qu’il n’a pas cherché à s’y asseoir. Mais le fait est que voilà, il s’y installe progressivement, malgré lui. Sur ces 10 dernières années, n’en déplaisent aux nostalgiques de Kat Onoma, il a produit de belles pâtisseries enrobées dans du charbon ; comprendre, des albums subtils chantés avec cette voix rauque inimitable et qu’on réécoute, comme si l’annuaire était déclamé par une Fanny Ardant des citées industrielles. Les même où grandit jadis Bashung, à qui l’on pense très fort sur le titre d’ouverture, Bleu Bac, avec ces nappes de violons orientaux période « Fantaisie militaire » joués sur des synthés, et ces paroles qui sont un bel échos à ces nuits mythomanes où d’ailleurs, Burger fit un tour à l’époque.
Sur « Environs », on trouve d’autres reprises (Fuzzy de Grant Lee Buffalo, Lost & Lookin de Sam Cooke, c’est dire le bon goût du garçon), d’autres compositions originales qui sentent bon les douze coups de minuit, tout en retenu, et puis également deux titres écrits en duo avec Bertrand Belin, sans qu’on puisse s’empêcher de penser qu’on tient peut-être la relève, le fils spirituel. Même tessiture, même diction, même cul entre quatre chaises.
Fatalement, avec toutes ces annulations, j’ai longuement eu le temps de réécouter « Environs », et c’est l’œuvre d’un artiste toujours en mouvement, une espèce de Neil Young alsacien se contre-foutant pas mal de son passé de philosophe et des contraintes marketing imposés aux musiciens de son rang.
A l’heure où j’écris ces lignes, le thermomètre affiche 37° pile. Pour ma santé, je sais pas. Mais celle de Burger est au zénith.
Rodolphe Burger // Environs // Dernière bande
En concert à l’Olympia le 13 décembre 2021
6 commentaires
trés FANé!
Contre le rhume XXL un coup de Vitamin C made in Can ?
soundcloud.com/fu-kats coup de cœur pour Beautiful Loosers sans face de bouc et autres
who wants MORE?
Toujours classe, in or out of scene, last time au Vauban, sur place , et le café le lendemain au Montparnasse à Brest, manteau cuir noir, naturel,, le gars qui sourit, prend 1 jus sans la ramener avec ses musiciens et reconnait les gens du concert pour partager 1 petit noir près du Quartz, sans la ramener, & ça même si on se croise 2puis Kat, qu’on vendait le premier maxi (« Wild Thing », non ?) & qu’on s’est vus avec C.M. qu’il y a eu aussi Batz, M. Marchand, M. Muzy, etc… oui ben c pas tous les jours R. B. Un jour que je te cassais les génitoires, tu m’as dit que si tu faisais 1 refrain en anglais sur une chanson en français (ce que je ne supportais pas à l’époque, vas savoir pourquoi) , c juste parce que t’avais pas trouvé mieux.
Je n’ai jamais autant ri, et merde, t’avais pas tort. J’y pense encore.
Serviteur
le duo, ça fonctionne très bien en live
C’est vrai que c’est un sacré morceau la chambre. Tout en ambiguité et rythmes aquatiques. Est-ce qu’on sortirait ce genre de tube un peu tendre et malsain en 2020? Pas certain. Ma main sur ton sein.