Au rayon des oiseaux rares, Héron Cendré se pose là. Après vingt ans d’expérimentations musicales diverses, il a livré en novembre son premier album « 3-4 » chez moli del tro, brièvement chroniqué ici. Mais une écoute studieuse ne suffisait pas pour s’imprégner de sa musique : à l’occasion de son passage à Bruxelles, on a tenté de l’apprivoiser.
Lorsque les lumières de la salle s’éteignent, une autre s’allume aux pieds de l’artiste. C’est un tourne-disque bricolé : alors que joue une compilation de cris d’oiseaux de mer, une sculpture colorée vient taper le bras, activer un récepteur, lancer un sample… la machine est lancée. Tournant sauvagement les potentiomètres, martelant son clavier, agitant frénétiquement bras et jambes, Héron Cendré tient en haleine toute la salle, relâchant la tension sur quelques envolées quasi religieuses. Lorsqu’il prend la parole pour remercier la foule, une pointe de timidité contraste avec l’intensité de sa performance. Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvons autour d’une bougie éteinte et deux verres. Il prévient d’emblée : « je ne fais jamais ça, je ne suis pas bon pour parler de moi ».
Il y a dans ta musique un côté aventurier et expérimental, un peu naïf. C’est le cas pour Héron Cendré mais ça se sent aussi beaucoup sur ton premier projet Gregaldur. D’où vient cette couleur ?
Héron Cendré : c’est presque par accident que Gregaldur est né. À l’époque, je jouais en groupe et je me suis retrouvé programmé seul, à devoir pondre un set en un mois, donc j’ai bricolé avec ce que j’avais. La surprise, c’est qu’une scène folk s’est intéressée à moi, mais aussi noise, musique électronique, punk hardcore… J’ai construit ma culture musicale en naviguant entre les genres. Un jour, j’ai décidé d’arrêter Gregaldur car je l’utilisais pour fuir une période douloureuse. En devenant Héron Cendré, j’ai pu aller vers des choses plus sensibles. Et je m’inspire beaucoup des pionniers, des gens comme François de Roubaix, Jean-Jacques Perrey, Hiroshi Yoshimura… ils ont ouvert un continent et posé les premières pierres de quelque chose.
Dans « 3-4 », l’absence de mots et de noms m’a assez interpellé. Si je compare avec Jean-Jacques Perrey et ses titres parfois très descriptifs (comme Berceuse pour un bébé robot), tu fais l’inverse. Pourquoi ?
Au départ, ça tient surtout à ma manière d’enregistrer. Quand des gens ont commencé à s’intéresser à ma musique et à me demander ce que je faisais, l’idée d’échéance m’a foutu les jetons. Mais je fais mes morceaux selon l’humeur, puis j’assemble différents enregistrements que je nomme simplement de manière chronologique. Je pense aussi que ça donne un côté mystérieux et neutre, il n’y a aucune indication sur la musique et c’est quelque chose que je cherchais indirectement.
Il y a trois semaines, j’avais un synthé Korg un peu récent et je ne sais pas… j’ai pris une scie à métaux et j’ai découpé le clavier. C’était la veille d’un spectacle, pour qu’il rentre dans une valise.
Est-ce que tu suis une certaine narration dans l’album ? La partie 4, par exemple, est beaucoup plus sombre. On sent vraiment un changement d’ambiance.
Pas vraiment. Je suis surtout influencé par l’énergie ambiante : si je fais de la scie sauteuse dans mon local et que j’enregistre juste après, ça va influencer ce que j’enregistre. Par contre, j’essaie d’imaginer la musique comme un genre de sinusoïde, donc j’essaie de faire des envolées et des ralentissements. Mais c’est très intuitif, je ne réfléchis pas à ce que je produis. Je suis passionné d’art brut, je pense que ma manière de créer est très viscérale. D’ailleurs je ne me sens pas du tout un intello de la musique. Ça relève plutôt de la passion et de l’expérience. Et parfois je fais des choses que je ne comprends pas : il y a trois semaines, j’avais un synthé Korg un peu récent et je ne sais pas… j’ai pris une scie à métaux et j’ai découpé le clavier. C’était la veille d’un spectacle, pour qu’il rentre dans une valise.
Quand je joue, la mélodie doit être directe, sinon je passe à autre chose. Donc je tourne souvent des pages.
J’ai vu dans un papier de Libération que « 3-4 » était ta première sortie de plus de 12 minutes. Avant ça, c’était assez confidentiel et très DIY.
Ma copine me dit souvent que je suis un mauvais élève et que je ferais mieux de le rester. Je m’y tiens car c’est comme ça que je suis le plus vrai, je le vois avec les retours : les gens sentent la sincérité. Et je suis dans Libé mais je n’ai aucun parcours artistique, je pense que ça touche les gens parce que c’est encourageant, ça montre que tout le monde peut le faire, si moi j’y arrive… Et tout ce que j’ai appris, c’est sur le tas.
Qu’est-ce que tu recherches, avec la musique que tu joues ?
J’aime vraiment montrer quelque chose de ludique sur scène. Une petite machine qui fait de la lumière, un ruban qui modifie le son, une platine vinyle préparée avec des peluches… travailler avec les jeunes publics m’a beaucoup aidé. Quand tu fais un concert devant des enfants, il faut que ce soit visuel. Chaque geste doit avoir une importance, surprendre et captiver. Donc je montre mes petits bricolages du moment. Mais je suis surtout dans l’instantané, comme pour le coup de scie. Quand je joue, la mélodie doit être directe, sinon je passe à autre chose. Donc je tourne souvent des pages : ça fait six ans que je tourne avec Héron Cendré et je pense vraiment qu’aucun concert ne se ressemble. Au début, j’avais une guitare, je chantais avec une voix pitchée… trois mois après je bossais autrement, dans un an ce sera encore autre chose. Rien n’est figé.
Héron Cendré // 3-4 // moli del tro, sortie le 4 novembre