Que faire après une carrière solo pop avortée faute de pognon et d’envie ? Composer des musiques de films ? Accompagner Phoenix au synthé sur toutes les scènes du monde ? Sortir un projet pop (Summercamp) chez Pan European recording avec son meilleur ami ? Rob répond.

Immense, fin, Rob pourrait être le frère jumeau de Pedro Winter. Lui préfère se la jouer été, summer si vous préférez. Plus précisément Summercamp, chaleureux nom de son nouveau projet pop avec son frère d’armes Jack Lahana. Pour ce laboratoire aux faux airs de colonies de vacances, les deux compères ont amené des amis dans leur studio Hippocampus, en plein coeur du 10ème arrondissement de Paris. Histoire de produire des bombinettes pop à la pelle. Leurs potes ne sont peut-être pas les vôtres. Leurs nom s? Sébastien Tellier, Fishbach, Thomas Mars, Giorgio Poi, Areski Belkacem, la star mexicaine Leon Larregui, Catastrophe, et plein d’autres,… Pour sortir ce camp d’été, un autre ami fera l’affaire : Arthur Peschaud, boss du label Pan European recording et ami de longue date de Rob.

Rob, c’est Robin Couderc. Il le dit lui-même « Personne ne nous attend, personne ne nous connaît. C’est le bonheur ». Un bonheur qui pourrait être de courte durée, car Summercamp s’avère efficace. Rien de surprenant. La pop, Rob connaît. L’homme qui accompagne Phoenix sur scène depuis la nuit des temps avait entamé le siècle en enfantant quelques merveilles pop (Son album « Don’t kill », sorti en 2001, figure dans la catégorie chérie des immenses classiques incompréhensiblement oubliés. Allez l’écouter sur Spotify si vous voulez changer votre vie) avant de bifurquer vers la musique de films. Vous l’avez peut-être croisé sans le savoir, dans une salle de ciné ou sur votre canapé défoncé, un soir de bingewatching devant Amazon prime ou le bureau des légendes. Je sonne à l’interphone du studio. Rob ouvre la porte. Direction canapé au milieu des synthés.

Bonjour Rob. On commence ? (je sors ce qui me sert de dictaphone).

Rob : Tu retranscris après ou tu réécris ?

Je retranscris fidèlement les propos.

Rob : Ok, ok. Faut que je fasse gaffe à ce que je dis alors.

C’est le première fois que tu sors un projet sous le nom de Summercamp avec Jack Lahana.

Rob : Sous ce nom là, en effet, mais ça doit être à peu près mon 50ème album avec Jack. On bosse ensemble depuis le jour de notre rencontre. Ca devait être en 1999, le jour où j’ai franchi le pas du studio Gang pour faire « Don’t Kill », mon premier album solo. Jack était là puisque c’était l’ingénieur du son maison. De mon côté, je venais avec Alf dans mes bagages comme réalisateur, mais Jack bossait sur place. On ne s’est pas quittés depuis. Ca fait plus de 20 ans que tout ce que je fais, je le fais avec Jack. A 100 %. Je ne l’ai jamais trompé avec un autre ingénieur du son.

Don't Kill par Rob sur Apple Music

D’où vient l’idée de monter ce projet Summercamp ?

Rob : Depuis plus de 20 ans, on a fait une quantité folle de musiques de films. Moi comme compositeur, lui comme producteur ou mixeur. Il intervient à différentes étapes, selon les projets. On a aussi réalisé plein de disques pour d’autres artistes. On a coproduit d’autres artistes, il a mixé plein d’albums où je faisais juste les claviers. Bref, on est comme cul et chemise. On est vraiment un duo. Après toutes ces années, il s’est avéré qu’on avait pas mal de matière restée en suspens entre les différents projets. C’est Jack qui est à l’initiative du projet. Il m’a dit « Tu te souviens, on avait fait ce morceau qui était génial ? Et puis aussi celui-là. Viens, on les reprend ». Donc on les reprend, on les adapte, on met un rythme, etc. Et on se rend compte alors que ça ressemble à de la musique qu’on a envie d’écouter et de partager. On pousse encore un peu, et on se dit qu’on a des chansons potentielles. On demande à Gordon Tracks (i.e : Thomas Mars, le chanteur de Phoenix) s’il serait d’accord pour chanter. Il accepte et fait un truc qui tue. « Et pourquoi ça serait pas un duo avec Giorgio Poi ? ». De fil en aiguille, on s’est mis à envoyer d’autres morceaux à des gens avec qui on avait bossé, comme Daniella Spalla ou Sébastien Tellier par exemple. Au fur et à mesure, ça a pris la forme de ce que c’est aujourd’hui, et je ne saurais pas vraiment la définir. Pour moi, c’est pas tout à fait un album, mais le début d’une collection de morceaux. Je pense que ce qu’on fait, c’est qu’on vient de créer un canal de communication entre le duo Jack/Rob et le reste du monde, et on va se servir de ce canal pour l’alimenter quand bon nous semblera.

Il y a énormément d’invités sur l’album : Bandalos Chinos, Fishbach, Vickie Cherie, Catastrophe, Leon Larregui, Sébastien Tellier… Certains plus évidents que d’autres. Si j’ai bien compris la pochette, vous êtes 24 sur l’album. 

Rob : En fait, on ne compte plus. Il y a au moins 4 autres morceaux à sortir par la suite, avec d’autres invités. Et il y en aura d’autres derrière. Ce studio, dans lequel on est aujourd’hui, c’est une source avec de l’eau qui coule en permanence. Ce qu’on fait, c’est qu’on récolte cette eau, on la boit, on la partage, on la stocke, on donne à boire aux gens qui passent et de temps en temps on les inonde.

Au début de ta carrière, tu faisais de la pop sous ton nom. A aucun moment, tu n’as eu envie de chanter sur l’album ?

Rob : Je l’ai fait à mes débuts, c’est vrai. J’étais jeune. C’était un truc de jeunesse de vouloir me tester au devant de la scène, d’être sous les projecteurs, de me mettre en scène en tant qu’artiste solo. Je n’ai pas adoré ça. Et comme le public non plus, j’ai décidé que je me sentais mieux comme compositeur, réalisateur, producteur ou musicien pour d’autres.

Homme de l’ombre, finalement ?

Rob : C’est une façon de le dire, mais je ne suis pas vraiment un homme de l’ombre. J’aime la lumière, mais ma façon de m’exprimer ne passe pas par la vocalise. Je ne suis pas à l’aise là-dedans. J’ai rien à dire à travers les mots. Ce que j’ai à dire, c’est plus un état d’esprit, une harmonie, une ambiance, une atmosphère…Les mots ne me portent pas.

Ca promet pour notre interview.

Rob : En plus, c’est faux. Tu vas le voir au cours de cet interview, j’adore parler. Je pense que je suis par ailleurs un bon narrateur. Mais chanter, être devant un micro sur scène, j’ai pas kiffé.

Arrêtons-nous sur quelques invités qui sont sur l’album. Quelle est l’origine de la connexion avec Catastrophe ? Blandine Rinkel ?

Rob : Blandine est effectivement la voix du groupe, en tout cas sur le morceau Toupies. J’étais tombé sur leur premier album à travers un clip où ils se mettaient en scène. Il y avait une ambiance Jodorowskienne, entre La montagne sacrée et El Topo. Ils étaient dans un désert, habillés avec des costumes bizarres. J’avais adoré cet extrait parce que je ne comprenais pas ce que c’était. Le nom déjà. Catastrophe, je trouvais ça hyper éloquent. Je trouvais ça génial. Et je ne comprenais pas si c’était des Ricains, des Français, des Anglais, des Allemands, si c’était 25 personnes ou 2. Et dès que je ne comprends pas, ça m’attire. J’ai creusé un peu en achetant l’album que j’ai adoré. Ca partait dans tous les sens. Il y avait une liberté, et donc j’ai gardé ce groupe dans mon coeur. Quand on a commencé à appeler des gens à droite à gauche, c’est un des seuls invités – si ça n’est le seul – qu’on ne connaissait pas. J’ai contacté le groupe par Instagram, comme un petit fan de base. Je suis très vite tombé sur Blandine, à qui j’ai proposé une rencontre au studio. Là, je leur ai fait écouter le morceau et je leur ai dit « Si ça vous dit, ce projet n’est qu’amour. Jack et moi, on s’aime et on est libres. On n’a pas besoin de faire cette musique, c’est pour ça que c’est si important pour nous. Si ça vous plaît, venez avec nous. Sinon, je vous assure qu’il n’y a aucun problème, on en a rien à cirer ».
Cette idée de la liberté, si rare en ce bas monde et si rare pour les artistes dépendants de la promo, des médias, des radios, des producteurs, ça les a séduit. Summercamp, c’est tout sauf ça. C’est un disque fait par nous-mêmes. Produit par nous-mêmes. On a appelé Arthur (NDLR : Peschaud), parce que c’est un ami, pour qu’il le diffuse à travers son label Pan European, mais en fait on n’a pas besoin de ce disque. C’est pour ça qu’il est bien. Pour ce qui est de Catastrophe, Blandine est venue avec ses copains. Elle a posé sa voix dans ce studio, avec un texte inspiré de notre conversation. Elle parle à un moment de la tâche sur le plafond du studio, tu l’as au-dessus de ta tête. On dirait un test de Rorschach ou une île ou un archipel. Ce morceau, c’était une évidence. C’est une peu comme en amour. Quand c’est une évidence, il faut s’y engouffrer. Il n’y a aucune raison de ne pas y aller.

Autre évidence, la présence de Gordon Tracks, alias Thomas Mars, le chanteur de Phoenix.

Rob : C’est mon ami d’enfance. On s’est rencontrés quand on avait 16 ans. C’est un peu comme Jack, sauf que c’est encore plus ancien. On ne s’est jamais quittés. J’ai parcouru le monde avec lui et les copains de Phoenix. Quand je fais de la musique et que j’ai envie d’inviter quelqu’un à chanter, c’est le premier nom qui surgit.

Ce morceau, Haute saison, est chanté en italien. Y-a-t-il un lien avec leur album « Ti Amo », sorti en 2017.

Rob : Phoenix, pour moi, c’est comme des frères. On a grandit ensemble, on vient de la même banlieue, on a vécu les mêmes traumatismes, on a fait des enfants ensemble, on s’est mariés ensemble. On est témoins au mariage les uns des autres. On a été aux obsèques de nos parents ensemble. On a vraiment un lien fraternel. Forcément, quand eux font un album en italien, je le vis aussi. Et moi aussi, j’ai des origines italiennes. C’est pas vraiment une influence, ou alors c’est co-fraternelle.

 Areski Belkacem est aussi sur l’album.

Rob : C’est le compagnon de Brigitte Fontaine, qui a fait tous ces disques merveilleux que j’ai écouté gamin. Mes parents étaient un peu gauchistes, bibliothécaires. Ils m’ont amené à écouter du Areski/Fontaine, en particulier l’album Le bonheur, avec la chanson Mephisto que je vous invite à écouter. Quand j’avais rencontré Jack, je m’étais rendu compte qu’il produisait des disques d’Areski/Fontaine, comme Kékéland ou celui d’après, avec un morceau magnifique, Le château intérieur. Je vous conseille aussi La viande, un morceau génial de Brigitte Fontaine. Jack venait alors de les rencontrer, et de mon côté je portais ce duo dans mon coeur depuis l’enfance. Quand on a commencé à commencer à inviter nos amis, Jack s’est dit qu’il fallait absolument inviter Areski qui a une manière incroyable de jouer des percussions. Areski, c’est un mentor pour Jack. Il est venu au studio, avec son espèce de banjo stradivarius de 1800 et quelques, fabriqué à Venise.Et il a joué sur le morceau chanté par Hadia Laghsini. C’était tout simple. Quant à Brigitte, elle chante sur un morceau qui paraîtra dans la suite de l’album.

Areski sortait ses disques sur le fameux label Saravah fondé par Pierre Barouh. Un label important pour toi ?

Rob : Je porte ce label dans mon coeur depuis toujours. Par exemple, quand j’avais créé mon label à l’époque de mon premier LP « Don’t Kill », je l’avais appelé Chevauchée et je m’étais inspiré de leur logo. Saravah, c’était « Il y a des années où l’on a envie de ne rien faire ». Et moi j’avais écrit, en reprenant exactement le même graphisme, « La vie est une… » et après il y avait écrit le mot Chevauchée. Saravah, ça a toujours été un exemple à suivre pour moi, en terme de liberté artistique, de coolitude, d’état d’esprit, de « Comment concilier le monde de la production et le monde intérieur », la drogue, toutes ces choses.

J’en reviens à Phoenix. Aujourd’hui, tu portes d’ailleurs le sweat-shirt de leur dernier album, « Alpha Zulu ». Vous les accompagnez sur scène pour les synthés et les percussions. Est-ce que ça apporté quelque chose à ta propre création musicale ?

Rob : Il faut retourner en 1998. Peut-être même avant. Dans les années 90, j’avais un groupe de funk avec Arthur Peschaud à la basse. On se produisait dans les MJC et les bars des Yvelines. De temps en temps, on croisait Phoenix qui venait nous écouter. Ils avaient trippé sur ce groupe et sur le fait que j’amenais quelque chose au synthé qu’eux ne connaissaient pas. A l’époque, j’avais déjà un Rhodes, un clavinet avec de la wah-wah, un MS-20. Je faisais beaucoup de choses très funky, des trucs expérimentaux. Ils avaient aimé mon apport artistique, et je m’étais retrouvé à traîner avec eux. Puis à jouer avec eux. Puis à jouer sur leur album. J’ai écouté leurs disques, et quand j’ai du faire « Musique pour un enfant-jouet » pour la compilation Source rocks, je l’avais enregistré dans leur studio. Ils m’avaient aidé, avaient mixé le morceau et m’avaient présenté Marc Tessier Du Cros. C’était comme mes grands frères. Ca fait presque trente ans qu’on se fréquente, et ils m’ont emmené jusqu’aux Grammy awards. J’ai participé à toute leur ascension. J’ai vu l’envers du décor. J’ai vu le show-business, les tournées, l’Amérique, les tour bus, les fans, les stades, les festivals,…Tout ce que je n’aurais pas vu en suivant ma propre carrière.

Qu’en as-tu retiré, de ce grand barnum ?

Rob : Le fantasme d’être un grand artiste international, ben je ne l’ai plus. J’en ai pas besoin. C’est fait, j’ai vu ce que c’était. J’ai vu qu’en fait c’est pas spécialement sexy. Eux le vivent hyper bien parce qu’ils sont quatre, et parce qu’ils désirent ça. Ils ont ce désir d’avoir une pop extrêmement ciselée qui aille toucher les coeurs partout. Moi, c’est pas mon truc. Je suis plus dans mon cocon, je suis plus chaleureux. Je suis très franco-français, même si évidemment je travaille avec le monde entier. J’ai pas cette ambition de parcourir le monde avec ma musique. Eux, ils l’ont. Et je le fais avec eux. Quelque part, ça me met à un endroit pile bien où je suis à la fois un témoin privilégié, où je participe aussi à ce succès puisqu’ils me demandent mon avis et que j’amène quelque chose sur scène que je pense qu’ils ne trouveraient pas ailleurs. Et puis, c’est mes frères. J’y trouve donc de l’amour, de la découverte, et je bénéficie de leur expérience en même temps. Je vais te dire… Je suis un musicien comblé. C’est idéal, ce que je fais. J’ai mon studio, la musique de films qui répond à mon amour du cinéma, j’ai aussi maintenant Summercamp avec mon meilleur ami Jack Laanah, et j’ai les Phoenix avec qui je parcours le monde.

« Si t’as du succès, que fais-tu après ? T’es dans la merde »

Initialement, je voulais intituler cet interview « L’homme qui bossait pour les autres », mais je vais trouver autre chose car c’est trop réducteur.

Rob : Il y a peut-être quelque chose de plus à dire. J’ai commencé par une carrière solo, qui s’est enfumée en plein vol parce que j’ai vite compris que la musique que je désirais vraiment produire n’était plus la bienvenue. A l’époque de « Don’t Kill », c’était encore possible. On était dans la queue de la comète de la French Touch et il y avait encore des producteurs pour me donner de l’argent pour faire cet objet étrange qu’est « Don’t Kill », une pop instrumentale barrée, sans single. Le principe de réalité a vite pointé le bout de son nez, et ce principe, c’est l’argent. Très vite, on m’a dit « On ne peut pas continuer comme ça, ça ne marchera pas ». Quand j’ai remis le couvert quelques années plus tard avec le label Institubes, je suis à nouveau arrivé avec cette espèce d’utopie qui était « le dodécalogue ». L’idée, c’était de faire une œuvre fleuve en douze volumes qui coûtent une fortune, mixée avec des cordes, des choeurs… Et là je fais à nouveau face au principe de réalité, puisque le label coule. Source coule. Institubes coule. Je me disais « C’est fabuleux, mon œuvre est si grande qu’elle ne peut être supporté par le show-business d’aujourd’hui », aha. J’ai bien aimé cette position d’outsider. C’est ce que je suis, un outsider. Cette position me protège du succès, et pour moi, c’est une grande joie. Le succès, c’est la privation de la liberté. Si t’as du succès, que fais-tu après ? T’es dans la merde. T’atteins par exemple un niveau de vie ou tu es obligé d’avoir encore du succès, sinon tu vas perdre ce que tu as.

Sur leur morceau Get the balance right, Dave Gahan de Depeche Mode chantait ces mots « When you reach the top, get ready to drop ». C’est un peu ce que tu me dis là.

Rob : Je ne sais pas vraiment, car je n’ai jamais atteint ce top. Mais par contre j’ai trouvé une vraie place de liberté. J’ai un mécène aujourd’hui, c’est le cinéma. Je reviens au début de votre question. J’ai appris à travailler pour les autres. J’ai compris mon ego, un peu comme au kyudo. Le kyudo, c’est le tir à l’arc japonais. La cible, c’est ton ego. Et le principe, c’est que tu mets un an avant de tirer une flèche. Déjà, tu te calmes, et tu apprends à être humble. Quand tu tireras une flèche, ton geste sera parfait. Parce que si tu tires une flèche, c’est que tu penses que tu es capable de le faire. Tu le fais, et après, tu ne regardes même pas si tu as atteint la cible. Parce que ça n’est pas le but. Le but, c’est ton ego. J’ai pratiqué cet art martial, et je comprends que la musique a cette vertu pour moi. Mon ego est ailleurs. Je n’ai pas besoin de reconnaissance. J’ai pas besoin qu’on m’aime. J’ai juste besoin de m’exprimer et de trouver un endroit pour le faire.

« Pour « Le Dodécalogue », on s’était arrêté au volume 6 sur 12 à cause de la faillite d’Institubes. Mais j’ai tout de prêt. Toute la musique existe »

« Don’t kill » est un classique oublié de la pop moderne. Tu n’as jamais envisagé de le rééditer ?

Rob : J’y ai pensé, mais pas assez. Ca a commencé comme ça, la conversation avec Arthur. On s’était dit que si on devait remettre le couvert avec un nouveau disque pop avec écrit Rob dessus, ça serait peut-être bien de contextualiser le truc et donc de revenir un peu sur le passé. En fait, c’était galère. On voulait faire les 20 ans de « Don’t kill » par exemple. Le projet n’est pas à l’eau d’ailleurs. Il y a même un album miroir à faire, avec d’un côté l’album, et de l’autre toutes les maquettes. Les maquettes sont géniales dans le sens où elles sont empreintes de jeunesse, de liberté et de rêve. Elles sont très agréables à écouter et on avait l’idée de faire ce double album. Mais il faut trouver quelqu’un qui ait de l’argent et la volonté de le faire. Pareil pour « Le Dodécalogue », on s’était arrêté au volume 6 sur 12 à cause de la faillite d’Institubes. Mais, j’ai tout de prêt. Toute la musique existe. Il faut aussi comprendre que la musique est une source ininterrompue. Mon inspiration ne tarie jamais, grâce aux films, aux albums, à ce que je fais avec Jack. Il n’y a pas une journée où je me réveille sans savoir quoi faire. Tous les jours, je viens au studio et j’ai une énorme pile de projets, d’idées, de maquettes,…La musique m’a sauvé la vie. Aujourd’hui, je vis pour elle et par elle. Ma vie, c’est vraiment le cliché du compositeur.

De quoi vivais-tu entre « Don’t Kill » (2001) et « Le Dodécalogue » (2009)?

Rob : Il y a eu une période où j’ai vraiment touché le fond financièrement. A 20 ans avec « Don’t kill », j’avais touché environ 500 000 francs. Ce qui aujourd’hui représente peut-être 200 000 euros.  Pour un mec de 20 ans, c’était trop. C’était même ridicule. En une année, j’avais tout flambé. C’est l’époque où j’ai rencontré ma femme. Une époque merveilleuse. C’était la jeunesse la plus belle du monde. Au bout d’un an, je n’avais plus rien. J’étais au RMI, j’allais à la mairie pour retirer du cash, j’avais des PV impayés partout, mon compte était bloqué, j’avais été saisi. J’ai aussi connu ce revers de la médaille, et c’était une école formidable. C’était ça l’école de la jeunesse : « Rise and fall » à 20 ans. Ces deux périodes m’ont libéré de quelque chose. J’ai connu en très peu de temps le budget illimité et ensuite la disette, mais j’ai tout traversé porté par la musique. Il n’y a pas eu une journée, même quand j’étais au RMI, où je ne me démerdais pas pour aller en studio. Chez Alf. Chez Marlon. A Gang. Avec Jack, on se démerdait avec Claude Puterflam pour qu’il nous file les clefs de Gang pour qu’on continue de produire. Produire, produire encore et encore de la musique. Ma femme était étudiante en cinéma à l’époque. Elle faisait des court-métrages. J’ai fait la musique de ses court-métrages, et là, je rencontre Rebecca Zlotowski et Teddy Modeste qui me proposent des projets. Puis je rencontre Institubes. Je ne sais pas si c’est de la chance ou le destin.

Ado, tu as eu un groupe de funk, mais aussi un de metal. Par la suite, tu as oeuvré dans la pop. Tu fais de la musique tout le temps. As-tu encore le temps d’en écouter pour ton plaisir ?

Rob : J’en écoute tout le temps. Chez moi, il y a des disques partout, et la platine est toujours allumée. Je me réveille le matin, il y a de la musique. Je me couche le soir, il y a de la musique. Hier soir, j’ai écouté la bande originale de White Lotus, un disque  exceptionnel que je recommande. Probablement une des meilleures B.O des cinq dernières années, celle de la saison 1. La saison 2 est bien mais j’aime un peu moins la musique. Et ce matin, j’avais envie d’écouter les Cure, donc j’ai fait découvrir les Cure à mon fils de 8 ans. Enfant, je déchiffrais Killing an arab à la guitare. J’écoute aussi bien des classiques que des nouveautés. J’achète des disques. J’écoute de tout, du classique, du rap. Mon grand fils de 16 ans écoute du ragga en ce moment. J’aime pas trop mais j’aime qu’il fasse ça parce que ça veut dire qu’il se détache de mon influence et ça, c’est formidable.

Tu évoques la série White Lotus. De ton côté, tu as écrit la musique du Bureau des légendes. Y-a-t-il pour toi des différences entre composer la musique d’un film ou celle d’une série ?

Rob : L’inspiration est la même. Je me mets au service de l’autre. Même si c’est une série, appelons ça un objet cinématographique. Ou audiovisuel si on veut être un peu plus cradingue. Par contre la méthode change énormément. Pour le bureau des légendes, c’était 10 épisodes. Fournir 10 fois 52 minutes de musique dans un laps de temps plus réduit que pour le cinéma, c’est un sacré challenge. Etrangement, pour la télé, on file moins de thunes et moins de temps au compositeur que pour le cinéma, alors que ça brasse plus d’argent. C’est assez étrange. Produire 520 minutes de musique en 6 mois, c’est quand même assez extrême. La méthode que j’ai adoptée avec Eric Rochant, c’est de composer énormément de musique en amont, avec des déclinaisons de chacune des musiques composées, et de livrer ça à l’équipe artistique de la série. Et ensuite ils piochent dedans. Je crée donc une sorte de grand bain musical, sous la dictée du showrunner. C’est lui qui me dirige, qui me dit d’abandonner tel thème ou de développer un autre dans plusieurs versions : lente, rapide, piano, orchestre, synthé… Là, par exemple, je suis en train de composer la musique d’une série qui s’appelle Killer Coaster pour Amazon et… je n’ai pas du tout suivi cette méthode ! C’est ça pour moi, la joie de la contradiction. A chaque fois que tu as une théorie, la théorie inverse est vraie aussi et la vérité est sûrement quelque part entre les deux.

Finalement, il t’arrive parfois de composer en amont du tournage, sans la moindre image, et d’autres fois après le tournage, avec le film sous les yeux.

Rob : Oui. Cette méthode là est plus « à l’américaine ». On te donne un produit quasiment fini, et c’est parti, tu travailles seconde après seconde. C’est comme si tu fabriquais un costard sur mesure. En France, on a plus tendance à lire le scénario, parler du projet, s’investir psychologiquement dans la création. Les deux sont passionnants, tout marche.

As-tu entendu parler de ChatGPT, le nouveau site d’intelligence artificielle ?

Rob : Oui.

Comme je suis parfois fainéant, j’ai demandé à ChatGPT de me proposer 10 questions qu’on pose rarement à un compositeur de musiques de films et je tes propose d’en choisir deux dans la liste.

Rob : C’est parti (Il lit les 10 questions et choisit les deux suivantes)

CHATGPT : Comment trouvez-vous l’équilibre entre votre propre style musical et la nécessité de créer une bande originale qui correspond à l’atmosphère et au ton du film ?

Rob : Ca c’est une question intéressante. La musique de film, c’est le travail de commande par excellence. On te donne un planning, un budget et un script, voire un film. Côté timing, tu sais que tu vas devoir faire exactement 2’30’’ à tel endroit, qu’au bout d’une minute il y aura un climax, etc. Tu as donc un canevas qui est hyper précis. Comment faire pour que quelque chose de toi-même surgisse de là-dedans. Etrangement, ça m’a libéré d’un truc. Venant de la pop, et même des beaux-arts, je sais comment m’exprimer. J’arrive à puiser l’inspiration dans mes fêlures, dans mes blessures, dans ma jeunesse, dans mon inconscient. J’arrive à créer une musique personnelle. C’est même ce que j’aime faire le plus au monde, mais si en plus on m’offre un cadre précis où je sais qu’on doit être triste au bout de 30 secondes, qu’après il y a du suspens pendant 20 secondes, et qu’ensuite le suspens s’arrête pour donner lieu à une romance, c’est génial. J’ai plus qu’à m’installer dans une espèce de fauteuil, et à m’abandonner empreint de ces contraintes. C’est compliqué à décrire. De toute façon, raconter le processus créatif, c’est quasiment impossible.

« Quand on pense aux années 70, il y avait déjà plein de mecs : Vangelis, Tangerine Dream,…Depuis que je suis enfant, je suis fan de ces gens. »

CHATGPT : Comment la musique de film a-t-elle évolué au cours de votre carrière, et qu’espérez-vous voir pour l’avenir de l’industrie ?

Rob : Je suis arrivé dans la musique de film avec Belle épine, le long métrage de Rebecca Zlotowski. On devait être en 2010. A l’époque, au niveau international, il y avait quelques compositeurs – je pense en particulier à Trent Reznor ou Cliff Martinez – qui étaient un peu les fers de lance de la musique électronique dans le cinéma contemporain. C’étaient aussi des mecs qui venaient de la discographie, avec leurs groupes respectifs, pour apporter une musique un peu hybride entre électro expérimentale, indus et musique de film au sens premier, c’est-à-dire de l’underscore, de l’action, etc…Quelque chose qui épouse l’image. Mais en France, il n’y avait personne.

Quand on pense aux années 70, il y avait déjà plein de mecs : Vangelis, Tangerine Dream… Depuis que je suis enfant, je suis fan de ces gens. Vraiment. J’ai toujours eu cet ADN là dans mon approche de la musique électronique. J’ai pas une approche modulaire de cette musique, mais une approche romantique. Comme Moroder ou Vangelis. Je me sers d’un synthé pour exprimer des émotions, pas pour faire de la techno, de la trance ou « presque pas » pour faire de la musique répétitive. Mon approche de la musique répétitive, elle me vient plus de Steve Reich ou Philip Glass. Je ferme la parenthèse. En tout cas, fusionner ces influences pour Belle épine, ça avait été une belle idée. Rebecca était folle de joie, elle aussi elle adorait ce qu’avait fait Tangerine Dream pour Risky Business. Quand j’ai amené ça dans son film, c’était très inattendu. Notamment parce que c’était un film d’auteur français, voire « auteuriste », qui avait lieu dans les années 80. C’était exactement ce qu’il fallait. Est-ce que j’en avais conscience à ce moment-là ? Je n’en suis pas certain. Mais elle oui. Rebecca est brillante et a des capacités projectives supérieures aux miennes. La musique matchait parfaitement avec le film, elle avait un côté « mitterandien », français, et en même temps une couleur internationale et expérimentale. Ca a démarré comme ça.

« L’électro est partout. A tel point qu’on attend presque d’un film qui se veut d’auteur qu’il y ait cette couleur là. De mon côté, je suis en train de faire le chemin inverse. J’ai envie de quatuor à cordes »

Aujourd’hui, c’est quelque chose qui est presque courant. A l’ère de Stranger Things, on a compris tout ça. J’ai pas la télé, mais j’imagine qu’on trouve de la synthwave jusque dans les pubs. Le côté « rétrofutur », ça paye. On a fait beaucoup de chemin depuis 2010, et aujourd’hui, il y a plein de jeunes français qui font ça très bien. L’électro est partout. A tel point qu’on attend presque d’un film qui se veut auteur qu’il y ait cette couleur là. De mon côté, je suis en train de faire le chemin inverse. J’ai envie de quatuor à cordes, d’aller chercher dans cette couleur dites « à l’ancienne » ce que je peux apporter moi en tant qu’autodidacte quand j’écris pour un orchestre. Ca peut donner Planétarium, toujours de Rebecca Zlotowski. Pour ce film, j’étais allé chercher avec mon collaborateur Moritz Reich le London Symphonic Orchestra, un des meilleurs orchestres du monde. Nous sommes allés à l’enregistrer à Abbey Road, pour des partitions écrites par moi qui n’y connaît rien. On est arrivé ainsi à une espèce de fusion étrange entre musique du 20ème siècle, musique répétitive, musique expérimentale, Tangerine Dream, Vangelis et ce je ne sais qui fait l’essence de ce que je compose. Du Rob, quoi. Je ne sais pas trop ce que c’est. J’essaye d’être à contre-courant, en essayant d’être partout, sauf là où on m’attend. Et tant que je ne sais pas ce que je fais, je me dis que je suis dans le vrai.

Quels sont tes prochains projets de musiques de films ? On peut en parler ?

Rob : J’ai parfois des clauses de confidentialité. Dans ce cas, j’en parle pas, mais on peut bien sûr. Il y a Les survivants, sorti début janvier. Il y a Le barrage, film d’Ali Cherri, un plasticien génial, qui est sorti aussi il y peu de temps. Le prochain, c’est Quand tu seras grand, de Andréa Bescond et Eric Métayer. La musique est assez saisissante dessus, c’est presque que de la flûte et des percussions. C’est un peu comme White Lotus. Que des instruments acoustiques, mais considérés d’une autre façon. Il y aussi Les enfants des autres, le nouveau film de Rebecca Zlotowski sorti il y a quelques mois. C’était là une relecture d’un concerto de Chostakovitch entièrement réécrite pour un trio jazz. Pareil, quelque chose que je ne sais pas faire, et c’était donc tout l’intérêt de le faire. Et ensuite, viendra Acide, le prochain film de Just Philippot qui avait fait La nuée, du cinéma d’auteur horreur. Et en ce moment, je fais donc une série pour Amazon, puis j’attaque le prochain film d’Alexandre Aja et j’ai commencé à travailler sur le prochain film de Nicolas Boukhrief. Et enfin une autre série, dont je n’ai pas le droit de parler.

Terminons cette interview en revenant sur ce nouveau projet Summercamp. Qu’en attends-tu ?

Rob : Summercamp, c’est le contraire de tout ce que je viens de te dire. Pour moi, c’est un champ de poudreuse. C’est sublime, c’est vierge, c’est la liberté. Personne ne nous attend. Jack Lahana et Rob, on est ni un label, ni une étiquette. On a aucune carrière. Bien sûr, on a nos carrières solos mais tout le monde s’en fout. Et ça, c’est merveilleux. Parce qu’on fait tout ce qu’on veut. Notre chance, c’est aussi d’être des anciens, des gens qui ont pas mal bourlingué, des mecs qui ont déroulé du câble comme on dit dans le métier. On a plein d’amis merveilleux. Oui, on est amis avec Leon Larregui qui est une star au Mexique, avec Gordon Tracks, avec Julien Barbagallo, et plein d’autres. Il y a tous ces gens formidables autour de nous qui sont venus dans cet espace de liberté où on a pu faire ce qu’on voulait : Summercamp. Pour répondre à ta question, qu’est-ce que j’attends de ce projet ? Rien. Juste du plaisir.

Rob/Jack Lahana // Summercamp // Pan European recording
https://robjacklahana.bandcamp.com/album/summercamp

7 commentaires

  1. rob seul digne heritier frenchy de roubaix ,fuck off forever pavots de pacotille , dodecalogue c’est enorme il faut que artur de pan edite en vinyle lza suite qui n’est jamais sortie

    1. Dodecalogue, c’est monstrueux. Incroyable qu’on en parle pas plus. Je crois que Rob est condamné à une forme de discrétion qui lui convient parfaitement.

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