La récente sortie du disque a été passée sous silence et pour cause, « Rework » est l’hommage des plus bavards à l’un des plus discrets des génies du vingtième siècle. Conçus comme une revisite up to date du répertoire de Glass, les remixes commandés par un esprit certainement torturé parviennent à transformer le minimalisme en presque rien du tout.

Dans un monde idéal, chaque être normalement constitué se devrait d’avoir un exemplaire de ce disque sous son oreiller, on célèbrerait mariages et enterrements de la même façon, avec la même musique, ce serait toujours pareil sans être jamais la même chose, trois fois rien, juste quarante minutes et des poussières de toute beauté qu’un américain au regard de savant fou inventa on ne sait trop comment en pleine période new-wave avec deux flutes, un piano-synthétiseur, quatre saxos, deux cors et quelques violoncelles. Ca s’appelle « Glassworks » et c’est sorti la même année que l’arrivée de la gauche au pouvoir.

Passons aussi sur le fait que les ados du nouveau siècle n’aient pas enregistré le titre Opening dans leurs sonneries de portable, oublions même que Glass fut l’un des rares artistes américains – avec Lou Reed –  à dénoncer récemment les abus du capitalisme financier en manifestant dans le froid hivernal pour le mouvement Occupy Wall Street, le tout grâce à un procédé dit d’amplificateur humain où les voix répétaient de plus en plus fort ce que l’orateur prononçait. Un peu comme son disque « Music in twelve parts » (1971), mais en beaucoup plus politique.

Tant qu’à faire, faisons aussi l’impasse sur le seul groupe de rock que Philip Glass produisit au début des années 80, les très méconnus et sous-estimés new-yorkais de Polyrock, mettons un mouchoir sur le droit d’inventaire et faisons comme si Television était le seul groupe respectable de cette période.

Mine de rien, ça fait tout de même beaucoup de choses importantes à oublier. Aussi, lorsqu’un trouffion de l’industrie préposé aux liftings décida trente ans après la sortie de « Glassworks » de proposer à des musiciens de la scène actuelle de remixer certains titres du parrain en se basant sur la seule bonne idée que « Rework » était un bon jeu de mot, on eut d’abord envie de croire à une blague, quelque chose de pas sérieux, quelque chose qui n’aurait pas été l’occasion pour les pros du recyclage de refourguer le back catalogue du vieux en beaucoup moins bien fait par des beaucoup plus jeunes.

Philip Glass - ReworkLe hic dans « Rework », porté par ce titre qui fait surtout penser au syndrome dit du « packaging Beigbeder » – tout dans le contenant, rien dans le contenu – c’est que les craintes sont encore en dessous des non-espérances ; en dépit des têtes de gondole affichées sur la pochette (Beck, Amon Tobin, Pantha du Prince, etc) chacun des « gamins » enrôlés dans ce Vietnam mélodique n’arrive à sortir son épingle du jeu et tous se prennent les pieds dans le tapis à vouloir dépasser le maitre ou ne serait-ce qu’arriver à sa cheville ; la mention spéciale étant attribuée à Cornelius pour son remix d’Opening dont on peine à entendre ce qui le distingue du morceau original, encore qu’on puisse aussi se demander comment Memory Tapes est parvenu à transformer Floe 87’ en morceau faussement discoïde pour les retraités d’Ibiza qui font glou glou ou glah glah, fonction des saisons. Si le long collage de Beck sur NYC 73-78 sort péniblement du lot – pas compliqué vu le niveau de ses voisins, encore que le californien cramé réussisse à mixer le pire de l’ambiant de Brian Eno avec un sosie de Bono au chant, on dirait « The Passengers » en trois fois pire – on peine à comprendre comment le principal intéressé a pu tolérer si pale copie de son œuvre. Bon joueur, Glass avoue apprécier que ses morceaux puissent être démontés comme des jantes sur une Merco. Encore une fois, pourquoi pas. Si « Rework » ressemble au final davantage à un camion volé qu’à un bolide tuning et que le disque est un lot ininterrompu de BLIP BLIP s’entrechoquant comme les dents d’une vieille., il a au moins ce mérite de rendre la musique de Glass encore plus contemporaine, plus dansante que le charabia rythmique des branquignoles crédités sur cet accident (de musique) industriel. Un comble quand on sait que Philip Glass n’a jamais utilisé ni batterie, ni laptop, ni boite à rythmes, pour donner du souffle à ses partitions.
Et c’est donc sans surprise que l’envie de réécouter l’œuvre originale se fait plus pressante au fur et à mesure que les titres de « Rework » sont passés en accéléré pour éviter l’ennui qui s’installe ; c’est un peu comme si l’auditeur avait envie d’uriner et de boire simultanément, on en vient à vomir cette génération d’apprentis musiciens dont le seul mérite – et cette défaite l’illustre bien – reste d’être de bons singes savants. Connaître ses classiques ou savoir rembobiner une bande n’empêche pas l’incompétence, s’appeler Dan Deacon ne garantit pas la postérité sur la simple base de fringues fluos servant tout au plus à masquer l’embonpoint du fainéant qui s’ignore. En bref, ce qui aurait pu être l’épitaphe de Glass marque surtout l’échec d’une génération à réinventer l’incopiable. En cela, c’est plutôt une bonne nouvelle. A ce rythme, la diode des musiciens électroniques sera déjà éteinte que celle de Glass clignotera encore, telle le lapin des piles Wonder distançant sans mal les mous du genou. La tyrannie du jeunisme a ses limites.

Rework : Philip Glass remixed // Orange Mountain Music
http://philipglassrework.com/

3 commentaires

  1. Je suis à 100 % d’accord avec toi pour Glassworks, c’est clairement un indispensable à toute vie humaine (au même titre que le simple morceau  » Memorial  » de Nyman par exemple, qui a tout en lui). Pour ce qui est du Rework, je suis à ? % d’accord avec toi vu que je ne l’ai pas entendu et que je ne risque pas de le faire après ta lecture.

  2. Perso je m’écoute « le long collage de Beck sur NYC 73-78 » en boucle depuis que je l’ai découvert. Un album à lui tout seul, qui doit bien évidemment tout au maître Glass. Merci pour ce papier !

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