Si le retour du trip hop n'impliquait pas obligatoirement la réapparition de Recoil, elle lui file un bon alibi. Maintenant vous n'avez plus d'excuse.

Si le retour du trip hop n’impliquait pas obligatoirement la réapparition de Recoil, elle lui file un bon alibi. Maintenant vous n’avez plus d’excuse.

A la lumière de cette fin d’après-midi qu’est notre décennie, les bilans sont plus contrastés. Ce genre bâtard et marqué du sceau maudit des nineties qu’est le trip hop m’apparaît aujourd’hui dans une lucide clarté : les chanteuses dance-geignarde et soul low-cost  des débuts (Sneaker Pimps, Morcheeba…) ont définitivement disparu au changement de siècle (Qui ressortira Topley Bird dans 5 ans ? Personne) ; le grand-public a finit par digérer sa découverte des turntables sur scène (Merci Ed Banger et DJ Abdel à NPA), les shows ridicules avec solo du DJ ont finit par cessé; puis ceux des collectifs qui ne se sont pas changé en supergroupes (UNKLE) ou militants actifs du retour du prog’ (Archive, ses claviers mollassons et ses guitares en fonte) se sont amenuisé (de Wild Bunch à Heligoland). Là où le bat blesse, il reste une armada de producteurs/processeurs, des übermenchen à cyber-cerveau sur 440Hz et oreille absolue. Tous se sont mis à sculpter le son à grands coups de deck dans des blocs de 180 pistes. Et il faut bien reconnaître que Recoil n’échappe pas au cliché.

« Massive Attack, c’est un beau disque, une belle plante verte » disait un confrère. Vu comme ça, bien sûr… Certaines architectures sonores sont cyclopéennes, tout juste bonnes à être exposées comme du land-art. Seuls ceux qui avaient raccroché les wagons de l’electronica en cours de route se faisaient encore plaisir. Mais mais mais… il y eut des petits miracles cinématiques. Portishead avait ses films noirs dont la pellicule craquelait dans les enceintes ; Felt Mountain ses plans aériens et Londinium des travellings urbain chinois… Chasseur d’ivoire polyphonique, Alan Wilder est devenu réalisateur de films de bayou. D’étouffantes forêts anthracites. K.Dick vu par Ridley Scott dans une lumière émeraude.

Silence. Moteur ! Abstr-Action !

La recette ? En trois points. Ne jamais piocher dans la banque de l’orchestre de synthèse (« Trop bien ce violon Casio ! Appuie sur trompette pour voir… ») mais travailler le son directement sorti de terre. Choisir des voix en dépit du bankable, telle la sorcière Diamanda Gallas qui fait du talkover à la Cioran ou le bluesman louisianais Joe Richardson. Et être un mélodiste émérite mais ne jamais composer une seule chanson. Juste de la musique.

Impossible de le contourner, abordons Wilder. Ce gamin élude les études pour préférer bosser en studio, nettoyant le plateau avant les enregistrements, enroulant les câbles après. Quand les potards vinrent à le démanger, il repris le clavier laissé vacant par Vince ‘I just can’t get enought’ Clarke, compositeur démissionnaire de Depeche Mode. Wilde s’impose comme un pianiste prodige (cf son enregistrement quelques années plus tard de la sonate n°14 dite au Clair de Lune) mais ne composera pas. Lorsque le groupe est devenu un orchestre de loops, il est encore le dernier à pianoter sur scène. A l’inverse, il est aussi le dernier à quitter le studio à chaque session, passant des heures à arranger et mixer. Après Violator, lorsque chacun se cherche une bouteille ou un fill-up de speedball, il chiade tout seul les balances avant les lives, control freak du rendu. Pour se débarrasser des contraintes pop, il s’était mis à jouer au Lego avec le son, au bonheur de Daniel Miller (patron du label Mute, NDR) qui le publiera aux côtés de Depeche Mode, dès 1984. Gavé d’attendre derrière la batterie (sic) pendant que Gore s’astique la Rickenbacker et que Gahan fait ce-qu’il-veut avec-ses-cheveux, la tournée Devotional sera donccelle de trop.

Trois albums supplémentaires plus tard, caché derrière l’étiquette Recoil, plus personne ne le connaît. Et vous savez quoi : il n’en a rien à foutre.

Un article chez Side-Line sur les effets de la compression du son sur le business de la musique plus loin, il continue sa vie en sachant qu’il n’a rien à envier aux groupes qui se reforment et que Selected, son best-of tout beau tout chaud, ne changera rien à la donne. Il lui aura néanmoins permis de remettre les mains dans l’editing de tracks de son catalogue perso qu’il aimait bien. Un disque (ah bah oui, sinon à quoi bon cent soixante heures de prod par plage ?) qui n’a rien à envier à la persévérance de Robert Del Naja ou Geoff Barrow et ne cherchera surtout jamais à devenir Damon Albarn.

Si ce courant est né dans le creuset du hip hop blanc (et anglais !), Recoil vibre plus comme une authentique musique noire, voix chaudes et gorges lourdes sous le sweatshirt, à l’instar du dernier Gil Scot-Heron. Ses partitions lorgneront toujours plus vers Danny The Dog ou Clint Mansell que Plastic Beach ou Allison ‘mon t-shirt fait aussi jupe’ Golfdfrapp. En fait, la leçon de vingt ans de trip hop, c’est que le beat est plus important que le hit. Le mix n’était que l’arrangement de chanteuses même pas MCs ; aujourd’hui elles sont des instruments qui le servent. Le retour des compositeurs, il a fallu prendre du « recul » pour le voir, le vouloir, l’apprécier. Du coup c’est bien ce que je vous disais en préambule, Recoil appartient légitimement à cette époque.

 

Recoil // Selected // Mute
http://www.recoil.co.uk/

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