Ce qu’il reste de la branche bruxelloise de Factory Records propose un nouveau pressage de ce petit classique du post-punk britannique packagé par le grand Peter Saville. Le label en a profité pour agréger sur cinq vinyles les premières armes de Section 25. Une œuvre particulièrement inspirée par le krautrock et le psychédélisme comme en témoigne leur méconnu et inégal second album, « The Keys of Dreams ».

Si la critique a souvent qualifié A Certain Ratio de version funky et jazzy de Joy Division, Section 25 a lui souvent été considéré par la critique comme un avatar krautrock de la bande de Ian Curtis. Des affirmations quelque peu réductrices, si l’on considère plutôt que les premières productions de Factory Records se rapportaient à une seule et même ligne éditoriale. Une ligne à laquelle Tony Wilson, fondateur du fameux label de Manchester lancé en 1978, tentait de donner une cohérence en convoquant généralement le maître des studios Martin Hannett et pour l’emballage, le graphisme minimaliste de Peter Saville. Dès 1981, certains artistes de l’écurie tenteront d’ailleurs de s’extraire de ce moule – New Order en tête – en produisant parfois leurs propres enregistrements. Cette belle réédition de « Always Now » – premier album de Section 25 paru en septembre 1981 – témoigne de ce double aspect. On doit cet effort à Factory Benelux, à l’origine filiale bruxelloise de Factory Records (on y reviendra longuement dans le prochain numéro) et dont le catalogue est aujourd’hui géré par le britannique James Nice.

Motorik british

Cette collection de cinq vinyles n’est pas une nouvelle publication avec bonus de ce classique mineur de l’après-punk. Elle rassemble en fait les œuvres complètes de la première partie de carrière du groupe originaire de Blackpool.

On trouvera logiquement sur le disque 1 les dix titres originaux de l’album « Always Now ». Premier constat : il est toujours aussi difficile d’entrer dans cet ensemble austère et dépouillé, et plusieurs écoutes sont nécessaires pour accéder à la beauté rigide qui s’en dégage. La production de Hannett, caractérisée par une mise en avant de la basse et une batterie très sèche, marque fortement le tout. Mais le groupe se distingue de ses compagnons de label par une utilisation immodérée de la répétition et des motifs abstraits dans une volonté de produire un certain vertige. Comme en témoigne d’emblée Friendly Fires, chanson d’ouverture où jeu de batterie tournoyant, chant, basse et guitare dissonante ne font plus qu’un. On distingue alors clairement les influences du versant minimaliste du rock choucroute. Il est permis de penser à CAN ou à Harmonia, mais des instrumentaux comme CP ou Inside Out évoquent aussi l’amateurisme éclairé et savant de Faust.

Le tout se mêle avec cohérence avec les ingrédients principaux du post-punk « dur » : détournement des rythmes de danse pour susciter le malaise (Dirty Disco, proche de Public Image Limited), le chant absent de Larry Cassidy qui transmet un sentiment d’épuisement et d’abandon propre à une certaine cold-wave… Dans ce domaine, Hit, comptine lugubre et vaporeuse (dont le motif a été samplé par Kanye West pour son titre F.M.L. en 2016) est remarquable. Le sublime mantra glacial de New Horizon clôt logiquement l’album. Avec son simplissime et néanmoins génial motif de basse, sa lointaine nappe de synthé sidérale en ouverture et ses riffs de guitare-scie circulaire, il est peut-être ce qui ressemble le plus ici à du Joy Division. Dans la même dynamique, le disque 2 rassemble les premiers singles du groupe parus entre 1980 et 1982. On y retrouve notamment les titres de Girls don’t count, un 3 titres produit par Ian Curtis et le manager de Joy Division, Rob Greton en 1980. La musique y est globalement plus nerveuse et spontanée que sur « Always Now ».

Égarements psychédéliques

Le disque 3 comprend lui un intéressant live enregistré aux Pays-Bas en octobre 1980. Il démontre à la fois les limites techniques et vocales du groupe et ses tentatives de les transcender pour créer une ambiance propre à l’hypnose. Les velléités psychédéliques de la formation y apparaissent plus clairement. Un aspect que l’on retrouve sur le second album du groupe, The Keys of Dreams, qui occupe la totalité du disque 4. Autoproduite, cette galette parue en juin 1982 chez Factory Benelux donne à écouter un post-punk planant et étrange derrière lequel s’efface le chant insignifiant de Larry Cassidy. On se laisse volontiers bercer par cette musique lancinante, mais sans véritable relief.

Résultat de recherche d'images pour ""section 25""Le disque se termine par le curieux Sutra, improvisation orientalisante de près de 15 minutes que l’on croirait interprétée par une bande de lycéens inexpérimentés tentants de singer Amon Düül II. Une démarche à laquelle l’auditeur patient se confrontera sur le disque 5, composé de titres essentiellement instrumentaux et d’inspiration psychédélique et dub enregistrés en 1981 et publiés par le groupe l’année suivante sous le titre Illuminous Illuminae, en format cassette. Factory Benelux y a ici ajouté un jam de plus de 11 minutes avec New Order (mal) enregistré en live en mai 1981. For fans only…

Au-delà du son, demeure la plastique. Ces cinq vinyles sont glissés dans la reproduction de la pochette originale de « Always Now », réalisée par Peter Saville. Dans cet ensemble, c’est peut-être cet élément qui a le mieux passé l’épreuve du temps. Sur un fond jaune, sont simplement inscrits les titres de l’album et des chansons ou encore le nom du producteur, comme s’il s’agissait d’une nomenclature technique renvoyant prosaïquement à la nature de l’objet. Une démarche qui tranche avec la virtuosité formelle et l’esthétique surréaliste du graphisme associé aux « dinosaures » du rock progressif et du hard rock des années 1970. Mais aussi avec le style faussement artisanal de nombre de pochettes de groupes de la vague punk de 1976-1978. L’étonnant mystère qui se dégage de cette sobriété extrême donne à lui seul l’envie d’acquérir l’objet. Les parents amateurs de belles choses sauront quoi faire de l’allocation de rentrée scolaire.

Pour commander chez Factory Benelux, c’est par là. 

 

3 commentaires

  1. je pense tous le contraire ,la production du disque a mal vieillis ,pour moi c’est totalement inécoutable en 2019 ,j’ai les oreilles aiguisées et sa raye mes tympans

    1. Tout le contraire de quoi ? L’article dit que le truc qui a le mieux passé l’épreuve du temps c’est la pochette… Et c’est vrai, c’est pas la meilleure période de section 25 (à moins d’être fan hardcore), les années suivantes sont plus intéressantes avec notamment une relecture proto acid house de dirty disco.

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