Paris le soir, rue Oberkampf. La scène se passe au Nouveau Casino, backstage. C’est le DJ et producteur David Shaw qui nous accueille. C’est lui qui organise la soirée, avec son crew et label de nouveaux punks, Her Majestiy’s Ship, et qui a fait venir Richard Fearless en DJ set ce soir. Le jeune DJ parisien La Mverte, est assis dans un coin. Les mecs de la sécurité pianotent sur leurs téléphones en attendant le rush hour. Il est 1h du mat’, mais c’est encore tôt : ce soir, comme tous les autres, les nouveaux punks seront de sortie. Je suis accoudé au bar avec Richard Fearless, le cerveau de Death In Vegas. Le mec n’a rien à vendre, on est pas en promo. On est juste là, pour parler de son travail et faire le point. Prendre de ses nouvelles aussi.
Il faut savoir qu’il y a deux Death In Vegas : le groupe techno-rock des débuts, celui des « Contino Sessions » et qui a partagé l’affiche de gros festivals avec The Chemical Brothers. Et puis, il y a l’autre Death In Vegas : plus ouvertement sauvage, aventureux, novateur et plus confidentiel. Ce Death In Vegas-là est devenu, à force de disques peut-être, l’un des projets les plus aboutis et novateurs de la pop de la fin du 20e siècle.
Entre les deux, que s’est-il passé ? Et bien, Richard a tout envoyé péter. Comme il nous le confie plus bas, il a arrêté la musique, et il est parti aux Etats-Unis pour retourner étudier, s’isoler de tout ce cirque. Blouson en cuir noir de junky, foulard mod autour du cou, Richard s’excuse de ne pas avoir pu me rencontrer plus tôt. C’est pas plus mal, la nuit est propice aux confidences.
Richard, ce soir tu joues à Paris et auparavant on t’a vu remixer des artistes français comme Bot’ox ou David Shaw. Tu as une relation particulière avec la France ?
Et bien tu sais, la fanbase de Death In Vegas a toujours été énorme en France. Je pense même que c’est la deuxième au monde. Pour la petite histoire, le Mexique est le troisième pays qui compte le plus de fans. Le concept Death In Vegas a toujours été bien compris chez vous. Quand j’ai enregistré les derniers albums avec Death In Vegas, les personnes ont très bien compris ce que je tentais de faire. Tu sais en Angleterre, les gens sont peut-être un peu plus perdus par rapport à mon travail, j’ai tellement essayé plusieurs trucs, plusieurs facettes. En Angleterre, on veut surtout prendre des photos de toi, ici en France on comprend ce que tu fais en tant qu’artiste sans tenter de t’exhiber. Et oui, c’est vrai, j’ai pas mal de propositions de DJ sets ici.
On vit une époque favorable à la musique underground.
Tu as l’habitude de te produire en live dans des gros festivals avec Death In Vegas et maintenant on te voit faire quelques DJ set dans des clubs. C’est un retour aux sources pour toi ?
Oui, même si ce sont deux choses totalement différentes. J’adore me produire en DJ set car c’est comme ça que j’ai commencé. Tu le sais peut-être, mais j’ai fait un break musical à un moment dans ma carrière. J’ai arrêté Death In Vegas pour retourner étudier la photographie à Los Angeles. Quand je dis break, je veux dire que j’ai arrêté tout activité musicale : j’ai arrêté d’en faire, j’ai même arrêté d’en écouter. C’était nécessaire car il fallait que je repense tout, que je me redéfinisse. Après cela, quand je suis rentré en Angleterre, j’ai emménagé dans le studio voisin du producteur Andrew Weatherall. C’est là où j’ai réalisé le dernier Death In Vegas, «Trans Love Energies». Et j’ai recommencé à acheter de la musique, à me remettre dedans et c’est passé par la techno, car c’est de là que je viens. Mais surtout la techno pour moi est vraiment ce qui m’excite le plus actuellement. La scène est très forte.
Ces dernières années, l’industrie musicale s’est effondrée. C’est une sale époque pour les maisons de disques, et pour des groupes comme Death In Vegas. Dans ce contexte morose, l’époque reste excitante : il y a tellement de petit labels différents et de plus en plus de personnes commencent à monter des structures quand même. Ca a toujours été le cas par le passé, mais là ils n’ont peur de rien et se lancent à l’aventure quand même. Ils n’ont pas à écouter les grosses maisons de disques ou un patron. J’adore ça. Je pense qu’on vit une époque favorable à la musique underground. La pop musique au sens mainstream du terme, est dans un état lamentable, elle est en train de se détruire par la faute des pop stars dégueulasses guidées par les ventes de disques et le marketing, la rendant horriblement ennuyeuse. Mais la réaction est très forte. Plus la situation s’aggrave, plus la résistance se développe. Une résistance underground.
Ok, parlons de ton label Drone : est ce qu’avec ce label, tu cherches à contrebalancer le gros vaisseau Death In Vegas ? C’est une sorte de break pour toi ou un terrain d’expérimentation ?
Ce n’est pas de l’expérimentation, mais c’est vrai que cela a à voir avec la pureté. C’est ce que je voulais faire depuis un moment. J’adore Death In Vegas, mais tu sais, c’est un projet qui me met beaucoup de pression sur les épaules, c’est devenu une très grosse machine. J’ai fini le dernier album il y a quatre ans. Entre le moment où je commence à travailler sur un album et sa sortie, il s’écoule deux années. C’est long, moi je continue à faire de la musique pendant ce temps-là, j’en fais tout le temps. Pas seulement de la musique étiquetée Death In Vegas. Avec Drone, c’est faire des choses sans me soucier de la pression, de façon plus libre et instinctive aussi.Tu sais, Drone me sert à ça. Je laisse libre cours à ce que je fait. Pas de pression et ça sort très vite.
C’est peut être aussi une réaction face à l’attitude des maisons de disques ?
Oui, tu sais, je suis un artiste, je crée toute la journée. Avec Drone je m’occupe de l’artwork moi-même, des vidéos aussi. J’ai besoin de créer constamment, c’est mon boulot. Si je peux faire entrer de l’argent pour subvenir aux besoins de ma famille, c’est super. Mais j’ai besoin de faire ça coûte que coûte. Drone est comme un terrain pour qui me sert à m’exprimer. Après, comme tu le dis, c’est un peu une réaction à l’industrie musicale. J’ai mis peut-être trois années à faire l’album « Trans Love Energies », et avant même sa sortie on pouvait le trouver gratuitement sur internet. Mais même si je sors des EP je réfléchis peut être à sortir des albums long format via Drone.
Le rock’n’roll a toujours été une attitude.
Tu as signé récemment D’Marc Cantu, qui a fait un remix sur ton EP et qui a sorti un maxi sur Drone. Il est dans le circuit depuis un moment, comment la connexion s’est faite ?
Eh bien le type de techno que j’apprécie avant tout, celle dont je me sens proche, ça a toujours été celle du early Chicago, le son de Detroit. Ils avaient une façon d’enregistrer très brute, en one shot, proche du live. D’Marc Cantu fait partie de cette école. Il enregistre ses morceaux avec toutes ces machines devant lui, dans des conditions live. C’est beaucoup plus viscéral. Ses disques sont dans ma record box depuis un moment, j’avais l’habitude de les jouer. Je l’ai contacté, il aime et suit tout mes trucs de Death In Vegas, c’est un mec un peu indie à la base, tu sais, il jouait de la batterie dans des groupes un peu metal. Ça s’est fait naturellement.
Avec des producteurs comme Andrew Weatherall, Oliver Ho, Ivan Smagghe, tu fais partie des producteurs d’électronique avec un très gros background rock’n’roll – si je dis pas de bêtises, tu as même un poster géant des Stooges au mur de ton studio. En même temps il y a beaucoup d’éléments krautrock, purement électroniques ou acid house dans ta musique…
Le rock’n’roll a toujours été une attitude. Le rock’n’roll des 50’s ou les Stooges sont des groupes qui ont ce sentiment d’anxiété. Tout ça est venu de la peur de la guerre, la peur du nucléaire, en révolte contre le système. J’ai grandi au son des Stooges et du Velvet Underground, plus tard My Bloody Valentine. Ce sont mes groupes favoris. Puis j’ai découvert la musique techno, le son de Chicago, l’ecstasy et les drogues. Ca a tout changé pour moi. Comme beaucoup de personnes de ma génération, la culture rave était ma révolution. J’avais 18 ans je voulais tout casser à l’époque. Mais musicalement j’étais toujours complexé par rapport au son américain de Chicago, de ce qui se faisait là-bas. Mais je me reconnaissais typiquement dans ce son, à base de répétition, c’est comme le rock’n’roll pour moi, ce sont les mêmes bases, les même racines d’urgence et d’anxiété.
Un des secrets les mieux gardés de la pop musique, c’est ton projet Black Acid. Où en est le projet maintenant? Tu n’as sorti que deux 45 tours à ce jour.
Oui, en fait il y a tout un album de prêt, qui est entièrement fini, si tu veux tout savoir. Il est fini depuis huit ans.
Oh, pourquoi ne pas le sortir ?
(Longue pause.) Ok, quand j’ai commencé Black Acid c’était un tout autre projet. Assez éloigné de Death In Vegas. Je suis arrivé à New York et je cherchais à faire quelque chose de complètement différent. Tu sais, j’ai eu un drame dans ma vie à ce moment-là, et je voulais me soigner. Le choix qui s’offrait à moi alors était soit d’aller de l’avant et de sortir la tête de l’eau, soit de prendre une mauvaise pente qui m’aurait conduit dans une longue dépression. J’ai choisi la bonne direction avec le projet Black Acid. Ce travail a été comme une thérapie. Et j’ai fait ce disque, je l’ai fini. Un album entier. Et je dois dire que c’est peut-être la meilleure disque que j’ai fait à ce jour. Mais pour moi, le réaliser me suffisait. On a répété ensemble pendant une année. Puis on a enregistré dans un studio dans le Michigan. On a tout enregistré directement à la console, en deux semaines, sans effet. Je voulais faire un disque dans ces conditions. C’est un projet qui a eu une une longue maturation, prés d’un an avant d’accoucher en studio. ça a été une libération. A l’inverse de tout mes trucs électroniques qui sont assez instinctifs, ce disque de rock’n’roll a été une sorte d’accouchement. Après, je ne sais pas réellement pourquoi je ne l’ai jamais sorti. Ce n’est pas comme si j’en avais honte, comme je te le dis, c’est sûrement le travail dont je suis le plus fier à ce jour, mais… (longue pause)… peut être qu’au fond je veux le garder pour moi. Je sais que je le sortirai un jour. Mais pour le moment ce n’est pas à l’ordre du jour. En ce moment, ma priorité c’est Drone. Je ne veux pas faire plusieurs choses à la fois, je veux me concentrer sur un seul projet.
J’aime beaucoup l’album de Von Haze, dernièrement, tu as pris un rôle de producteur : on t’a vu produire le groupe Dark Horses aussi, les deux albums. Ce sont eux qui sont venus te chercher ?
Avec Von Haze c’est facile, car Travis Caine [co-leader du groupe, NDA] est mon beau frère, ah ah ! C’est la famille. On est sur un deuxième album, là, avec Von Haze. Tu verras il sera vraiment très bien. Plus électronique mais aussi beaucoup plus cosmique et space.
Qu’est-ce que tu gardes de ton expérience avec des groupes comme The Horrors ou Oasis ?
Oui j’ai adoré bosser pour ces groupes. Ce que j’aime le plus c’est que cela me met dans une position qui n’est pas confortable pour moi, dont je n’ai pas l’habitude, à savoir être au service des autres. Ne pas faire ou décider tout par moi-même. Beaucoup d’artistes veulent rester dans leur zone de confort, mais j’aime sortir de cette zone. Sinon c’est trop facile. J’aime me mettre en danger, et produire pour d’autres artistes. J’aime ce challenge, c’est ce que je cherche, je travaille mieux sous pression. C’est là où je donne le meilleur. Comme pour ce que j’ai fait avec Oasis. Tu sais, je suis quelqu’un de très timide de nature, j’ai besoin qu’on me pousse.
C’est vrai que tu enregistres sur la même table de mixage que Sly Stone ?
Oui, c’est vrai. Ce n’est pas moi qui l’ai achetée, c’est un ami, dans un studio à Michigan, le Key Club. Je voulais le faire mais elle coûtait trop cher. Eh oui, Sly Stone s’en est servi, il a fait ses trois premiers disques dessus. Son nom exact est flickinger mixing console [NDA : console culte d’enregistrement créée par Dan Flickinger], il n’en existe que quinze dans le monde et seulement cinq aujourd’hui sont en état de marche. Ike & Tina Turner en avait une, Sly Stone, Bohannon, Funkadelic, Johnny Cash, les studios Muscle Shoals, le son Motwon était enregistré dessus. Vous en avez une en France je crois : chez les studios Black Box [NdA : studio basé à Noyen-la-Gravoyére, représente, les mecs !]. C’est une console qui a un son vraiment particulier, que je qualifierais de son qui sent le bois, très feutré, très riche.
Dis-moi si j’ai tort : j’ai vu que tu avais réalisé des visuels pour la tournée des Rolling Stones. Comment un DJ et producteur anglais se retrouve à faire du design artistique pour les Stones ?
Oui, c’est vrai. C’est assez dingue cette histoire. C’était après l’album de Death In Vegas, « Satan circus », j’ai déménagé à New York pour étudier la photographie. Et les Rolling Stones préparaient leur retour pour une tournée mondiale, la tournée A Bigger Bang filmée par Martin Scorsese. Et je connaissais quelqu’un qui bossait à la production de la tournée. Je savais donc qu’ils recherchaient des créatifs pour des visuels. Ils avaient eu cette idée : ceux qui avaient un billet obtenaient un code et pouvaient envoyer un SMS pour donner leur idée de leur set-list de rêve. Il y avait un choix parmi presque 75 chansons. Chaque soir, le public créait soi-même la playlist. Donc ils devaient avoir des visuels à l’avance pour chacune des soixante-quinze chansons. Je suis venu avec environ sept idées différentes. Mais je te cache pas que je voulais absolument faire les visuels pour Sympathy for the Devil, alors je suis arrivé avec cette idée de fosse à serpents sataniques. Et c’est comme ça que j’ai été choisi: j’ai fait Sympathy et la chanson Memory Motel aussi. On à shooté ça en deux semaines dans un hangar au Canada. Et oui, ils ouvraient le concert avec ça, avec mes visuels sur un écran géant, c’était assez dingue pour moi, en fait. On m’a même dit que Keith Richards adorait !
Richard Fearless // Gamma Ray // Drone
D’Marc Cantu // Decay // Drone
Plus d’info sur Drone, le label de nouveaux punks : http://droneout.co.uk/
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…MAKE FUCKS IN PUBLIC SPACES