Certains l’ont comparé au premier Elton John. D’autres au Bowie d’Hunky Dory. Paru en 1975 chez CBS, l’album Kid in a Big World de John Howard fut pourtant vite relégué dans les bacs des soldeurs. Un enregistrement maudit que le modeste label américain Kool Kat Records a réédité en 2023, accompagné d’un disque de démos. Pour notre plus grand plaisir.

Des mélodies séduisantes, des refrains accrocheurs, un subtil jeu de piano, une pointe de sarcasme et une irrésistible atmosphère surannée. L’insuccès de Kid in a Big World, auprès du public européen, demeure, à ce jour, l’un des plus grands mystères de la musique pop.

Howard John - Kid In A Big World + The Original Demos, CHF 18.10

Pourtant, la major CBS semble avoir fondé les plus grands espoirs sur cet album paru début 1975, et sur John Howard, brillant auteur-compositeur-interprète britannique, alors à peine âgé de 22 ans.

Originaire du nord-ouest de l’Angleterre, le jeune homme pratique le piano depuis l’enfance. Il peaufinera son art du songwriting au sein de l’exigeant circuit folk local. Mais, même s’il admet apprécier Dylan, Roy Harper et Joni Mitchell, sa démarche est avant tout opportuniste. Comme il nous le confie aujourd’hui :

« J’ai commencé ma carrière dans les clubs folk en 1970, principalement parce qu’ils me donnaient l’occasion de participer à des soirées « scène ouverte ». Celles-ci pouvaient souvent déboucher sur des « guest nights », durant lesquelles je pouvais me produire durant vingt-cinq minutes. Toutefois, mon style n’a jamais été « folk », il était même plutôt « décadent » à l’époque. »

Il faut alors imaginer Howard comme une sorte de Randy Newman à la sauce british, racontant en chansons des histoires qu’il conçoit comme des « mini pièces de théâtre développées ensuite au piano », indique l’intéressé. Celui-ci admet d’ailleurs avoir été influencé par l’approche narrative d’auteurs de comédies musicales, comme Noel Coward, Rodgers & Hammerstein, ou Cole Porter. Mais aussi par le sus-cité Randy Newman et Burt Bacharach, ainsi que par « des pianistes de jazz comme Dave Brubeck, le glam rock (T.Rex, Bowie, Roxy Music) et les Beatles ».

Une certaine fascination pour le glamour transparait d’ailleurs dans ses premiers textes. Mais aussi un humour caustique, comme en témoigne Family Man, portrait cruel d’un « homme très triste dont la vie, le mariage et la famille sont en train de s’effondrer » , commente l’auteur.

Espoirs déçus

Bien que, selon John Howard, « les fans de folk appréciaient ce [qu’il faisait] », ce public d’étudiants chevelus n’est définitivement pas son cœur de cible. Et, en août 1973, le musicien, plus que jamais désireux d’obtenir du succès, décide de tenter sa chance à Londres, alors transi par la “Ziggy-mania”. Là, il est vite chaperonné par Stuart Reid, ancien responsable de la division “pop” de Chappell Music, qui devient son manager.

Ce dernier parvient à lui dégoter rapidement un contrat avec la major CBS. Dans la foulée, il le recommande à son ami, le réalisateur Peter Collinson, pour l’écriture de la chanson de son nouveau film, Open Season, dont l’acteur principal n’est autre que Peter Fonda.

« On m’a dit que CBS avait expédié 15 000 exemplaires de l’album lors de sa sortie en février 1975. Mais chaque semaine, le chiffre des ventes chutait ».

John Howard enregistre un premier album aux légendaires studios Abbey Road, entre avril et août 1974, sous la supervision de Paul Phillips, producteur maison de CBS, et de Tony Meehan, ancien batteur des Shadows. Parmi les musiciens participants aux sessions, figure notamment Rod Argent, fameux clavier et compositeur des Zombies. Tout semble sourire au garçon, qui s’imagine être aux portes de la gloire. Mais ses espoirs seront vite déçus…

Goodbye Suzy, superbe balade aussi enlevée que noire (le texte raconte l’histoire d’une fille retrouvée morte sur une page), fait l’objet d’un premier single, en octobre 1974. Family Man et son piano sautillant est à son tour publié en 45 tours, début 1975. Deux morceaux aux potentiels commerciaux évidents, mais qui ne rencontreront malheureusement pas leur public.

Un accueil similaire sera réservé à l’album Kid in a Big World, qui paraît en février 1975. Et ce malgré la grande qualité de l’enregistrement et les efforts de promotion de CBS dans la presse spécialisée.

« On m’a dit que CBS avait expédié 15 000 exemplaires de l’album lors de sa sortie en février 1975. Mais chaque semaine, le chiffre des ventes chutait. Les singles ne se sont pratiquement pas vendus », relate aujourd’hui John Howard.

Homophobie ?

Comment expliquer cette déconvenue ? Avec sa pop adulte aux arrangements sophistiqués, l’élégant chanteur britannique commençait sans doute à nager à contre-courant, alors que la vague punk de 1976-1977 s’annonçait déjà au large.
Par ailleurs, Radio 1, station musicale de la BBC, ne semblait pas particulièrement friande de sa musique. CBS aurait expliqué au chanteur que l’antenne avait sciemment négligé ses singles : « Goodbye Suzie » aurait été jugée trop « dépressive » et « Family Man » considéré comme un titre « anti-femme » (un passage dresse un portrait peu amène de l’épouse du personnage principal de la chanson).

Un féminisme de façade qui dissimula peut-être alors une attitude hostile à l’homosexualité de John Howard. C’est en tout cas ce que son producteur et principal soutien chez CBS, Paul Phillips, aurait rapporté au chanteur :

« Bien plus tard, Paul m’a dit que Radio 1 avait fait preuve de sentiments homophobes à mon égard et avait refusé de passer mes disques, alors que Capital Radio à Londres passait volontiers mes disques, tout comme Radio Luxembourg.  Des années après, la femme de mon manager de l’époque m’a également dit qu’elle avait entendu quelqu’un de chez Radio 1 tenir des propos désobligeants et à connotations homophobes me concernant, au moment de la sortie de Kid in a Big World. »

Le “big world” du rock et de la pop mainstream du milieu des années 1970, largement dominé par les postures virilistes et tapageuses, n’était peut-être pas prêt à intégrer un dandy subtilement précieux comme John Howard. Un aspect qu’illustre d’ailleurs ironiquement (et involontairement) la pochette de Kid… qui présente un jeune homme tiré à quatre épingles à la fenêtre d’un appartement quelconque, tandis que, sur le rebord, agonisent des plantes vertes.

John Howard | Interview | "Kid In A Big World" - It's Psychedelic Baby Magazine

Certes, dans la première moitié de la décennie, le glam rock a largement misé sur les ambiguïtés sexuelles et de genres, avec le succès que l’on sait. Mais toujours avec une outrance et une théâtralité aboutissant à une inévitable mise à distance de ces sujets. De plus, Howard n’a rien d’un “entertainer” extravagant et théâtral à la Freddy Mercury. C’est avant tout un artisan de la chanson animé par une sensibilité non-feinte.

Ainsi, on ne trouvera point d’hymne dans son répertoire. Mais, parmi les morceaux les plus réussis de l’album, un ensemble de pièces assez intimistes. À l’image du touchant Gone Away, fausse complainte de rupture, dans laquelle le narrateur confie de façon désarmante vouloir mettre à distance une déception amoureuse en jouant les esthètes : « Yes I’ve gone away ‘Cos living in style Made me forget what I had with you » (« Oui, je suis parti /Parce que vivre avec style /Me fait oublier ce que j’ai eu avec toi »). Mentionnons également le sensible The Missing Key, originellement prévu pour la BO d’Open Season. Et surtout le tendre The Flame, l’un des plus beaux titres du LP, qui, de l’aveu même de son auteur, traite de la relation « platonique » et mouvementée qu’il vivait alors avec sa meilleure amie.

L’ombre tutélaire d’Hunky Dory

Les talents d’Howard pour la composition et l’interprétation susciteront d’inévitables comparaisons avec Elton John. Si celles-ci ne sont pas sans fondement, Howard réfute quant à lui la filiation, en préférant se référer au Bowie d’avant Ziggy :

« J’ai aimé Bowie dès la première fois que j’ai entendu Hunky Dory en 1971, cet album a définitivement influencé mon écriture. En revanche, je n’ai jamais été fan d’Elton John. Certains de ses singles ne me déplaisent pas, mais la seule similitude avec moi est qu’il joue du piano et qu’il chante ! »

Hunky Dory auquel l’éclectisme de Kid… fait effectivement écho, l’ensemble mélangeant avec une singulière évidence clin d’œil au music-hall (Maybe Someday In Miami), pop flamboyante (Deadly Nightshade, Spellbond) et passages plus introspectifs.

La préciosité du doigté d’Howard au clavier rappelle par ailleurs, en plus économe, le jeu de Rick Wakeman, qui fit des merveilles sur Hunky Dory avant de rejoindre le mastodonte progressif Yes.

Mais loin d’être une pâle copie du quatrième opus de Bowie, Kid… semble, d’un autre côté, annoncer avec presque dix ans d’avance le chemin qu’emprunteront respectivement Elvis Costello et Joe Jackson en 1982 sur Imperial Bedroom et Night and Day. Celui d’une variété pop orchestrée, souvent teintée de jazz et fortement influencé par Bacharach. Et dont l’apparente décontraction dissimule à peine une mélancolie tenace. La superbe chanson titre qui clôt Kid.. en est le meilleur exemple.

Une approche que John Howard semblait vouloir poursuivre avec force et talent. Mais qui sera malheureusement douchée par les décisions de sa maison de disque… Des morceaux destinés à un second album baptisé Technicolour Biography sont enregistrés. Mais CBS n’en est visiblement pas satisfait, relate Howard :

« Après le flop de Kid in a Big World, CBS a décidé que j’avais besoin d’un son plus commercial, annulant les sessions de ce que Paul Phillips et moi pensions être la suite. “Nous avons besoin de chansons à succès« , ont-ils exigé. Ils m’ont donc mis en contact avec le producteur disco, Biddu, en me demandant d’écrire de nouvelles chansons plus « pop ». Lorsque Biddu et moi avons terminé l’album, Can You Hear Me OK ?, en septembre 1975, le label l’a rejeté parce que ce n’était pas un album disco. Ils ont sorti un single, “I Got My Lady”, en janvier 1976, qui a été beaucoup diffusé sur Capital Radio mais, encore une fois, pas sur Radio 1. Le single a disparu et CBS a mis fin à mon contrat d’enregistrement. »

Howard réalisera ensuite deux singles, en 1978 (I Can Breathe Again / You Take My Breath Away, Ariola) et 1979 (Don’t Shine Your Light / Baby Go Now, SRT, ), sous la direction d’un Trevor Horn (The Buggles) encore inconnu au bataillon. Mais les arrangements et les interprétations, cette fois-ci belle et bien disco, des faces A, lui siéent mal. Après quelques autres tentatives infructueuses aux côtés des producteurs Steve Levine et Chris Rainbow, las, le chanteur raccroche le micro :

« J’en ai eu assez et j’ai trouvé un emploi dans une maison de disques, après quoi j’ai mené une carrière fructueuse dans la direction artistique et le marketing jusqu’en 2000, date à laquelle j’ai pris ma retraite. Un single est sorti en 1984, “Nothing More To Say (But Goodbye)”, qui a été, ironiquement, beaucoup diffusé sur BBC Radio 2, mais ce fut mon chant du cygne pour les vingt années suivantes. »

Redécouverte et renaissance artistique 

Une irrésistible envie de tapoter le piano le reprendra cependant dans les années 1990. Et il enregistrera un album de reprises (The Pros And Cons Of Passion) dont la parution est prévue en 1996. Mais, le musicien est une nouvelle fois frappé par le sort et le label Carlton met la clé sous la porte avant même d’avoir pu sortir le disque.

Il faudra attendre 2003 et la réédition de Kid in a Big World par RPM Records pour que des journalistes et un nouveau public découvrent le travail de l’Anglais, alors quinquagénaire.

Ce qui poussera RPM à publier enfin les bandes de Technicolour Biography et de Can Your Her Me OK ?, en 2004 et en 2005. Les chansons du premier n’ont pas eu le temps d’être arrangées à l’époque de leur enregistrement. Elles donnent à entendre une émouvante facette d’Howard, interprétant ses morceaux seul au piano. À l’image de la longue et poignante chanson titre, qui évoque étonnement certains titres de Rufus Wainwright. Can You Her Me OK ? pâti quant à lui d’orchestrations un peu trop envahissantes. Mais le talent de compositeur de l’Anglais y brille également (Two People In The Morning, Your’re Mine Tonight...).

John Howard | Interview | "Kid In A Big World" - It's Psychedelic Baby  Magazine

Les retours élogieux que reçoit alors John Howard l’incitent à reprendre du service. Et entre 2005 et 2024, il parviendra à sortir une quinzaine d’albums, publiés par des labels indépendants ou à compte d’auteur. « Le regain d’intérêt pour Kid in a Big World en 2003 m’a certainement encouragé à recommencer à écrire et à enregistrer, confirme le musicien. J’ai maintenant mon propre studio d’enregistrement à la maison, sans pression pour écrire des tubes ou me soucier du nombre de ventes de chaque album. Je le fais parce que j’aime ça (j’ai toujours aimé ça) et je me considère très chanceux que les gens semblent aimer ce que je produis », poursuis, apaisé, celui qui réside désormais en Espagne.

Chacun de ses disques parus durant ces vingt dernières années comprend son lot de chansons magnifiques. Mais l’auteur de ces lignes a une affection particulière pour l’album Storeys (2013), où Howard renoue sans complexe avec sa passion pour les grands mélodistes des sixties, McCartney et Brian Wilson en tête. Plus tranquille, sa voix se fond agréablement dans un ensemble qui n’est pas sans lien avec la pop de chambre de Curt Boettcher (Sagittagius, The Millennium…). D’une grande musicalité, le long morceau Siblings rappelle, quant à lui, l’atmosphère contemplative des Nits de Ting (1992). Mentionnons également l’excellent album qu’enregistra Howard en 2015 avec le groupe The Night Mail, pour le label allemand, Tapete Records. Soit onze chansons, entre britpop, pop-folk et discrètes inflexions psychédéliques.

Mais revenons à Kid in a Big World. En 2023, le discret label américain Kool Kat Musik, a eu la bonne idée de rééditer le disque, accompagné d’un CD de démos originales. Nous offrant de découvrir les premières moutures de ces chansons telles qu’elles devaient être jouées par leur auteur dans des clubs enfumés de la perfide Albion, au cœur des seventies. Et qui, bon an mal an, ont pu atteindre un public, certes modeste, mais en mesure de les apprécier à leur juste valeur. OK John, on a fini par t’entendre.

À écouter : John Howard, Kid in a Big World + The original demos (2 CD), Kool Kat Musik 2023 (réédition) : 

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