Pourtant, Andrew Weatherall ne s’est pas fait rare ou même discret ces derniers temps. J’écoute en ce moment le titre qui clôt l’album de son nouveau projet, The Asphodells. Il s’agit d’une reprise élégante à la hauteur de sa réputation du tube halluciné d’A.R. Kane, A Love From Outer Space. Sans le producteur anglais, je me demande qui écouterait encore le duo anglais à dreadlocks. Andrew Weatherall termine d’ailleurs chacune des soirées du même nom qu’il organise, de Londres à Glasgow, par ce titre.
A part sur l’album « A Pox On The Pioneers » (2009) et sur la dernière compilation « Masterpiece » (Ministry Of Sound, 2012), il est rare de voir son nom affiché seul et en majuscule. The Asphodells donc, n’échappe pas à la règle, et officialise sa collaboration avec l’ancien Battant Timothy J. Fairplay. Ensemble, ils passent leur temps à produire, produire et encore produire dans leur studio de Shoreditch, non loin de là où Jack l’Eventreur terrorisa l’Angleterre. A force, ça paye et le moment arrive de sortir un disque. « C’est ma manière de travailler, on n’est pas arrivé un lundi en se disant qu’on était les Asphodells. Je n’aime pas trop avoir mon nom en haut de l’affiche, sûrement parce que mes héros, des gens comme Martin Hannett ou Adrian Sherwood, ont su garder une part de mystère. Avec Timothy on travaille tous les jours au studio, et une à deux fois par an on écoute ce qu’on a fait ». Parce qu’à force de s’acharner sur ses instruments, Andrew Weatherall a acquis le savoir-faire des meilleurs producteurs, ceux qui par choix privilégient l’authenticité sur l’originalité, il est sorti de ces séances de révisions quelques titres avec le même feeling, la même vision. « C’est ce qui me gêne avec certains disques de techno ou de musique électronique, les disques ressemblent à une collection de morceaux qui peuvent être géniaux, mais sans direction. Moi, dans mes sets, mes remixes ou mes productions, ça m’obsède ».
Le résultat est sans appel, je parie une bouteille de Glenmorangie que leur disque « Ruled By Passion, Destroyed By Lust » met à l’amende les sorties électroniques de l’année à venir. Faut-il voir dans ce titre, et comme c’est souvent le cas dans ce genre de musique, un point de vue, une critique de la science qui a amené l’homme sur la lune et l’a poussé à créer la bombe atomique ? La question appelle une réponse franche et assez surprenante. « La vérité est beaucoup moins profonde, ça vient d’un poster qu’on a accroché au mur du studio, l’affiche d’un film de gladiateurs gays. C’est la baseline du film. Ca me plaît, de résumer l’humanité en une phrase même si son rôle était de te mettre en appétit pour un navet ». Se confronter à tout, en tirer le meilleur, voilà l’essence du métier de DJ. Et pousser des disques, Andrew Weatherall le fait depuis trente ans.
Avant de remonter à l’époque où être DJ relevait plus du hasard que du plan de carrière, il est nécessaire d’aller un peu plus loin dans le temps pour comprendre l’origine des basses fréquences auxquelles l’auditeur s’expose à l’écoute « Ruled By Passion, Destroyed By Lust », et plus précisément au moment de l’adolescence. Andrew Weatherall a 14 ans quand le punk explose et réussit à mettre « un peu de couleur dans la grisaille de la petite classe moyenne » à laquelle il appartient. Il y découvre les disques dont parle John Lyndon, ceux de Can et de reggae, comme « Dreadlocks Dread » de Big Youth. « En achetant ce disque, j’ai eu peur jusqu’à ce que je pose l’aiguille sur le vinyle en rentrant chez moi. Je n’y connaissais rien, mais je l’ai acheté parce que les groupes de punk avaient l’air de connaître le sujet. Et puis j’ai entendu cette interview de Johnny Rotten dans laquelle il raconte qu’en découvrant le dub, il s’est mis à tout écouter avec les basses et les aigus à fond et rien au milieu. J’ai fait pareil, et c’est ça l’influence qu’a eu le punk sur moi. Quand je compose ou que je fais un remix, je commence toujours par travailler la basse, c’est essentiel ». Andrew Weatherall vient de trouver son truc, sa méthode en écoutant les dubs de Prince Far I ou Lee Perry.
Plus tard, il a l’âge de sortir à Londres, et cela reste un monde à traverser, en partant de sa banlieue. C’est à cette période que naît la légende du 9’O Clock Drop, dont il se souviendra en 2000 pour nommer une compilation avec des titres de Quando Quango, 23 Skidoo ou Chris & Cosey. « Avec des amis, on se rejoignait chaque weekend avant de sortir à 9 heures pour prendre un carton d’acide ». Cette compilation est la bande originale de leurs trajets, de ce qui tournait dans leur voiture, défoncés qu’il y ait des bouchons ou non sur le périphérique. Une autre chose qui commence alors à tourner au sein du petit cercle qui va former les premiers convertis à l’acid-house, c’est son nom. Petit à petit, Andrew Weatherall devient DJ parce qu’il possède les meilleurs disques à jouer entre 6h et 8h du matin.
En 1986, il créé avec Terry Farley le fanzine Boy’s Own, et le temps que les disques d’acid-house arrivent jusque Londres, en 1988, cette petite bande devient une scène qui s’apprête à éclore à la face du monde, tout comme cette nouvelle drogue qu’on appelle ecstasy. Il n’en a pas conscience à l’époque, mais peu à peu et grâce à eux la musique, les fringues et sortir changent. « J’aurais dû garder tous ces flyers, j’aurais une collection incroyable aujourd’hui. Pareil pour les disques, je donnais tout avec l’ecstasy. « Oh je t’aime tiens prends ce disque » (rires). Ca fait 5 ou 6 ans que je réalise ma place dans cette sous-culture, mais j’aurais du m’en douter parce que c’est l’histoire du rock’n roll, une nouvelle drogue, une nouvelle musique, un nouveau chapitre ». L’histoire est en marche, et Boy’s Own devient un label, celui qui fera découvrir à l’Angleterre les Chemical Brothers. Nous sommes alors en 1993, mais Andrew Weatherall est déjà loin. Il vient de former Sabres Of Paradise, signe chez Warp et puis fondera Two Lord Swordsmen pour terminer la décennie avec des sorties remarquées tout autant que remarquables. Surtout, il est déjà entré dans la légende par la grande porte. Quelques années plus tôt, il a offert un cadeau d’une ampleur inestimable pour les générations qui vont suivre : un groupe de rock est aussi crédible avec un sampler et une boîte à rythme.
Un jour à la fin des années 80, il reçoit un coup de fil à la suite d’une critique positive qu’il vient d’écrire pour Boy’s Own. C’est Bobby Gillespie qui vient de sortir le deuxième album de Primal Scream chez Alan McGee, Creation Records. Il aimerait savoir s’il accepterait de remixer un titre pour eux, ce sera I’m Losing More Than I’ll Ever Have. Privé de tout sauf, sans surprise, de la ligne de basse et de quelques bribes de paroles, le titre devient Loaded et propulse le groupe, lui-même et la dance music dans une autre stratosphère, le mainstream. Des remixes, il y en aura aussi pour les Happy Mondays, My Bloody Valentine ou encore pour Saint Etienne, le remix à la ligne de basse la plus destructrice de l’histoire du remix, Only Love Can Break Your Heart. Primal Scream lui est redevable pour l’éternité, c’est Weatherall, que l’on commence à appeler Sir, derrière la majeure partie de l’album qui a mis des disques de house dans les mains des indie kids, le toujours très recommandable « Screamadelica », qu’il considère comme « un album sans âge, très ouvert. C’est agréable de savoir que son nom est associé à un classique. J’aurais pu aussi ruiner leur carrière ! ».
Ce genre de remarque est une constante chez celui qui aime souvent rappeler que tout son travail navigue entre le conseil d’expert et le grand amateur. Si tu veux vendre 100 copies de ton disque, viens me voir, c’est ce qu’il sous-entend. Pourtant, de jeunes groupes ou producteurs continuent de frapper à sa porte pour le solliciter. Fuck Buttons, par exemple, dont il produit l’album en 2007. Plus récemment The Horrors, Wooden Shjips ou encore les jeunes Detachments, tous lui ont demandé une relecture. A force, ils doivent savoir ce que cela implique : ne pas savoir à quoi s’attendre mais se retrouver d’un coup validé par le grand patron. Cela a un prix qu’un choix plus confortable de remixeur n’atteindra jamais. Même Grinderman avec son idole absolue Nick Cave ont fait appel à lui. Jean-Claude Vannier avait l’habitude de raconter qu’en terme de succès, il y a au moins deux choses à rassembler parmi trois pour être fier de son travail : le succès critique, artistique ou financer. Et entre ces trois propositions, il est évident aujourd’hui qu’un remix par Andrew Weatherall fait plutôt pencher la balance vers les deux premières catégories.
Quoiqu’il en soit, sa position est enviable. Elle est celle de celui qui n’a plus grand chose à prouver et sera à jamais considéré comme du sérieux, du très lourd. Il passe sa vie à jouer dans le monde entier, donne des lectures à la RedBull Music Academy, réalise des BBC 6 Mix qui font de lui le John Peel actuel et distribue les tickets d’entrée aux plus jeunes pour se faire remarquer au moins par les journalistes, sinon aux amateurs de remixes dub qui frétillent devant une ligne de basse comme une armée de piranhas devant un bout de viande fraiche. J’en fais partie, coupable. Au détour de la conversation, il partage son quotidien. « Sur la route pour aller au studio, je prends un journal de gauche et un de droite, et je fais les mots-croisés avant de me mettre au boulot. Ca fait un moment que je pratique, j’aime les compliqués, les cryptiques. ».
Amusé, je rebondis sur Nick Cave et lui raconte que la veille, la belle coïncidence, j’étais en train de regarder le clip de More News From Nowhere des Bad Seeds, que j’ai du voir cent fois sans pour autant avoir identifié jusque-là l’écrivain Will Self dans une des scènes du clip, où il est accoudé au bar et s’occupe à faire des mots-croisés, justement, sans se soucier de Nick Cave se dandidant à l’arrière. D’après le témoignage d’un des acteurs du clip que l’on peut retrouver sur internet, Will Self remplissait la grille sans se soucier une seconde des indices. « Je vais être franc avec toi répond Weatherall, j’ai souvent été tenté de faire la même chose. Mais à chaque fois j’ai totalement foiré mon coup. C’est sûrement pour ça que Will Self est un meilleur écrivain que je ne le suis. S’il est capable de dire « fuck it, j’emmerde les indices », ce n’est pas mon cas. Peut-être que je ne suis pas l’artiste que je crois être tellement mon approche des mots-croisés est conservatrice ! J’ai jamais eu assez de courage pour ruiner un mot-croisé (rires) ».
Pourtant, le barbu a souvent répété que lorsqu’il devait s’attaquer à un remix, il aimait prendre le titre à l’envers et tout faire sauf respecter l’intention de départ de l’auteur originel. C’est là, je crois, à la fois tout le paradoxe et le secret qui entoure Andrew Weatherall, et sa longévité que l’on regarde aujourd’hui avec respect. Comme certains explorateurs, il s’est retrouvé au coeur de toutes les vagues à la recherche d’un bout de terre ferme. Ce n’est pas pour rien qu’il s’est fait tatouer sur les avant-bras « Fail We May, Sail We Must ». S’il était prétentieux, il aurait déjà ajouté « I Won » juste en dessous.
The Asphodells // Ruled By Passion, Destroyed By Lust / Rotters Golf Club (La Baleine)
Sortie le 13 février
7 commentaires
Formidable découverte, merci.
Chouette papier mais ça reste de la musique d’ambiance. Certes de la musique d’ambiance qui bastonne mais tout de même de la musique d’ambiance.
Je viens tout juste de prendre le temps de lire ce papier très instructif (le rapport de Weatherhall à la basse via le dub, notamment, ça aide à comprendre). Merci pour avoir pris le temps et l’espace d’interviewer cette légende… Pour ce qui est de l’album de The Asphodells, je le trouve personnellement bon (logique) mais très en deçà de son sommet gothique (« From the double gone chapel » signé Two Lone Swordsmen, 2004).
vu le guz maintes fois le + drole c que le mini festival carcassonais est maintenue; weatherall vu en 1ere partie des BBoys vu au PULP avec smaggle vu en 1ere parie des Pulp, vu en basementhek au limelight, vu dans la rue en train de se gauffrer avec des teds, vu s’achetant un disque d’alan vega, vu chez monsieur Lasnier, vu tard dans la nuit a Pigalle ,